Cinéma Fantastique : Le Mystère EDGAR ALLAN POE
fanart de Twisted Synapses

Cinéma Fantastique : Le mystère EDGAR ALLAN POE

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[dropcap size=small]I[/dropcap]l arrive parfois dans la littérature que la solitude d’un auteur résonne dans l’imaginaire collectif, et que le seul nom de cet écrivain cristallise à lui seul un ressenti, dont la description et la définition resteraient nébuleuses si le travail de création et d’évocation n’avait pas su utiliser une poésie et un sens de la symbolique, pour en révéler le caractère à la fois extraordinaire et pourtant familier à notre inconscient.
Le nom d’Edgar Allan Poe cristallise ainsi un état d’esprit romantique, qui bouleversa la littérature en même temps que la conception même de l’artiste dans la première moitié du XIX ème siècle. Le poète de Baltimore grandit dans une Amérique qui assoit sa doctrine puritaine et la domination moraliste de sa classe bourgeoise, protestante et héritière du nord de l’Europe, en se forgeant une littérature propre mêlant superstitions, contes moraux et emprise d’un environnement sur l’esprit des personnages (le gothiquissime Sleepy Hollow de Washington Irving en est un parfait exemple.) Il n’est alors, pas encore évident de parler de littérature américaine, puisque la langue et la forme stylistique restent proche des canons anglais classiques, assimilables à ceux de M.G Lewis ou Mary Shelley; les particularismes du jargon américain et de l’ambiance rustique du pays n’ayant été franchement développé qu’à partir du Tom Sawyer de Mark Twain en 1876.
A l’heure où les rêveurs romantiques européens vivent en poètes maudits, charmés par les beautés contradictoires et contrariantes de la vie et de la mort; de l’autre côté de l’Atlantique, Poe utilise sa langue et sa culture héritée de la vieille Angleterre pour dépeindre son état d’esprit, poussant le questionnement sur ses obsessions et ses angoisses jusqu’à basculer dans le romantisme noir et confondre les frontières du gothique, et de l’épouvante.

 

POE ADAPTÉ AU CINÉMA

Si le cinéma n’est pas toujours clairement narratif, il est par définition un art visuel; c’est pour cette raison que ses artisans se sont très tôt intéressés aux nombreuses nouvelles de l’auteur, que beaucoup considèrent comme l’inventeur du roman policier; le français Henri Desfontaines s’atèle au Scarabée d’or et son intrigue basée sur un message codé dès 1910, puis l’américain David Wark Griffith réalise La Conscience vengeresse en 1914 adapté du conte criminel Le Cœur révélateur.
Mais il faudra attendre 1928 et les influences du cinéma expressionniste allemand sur le cinéaste Jean Epstein, pour que La Chute de la maison Usher déploie une ambiance proche du délire psychiatrique faisant honneur à la prose torturée du nouvelliste. La rencontre entre les expérimentations expressionnistes des années vingt et l’univers oppressant de Poe semble couler de source, après tout, les artistes de l’époque privilégient les thèmes du rêve et de l’obsession, de la confusion entre délire et réalité; et on peut concevoir aujourd’hui des œuvres tels que The Cat and The Canary et Le Cabinet du Docteur Caligari comme des variations oniriques des récits de l’écrivain.

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La Chute de la maison Usher (Jean Epstein, 1928)

Suivront quelques pièces notables dans les années trente et quarante, dont les productions Universal alors souveraines du genre de l’épouvante; dans lesquelles le public retrouvait habituellement Bela Lugosi (Dracula) ou Boris Karloff (Frankenstein) comme dans Le Chat Noir, Le Corbeau ou Double assassinat dans la rue Morgue.

Les années soixante ont vu naître deux grands projets liés aux œuvres de Poe; d’une part le producteur et réalisateur Roger Corman composera un cycle de huit films adaptés plus ou moins librement de différents textes, nouvelles ou poèmes grâce à la participation du très inspiré Richard Matheson, qui semble prendre un malin plaisir à mettre en avant dans ses scenarii, les effets d’épouvante et le caractère sadique des histoires. Du parodique Le Corbeau au baroque et désespéré Le Masque de la Mort Rouge, Corman s’amuse à faire varier les tons autour du décorum gothique; un projet artistique audacieux exploré également en 1968 dans les Histoires extraordinaires, où trois cinéastes emblématiques Roger Vadim, Louis Malle et Federico Fellini mettent chacun leur style à profit pour questionner le fond moral et l’écueil grotesque dans lesquels baignent les nouvelles de Poe, enfant terrible d’une époque, d’une classe sociale guindée et d’un terreau religieux perverti.

