Winnie l’Ourson et Porcinet qui terrorisent un groupe de jeunes femmes ; Bambi exécutant une vengeance sanglante à la suite de la mort de sa mère… Au cinéma, les personnages attachants de notre enfance deviennent aujourd’hui des machines à tuer avides de sang. Comment expliquer un tel basculement vers l’horreur ?
En 2021, Rhys Frake-Waterfield, un anglais proche de la trentaine quitte son poste à EDF Energy pour se lancer dans la production de films d’horreur à très petit budget. En 2022, il commence à travailler sur le film qui va transformer sa carrière : une version horrifique de Winnie l’Ourson. Sortie en 2023, le film gagne plus de 5 millions de dollars pour un coût estimé à moins de 100 000 dollars. Winnie-the-Pooh : Blood and Honey ravit les amateurs du genre et ouvre un nouveau champ des possibles à Frake-Waterfield. Sa propre société de production travaille actuellement sur la version horreur de Bambi et a déjà annoncé le projet d’un film cauchemardesque sur Peter Pan. Mais Frake-Waterfield n’est pas le seul à s’être engouffré dans la brèche de ce genre très particulier.
Déjà en décembre 2022, l’américain Steven LaMorte sort un film dans lequel le Grinch tue toute personne qui ose fêter Noël. Certes, The Mean One n’a pas pris les salles de cinéma d’assaut, mais LaMorte envisage une suite. Puis, en octobre 2023, on transforme Mary Had a Little Lamb (Jason Arber, 2023), une comptine traditionnelle anglaise sur une jeune femme et un mouton qui la suit partout, en film meurtrier. Quinze jours plus tard, la version cinématographique d’une autre comptine, Three Blind Mice (Pierre B, 2023) met en scène une famille chassée dans les bois par les souris en question.
Une partie de l’explication de cette nouvelle vague se trouve peut-être dans la vraie nature d’un conte de fées. A l’origine assez violents et reflets de nos peurs refoulées, ces contes sortent plutôt en version adoucie chez Disney. Perrault, les frères Grimm, ou Andersen ne pensaient pas écrire des histoires pour enfants, mais pour adultes. Les contes de fées dans leurs versions originales sont peuplés de monstres, de sorcières, de personnages cruels, et ne se privent pas de violence, de sang, voire, de morts. En puisant son inspiration dans ce genre de contes, certains films d’horreur représentent-ils un retour aux sources ?
On pourrait également voir des films tel que Winnie-the-Pooh : Blood and Honey comme une façon pour le public de tirer un trait définitif sur son enfance. En diabolisant un gentil héros de notre passé, ces films enterrent le mythe du personnage bon et mignon. À la place, ils nous montrent la noirceur du monde actuel dans lequel un Winnie ou un Bambi aurait du mal à survivre.
Puis, ces films mettent en scène des personnages déjà mondialement connus. Rhys Frake-
Waterfield avoue que « Winnie l’ourson est partout, tout le monde le connaît » et que cette visibilité globale a suffi pour faire le buzz autour de son long métrage. Pas besoin de campagne de marketing ni de publicité quand le film arrive à faire assez de bruit tout seul.
L’autre explication à cette mode reste purement économique. La reprise de Winnie montre que l’on peut tourner un film avec un petit budget en seulement quelques jours tout en faisant de jolis bénéfices. Les lois jouent aussi en faveur d’une telle recette : aux États-Unis, celles sur la propriété intellectuelle stipulent en effet qu’après 100 ans, une œuvre passe dans le domaine public. N’importe qui peut donc s’en servir sans peur de poursuites. Ainsi, Frake-Waterfield a pu détourner l’image de Winnie sans risques juridiques et sans verser un sou. En 1923, Felix Salten publie son roman Bambi, a Life in the Woods. Un siècle exactement plus tard, le film d’horreur inspiré du livre rentrait en pré-production. On sait enfin que regarder un nanar fait parfois du bien. Pas besoin d’effort cérébral pour goûter aux plaisirs simples d’un film sur un Bambi tueur.
Tamara RIVIÈRE
Andrew TAYLOR
Tamara Rivière exerce la fonction de Ranking Manager à l’ESSCA.
Andrew Taylor enseigne des cours de culture et de la civilisation américaine à Audencia.
Cet article a été publié suite à une contribution d’un·e rédacteur·rice invité·e.
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