l'ordre des choses

[CRITIQUE] L’ORDRE DES CHOSES

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Avec son dernier film, L’ORDRE DES CHOSES, Andrea Segre plonge le spectateur dans la face cachée de la gestion politique des migrants et éveille sa conscience avec brio.

Le réalisateur documentariste Andrea Segre est connu pour avoir réalisé La petite Venise en 2012. Par ailleurs sociologue, il poursuit avec L’ORDRE DES CHOSES son travail sur la thématique des migrants. Mais cette fois-ci, il le fait du point de vue de l’un des membres de la Task force européenne en charge du contrôle de l’Immigration en Libye. Il offre en effet au spectateur, et ce pour la première fois au cinéma, la possibilité de suivre la vie d’un haut fonctionnaire en mission. Son personnage du policier italien Corrado Rinaldi (Paolo Pierobon) a été construit sur la base des témoignages d’une douzaine de hauts fonctionnaires italiens, grecs et français, recueillis en off par le réalisateur qui s’est vu refuser par le Ministère de l’Intérieur Italien l’autorisation de les rencontrer.Photo du film L'ORDRE DES CHOSESL’ORDRE DES CHOSES est un film brillant, profond et bouleversant, aussi bien par le sujet qu’il traite que par l’intimité dans laquelle il entraîne le spectateur. Car Andrea Segre,  rencontré au Festival International du Film d’Histoire de Pessac , « ne veut pas d’une discussion sur si c’est juste ou non d’arrêter les migrants, mais pourquoi, comment et quelles sont les conséquences ». Il se dit « en tant qu’artiste et intellectuel, obligé de donner à l’opinion publique des occasions pour mieux connaître réellement ces politiques de l’immigration dont on ne sait rien » et revendique avoir voulu faire un film « politique, didactique, existentiel et éthique ».

Pour toutes ces raisons, le film prend cependant le risque d’être un peu difficile d’accès pour un spectateur qui n’éprouvera pas le besoin d’aller au delà de ce qui est généralement connu du sort des migrants. On sait bien que la Libye, dont les côtes se situent à 300 kilomètres de l’Italie, est la première porte d’entrée des migrants depuis 2016, qu’environ 10 000 migrants arrivent chaque mois et que 2300 ont déjà péri ou disparu en mer. Mais a-t-on vraiment envie d’aller au delà des chiffres ? De savoir pourquoi les migrants quittent leur pays? De savoir comment et combien de temps ils son parqués dans ces centres de détention libyens? De savoir comment les programmes de contrôle de l’immigration sont décidés, budgétés et mis en place? De savoir de quelle manière l’argent donné par l’Europe est utilisé et comment la Task force compose avec la corruption sur place? Car en savoir plus, c’est déjà se sentir un peu plus concerné, ému, voire responsable.

« Film très puissant par les émotions et les réflexions qu’il suscite, L’ORDRE DES CHOSES dresse le portrait bouleversant d’un homme qui transforme son regard et révèle sa part d’humanité. »

Grâce à L’ORDRE DES CHOSES, le réalisateur offre donc une réflexion de fonds passionnante sur cette question qu’il considère « très importante dans l’espace public et la discussion politique », au cœur même des élections législatives qui viennent d’avoir lieu en Italie. Le film est aussi didactique car « il  permet de comprendre le vide de connaissances sur les manières des fonctionnaires et de la politique européenne ». Effectuant de nombreuses recherches, et avec l’aide d’un documentariste libyen sur place, Andrea Segre a pu reconstituer un centre de détention en Sicile. Mais il n’aurait pu traiter son film d’un seul point de vue documentaire, car « là où le documentaire ne peut pas arriver, la fiction peut montrer la réalité et amener à être dans l’espace privé de la politique, dans lequel on peut rester avec quelqu’un qui a le pouvoir, dans sa chambre et dans sa solitude ».

Le réalisateur décrit très bien la grande complexité des missions menées par ces hauts fonctionnaires. Il voulait comprendre comment se comporte « un être humain qui a cette fonction d’en arrêter d’autres qui ne lui ont rien fait et qui ont la nécessité ou simplement le désir de voyager ». On suit donc Corrado lors de ses missions en Libye. On le voit dialoguer, négocier, s’assurer que tout est sous contrôle même si c’est loin d’être le cas, s’adapter aux différents pouvoirs et rituels culturels. Il collabore avec d’autres fonctionnaires, tels Gérard (Olivier Rabourdin) et Luiggi (Giuseppe Battiston). C’est un homme d’une grande culture, droit dans ses bottes. Mais surtout, c’est un homme de principes, professionnel en tout, méticuleux, aimant l’ordre et les choses bien rangées.Photo du film L'ORDRE DES CHOSESLe réalisateur et son co-scénariste Marco Pettenello ont fait de Corrado un escrimeur qui a participé aux Jeux Olympiques. Quoi de mieux en effet que l’escrime comme parfaite métaphore de la totale maîtrise de soi et du stress, de l’endurance et de la rapidité de réaction? Ce sont évidemment les qualités dont Corrado se sert dans son travail. Elles lui permettent d’affronter dans les centres qu’il visite les épouvantables conditions de survie des migrants, dont il prend garde de rester à bonne distance, physique et émotionnelle. Pourtant, un jour, il est interpellé par une jeune femme et accepte pour elle de faire passer un message à l’un de ses proches.

La force du réalisateur est de provoquer une très forte empathie envers Corrado. Et de permettre au spectateur d’entrer alors dans le champ de l‘existentiel et de l’éthique. Car ce qui intéressait Andréa Segre, c’était précisément « de montrer comment un être humain gère le conflit intérieur ». Ce geste anodin d’intérêt va peu à peu créer un début de désordre dans sa vie et compliquer son travail et sa neutralité. Sa conscience va le tarauder, son étanchéité émotionnelle va se fissurer et son cœur va s’ouvrir malgré lui. Film très puissant par les émotions et les réflexions qu’il suscite, L’ORDRE DES CHOSES dresse donc le portrait bouleversant d’un homme, qui transforme progressivement son regard et révèle sa part d’humanité.
Un mouvement civique social ”Pour changer L’ordre des choses” s’est emparé du film en Italie et a permis, lors d’un forum organisé à Rome en décembre dernier, d’émettre des propositions à propos des politiques migratoires en Italie et en Europe, qui peuvent être lues à cette adresse.

Sylvie-Noëlle

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Titre original : L'Ordine delle cose
Réalisation : Andrea Segre
Scénario : Marco Pettenello, Andrea Segre
Acteurs principaux : Paolo Pierobon, Giuseppe Battiston, Olivier Rabourdin
Date de sortie : 7 mars 2018
Durée : 1h55 min
4.5
Puissant

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