Le format court de la nouvelle comme l’efficacité de son propos se prêtent particulièrement bien aux projets collectifs; ainsi en 1990 c’est au tour de Dario Argento et George Romero de réaliser chacun un segment de Deux Yeux maléfiques. Les deux maîtres de l’horreur emploient chacun leur sens du gore et du choc visuel, pour servir les récits caractéristiques de l’écrivain, du couple diabolique à la matérialisation de la culpabilité, en passant par le motif iconique du chat noir.

28058351Deux Yeux Maléfiques (G. Romero et D. Argento, 1990)

 

POE PERSONNAGE DE CINÉMA

Ainsi l’univers tourmenté d’Edgar Allan Poe fascine à plus d’un titre les cinéastes, convaincus de fournir au genre de l’épouvante, les gimmicks et les intrigues retorses que les spectateurs pourront savourer comme des bonbons noirs. Mais certains admirateurs poursuivent leurs réflexions sur le mystère émanant du poète, en cherchant à comprendre comment un tel esprit créatif, naviguant entre réalité et projections plus ou moins saines de l’inconscient, a pu voir le jour, et surtout comment une sensibilité exacerbée comme la sienne a réussi à trouver sa place parmi les classique de la littérature. Quand Poe devient personnage à l’écran, acteur de l’intrigue ou apparition en second plan, c’est pour endosser la figure tutélaire du gothique; comme si sa seule présence ramenait à l’écran, donc à l’époque du spectateur, le folkloque macabre avec lequel il se figure le XIX ème siècle. Siècle durant lequel l’austérité du style victorien entre en confrontation avec les avancées modernes de la science et de la médecine, et provoque alors des questionnements sur la mort; un siècle de vampires et d’esprits frappeurs donc.

La vie courte mais tumultueuse de l’auteur participe à son aura mystérieuse : on lui prête de nombreuses addictions dont l’opium et le bourbon, on le soupçonne d’avoir intrigué dans le milieu de l’éditeur pour lancer sa carrière de politicien, il a épousé sa cousine de treize ans lors d’un mariage forcé, a vécu un amour contrarié avec une amie d’enfance jusqu’à la fin de sa vie, etc…
Dès 1909, D.W Griffith s’intéresse à ce personnage romanesque dans le court-métrage Edgar Allan Poe; où l’on voit l’écrivain trouver l’inspiration pour écrire le poème « The Raven » alors que sa femme Virginia vit ses derniers instants. L’écriture de ce chef-d’oeuvre et l’état psychologique accablé dans lequel il fut composé, fascinent les cinéastes depuis plus d’un siècle, puisque d’autres court-métrages seront tournés sur le même thème, dont The Raven…Nevermore en 1999, The Death of Poe en 2006,…et même un segment du Simpson Horror Show en 1990 !

The Raven El cuervo

The Raven…Nevermore (Tinieblas González, 1999)

Poe traîne ainsi son humeur romantique de films en films, comme dans le drame sentimental The Love of Edgar Allan Poe réalisé par Harry Lachman en 1942, également centré sur sa relation avec Virginia. Neuf ans plus tard, dans The Man with a cloak de Fletcher Markle, dans lequel Poe débarque incognito à New York et rencontre une jeune française, l’accent est mis sur son alcoolisme; on le retrouve ensuite en 1964, en personnage secondaire de Danse Macabre d’Antonio Margheriti, où l’intrigue élaborée autour d’un château hanté permet à cette pièce maîtresse du gothique italien (magnifiée par la sublime Barbara Steele) d’apparaître comme un hommage au maître. En 1992, Shimako Sato prend comme prétexte les premières lignes du poème Annabel Lee, pour revisiter une nouvelle fois le thème de l’amour maudit cher à l’écrivain, en le confrontant en personne à une autre figure mythique du XIXème : celle du vampire.

twixt_02 Twixt (Francis Ford Coppola, 2012)

En 2012, dans le même esprit référent, Twixt de Francis Ford Coppola donne à Poe le rôle de guide à travers les enfers où s’aventure le héros, à la façon du poète Virgile accompagnant Dante dans la Divine Comédie; contrebalançant par la poésie qu’il invoque, le ton loufoque du film.
Le mystère autour de l’auteur demeure encore aujourd’hui car les causes de sa mort prématurée n’ont jamais été éclaircies, donnant libre court aux hypothèses d’alcoolisme et de maladie rare. Partant de cette zone d’ombre, les scénaristes ne semblent reculer devant aucune liberté sur le traitement du personnage et de son contexte historique, puisque la même année James McTeigue, poulain des Wachowski, signe L’Ombre du Mal, thriller surnaturel dans lequel l’écrivain doit mener l’enquête et prouver son innocence dans ses derniers jours, car un admirateur s’inspire de ses écrits pour commettre des crimes atroces.

 

LES INFLUENCES DE POE SUR LE CINÉMA

S’il est difficile de résumer l’héritage d’Edgar Allan Poe dans les divers domaines culturels (bien qu’il existe justement dans ce but, la cérémonie de Poe Awards), quelques pistes permettent toutefois de discerner les influences plus ou moins directes et explicites, par lesquelles il a enrichi le cinéma. D’abord Poe nous a laissé quelques gimmicks (chat noir, corbeau ou pendule géant), que ses héritiers artistiques peuvent utiliser autant comme clichés que comme références à l’attention d’un public complice. Ainsi The Crow d’Alex Proyas et Vincent de Tim Burton regorgent de citations de l’auteur pour donner une caution à leurs univers gothiques, quand par ailleurs, l’étrange docteur de Ladykillers cite poème sur poème pour asseoir son personnage supposé inquiétant, dans le grotesque achevé.

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Vincent (Tim Burton, 1982)

Si ses intrigues astucieuses démasquant des apparences trompeuses, sont souvent considérées comme la matrice du roman policier, on peut alors estimer que Sir Conan Doyle ou Agatha Christie ont su judicieusement approfondir le sillon, et qu’il y a un peu de l’aura gothique de Poe dans ces œuvres postérieures, surtout aux regards de certaines adaptations de romans à énigme, tels Le Chien de Baskerville estampillé du savoir-faire gothique de la Hammer, ou Rebecca d’Alfred Hitchcock, qui a toujours clamé avoir trouvé sa vocation grâce aux nouvelles de Poe.
Mais on peut élargir l’arbre généalogique, en considérant également les œuvres pourvues d’une atmosphère si dense et puissante qu’elle conditionne l’état d’esprit des personnages; ainsi la version de Rupert Julian du Fantôme de l’Opéra, La Maison du Diable de Robert Wise, ou Les Innocents adapté d’Henry James ne possèdent-ils pas un décor et une ambiance tellement prédominants qu’ils investissent la psychologie de leurs héroïnes ? Et s’il faut justement parler de perte de repères psychologies, on peut dire qu’après son cycle de huit films, Roger Corman a poursuivi l’hommage avec L’Halluciné, et a décliné le délire hallucinatoire de manière moderne avec The Trip. Et on peut également décrypter les liens de parentés indirects avec d’autres écrivains torturés tels que William Burroughs ou Howard Phillips Lovecraft aux travers des adaptations du Festin Nu par David Cronenberg, ou de L’Antre de la Folie par John Carpenter.

Puppet-adj     Saw (James Wan, 2004)

Et plus récemment l’héritage du nouvelliste a connu une nouvelle ramification, grâce à la vague de films aussi sadiques que violents, appâtant les spectateurs avec la promesse d’un scénario aussi tordu que l’esprit que leurs psychopathes. Aussi on peut considérer des productions comme Buried, 100 Feet et la série des Saw, comme autant de nouvelles moutures de concept tels que L’Enterré vivant ou Le Puits et le pendule, où le supplice des victimes est maintenu par des dispositifs toujours plus cruels.
Les cauchemars d’Edgar Allan Poe semblent devoir encore hanter les écrans pendant un bon moment, avant que l’on parvienne à démêler la folie de ce qui tient de la raison; puisque dans les mois à venir sont déjà annoncés Delirium, The Tell-tale Heart, Eliza Graves avec une belle brochette d’acteurs anglais dont Ben Kinskey et Michael Caine, ou encore Crimson Peak de Guillermo Del Toro qui promet quelques belles références au maître.

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