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SANS UN BRUIT : pourquoi la saga est bien, plutôt rare et assez belle – Analyse

Scott Beck et Bryan Woods (scénaristes) : « C’est ce qu’on adore avec le storytelling de film de genre, quand tu peux faire plus que juste faire peur au public, quand tu peux raconter une histoire qui a de l’intelligence. »1Go Into The Story – https://gointothestory.blcklst.com/go-into-the-story-interview-scott-beck-and-bryan-woods-f77318378aea

On le sait, les années 2010 auront notamment été l’avènement d’une nouvelle pratique offrant des heures joyeuses (et surtout des billets) aux producteurs les plus paresseux : la création de franchises au sein desquelles peuvent s’épanouir suites, spin-off, reboots et autres joyeusetés malheureusement souvent synonymes de facilités à tous les niveaux, l’objectif étant en général de s’en mettre tout simplement plein les fouilles. C’est pour cette raison qu’une saga comme celle initiée en 2018 avec SANS UN BRUIT (A Quiet Place de son titre original) et comprenant désormais non seulement une suite mais aussi au moins deux autres projets annoncés, à savoir un spin-off et un jeu vidéo, a tout pour nous faire trembler des genoux pour une autre raison que ses aliens aveugles et peu sympathiques. Sauf que nombre d’éléments permettent aujourd’hui d’avancer le fait que cet univers a de réelles chances de continuer à nous proposer des histoires, certes modestes et assez simples, mais solides et conçues avec beaucoup de sincérité. Arguments.

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Le début des emmerdes dans une bonne et longue séquence d’ouverture durant laquelle Krasinski va chercher des élans spielbergiens© Paramount.

Trois semaines avant que je lise le scénario, on venait d’avoir notre deuxième fille, donc en fait alors que je portais ma fille, je lisais ce scénario à propos d’un père qui ferait n’importe quoi pour ses enfants, et je me suis juste dis qu’il fallait que je le fasse”.2Deadline – https://deadline.com/2018/05/a-quiet-place-john-krasinski-disruptors-interview-news-1202379601/ Il y a-t-il plus bel raison pour avancer le fait que SANS UN BRUIT a été développé avec les meilleures intentions ? Car ces mots, partagés dans une interview à Deadline, sont ceux de John Krasinski qui, s’il n’a pas initié l’histoire, en est clairement le maître d’œuvre, puisqu’il y assure notamment le travail d’acteur, réalisateur et co-scénariste. En effet, le monde de SANS UN BRUIT est né au départ dans l’esprit de deux scénaristes et réalisateurs qui n’avaient à l’époque que quelques modestes productions à leur actif : Scott Beck et Bryan Woods. Les deux compères, qui travaillent toujours ensemble, racontent que l’impulsion est apparue quand ils étaient à l’université: “… alors qu’on devenait obsédés par le cinéma muet de Charlie Chaplin, F.W. Murnau, Buster Keaton et Jacques Tati. Ces cinéastes étaient des maîtres du storytelling visuel, ils n’avaient pas besoin d’une seule ligne de dialogue pour communiquer personnage, émotion ou intention. Le cinéma n’avait jamais paru si pur (…) et on se demandait si on pouvait adapter les techniques visuelles du cinéma muet du début du 20ème siècle au contexte d’un film de genre moderne. Et ainsi, A Quiet Place [SANS UN BRUIT] est né.3Indiewire – https://www.indiewire.com/2018/04/a-quiet-place-screenwriters-emily-blunt-john-krasinski-bryan-woods-scott-beck-1201948205/

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John Krasinski et Emily Blunt © Paramount.

Mise en forme à partir d’inspirations pour le moins ambitieuses, la saga part donc d’un scénario spéculatif — un script proposé à un studio — initié par deux passionnés et écrit au début de l’année 2016. Il sera présenté à Krasinski quelques mois plus tard, et celui-ci tombera amoureux de l’histoire, déclarant que c’est de loin la chose la plus personnelle qu’il ait faite, même s’il ne croyait pas du tout en sa capacité à relever le défi au début. Puis, un peu à la manière de Tabitha King quand elle découvrit le manuscrit de son mari Stephen intitulé Carrie et l’encouragea à le terminer, Emily Blunt lut le scénario réécrit en partie par Krasinski (dans un avion, quand ils allaient aux locaux de la Paramount) et le convainc de se charger de la réalisation lui-même. Mari et femme finissant donc par interpréter un couple à l’écran, Lee et Evelyn Abbott, donnant au film un élément personnel supplémentaire. Et si celui-ci n’est pas là pour développer un grand drame et n’approfondit donc pas énormément les personnages, les scènes intimistes sont cependant réalisées avec une sobriété bienvenue, à l’image de celle, très jolie, dans laquelle Lee et Evelyn partagent un slow au son de la magnifique chanson Harvest Moon de Neil Young. Ou encore au vu du personnage d’Emmett (Cillian Murphy), dans le deuxième film, assez vite identifié comme une redite de celui de Krasinski, mais qui n’en demeure pas moins très attachant et solidement interprété par l’excellent Murphy, un des meilleurs acteurs de sa génération (tout comme Emily Blunt). 

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John Krasinski © Paramount.

Du côté de la mise en scène aussi les deux films se montrent inspirés. Sobres, n’abusant pas des insupportables jump scares se répandant à foison depuis des années et privilégiant la tension à la violence, Krasinski se dévoile également doué à ce jeu là, en témoigne la séquence qui ouvre le second film, aussi longue que maîtrisée sur tous les aspects (en témoigne le moment où les Abbott essaient d’éviter le bus: une scène filmée pour de vrai et en plan-séquence). Se dégage alors une certaine pureté, tant au niveau des choix sonores dus par le concept (on doit éviter de parler donc parlons que quand on a une bonne raison de le faire — appréciable dans une société où les réseaux sociaux poussent à faire le contraire) que dans le traitement des personnages: on n’est pas là pour les développer énormément, mais le peu qui est montré rappelle l’importance de certains comportements, telle l’entraide notamment. Simple, certes, mais sincère et émouvant.

Les annonces concernant les futurs réalisateurs à entrer dans l’univers témoignent également visiblement d’une vraie envie de cinéma. Car c’était au départ le merveilleux Jeff Nichols, auteur entre autres des passionnants Midnight Special ou Take Shelter, qui avait été approché par Krasinski avant de se détacher du spin-off qu’il devait écrire et réaliser pour se consacrer à un autre projet de science-fiction. Mais même si visiblement Nichols n’aura pas l’occasion d’apporter sa vision (pour l’instant ?), c’est finalement Michael Sarnoski, le réalisateur de l’estimé Pig porté par Nicolas Cage, qui l’a remplacé. Et donc un homme capable, dès son premier long, de tisser des intrigues basées sur l’aspect humain. Plutôt rassurant à priori.

Le monde silencieux de SANS UN BRUIT semble donc être en mesure d’évoluer de belle manière et une filiation avec une autre franchise peut même être tentée. En effet, une rumeur évoquait pendant un temps un rapprochement avec un autre univers passionnant: celui de Cloverfield (le réjouissant 10 Cloverfield Lane étant sorti la même année). Et si dans l’interview, Krasinski affirme que la rumeur en est restée une, le cas est intéressant car la franchise initiée par le bon Jeffrey Jacob Abrams, toujours dans les bons coups, a su élaborer un univers unique et enthousiasmant malgré un développement presque autant bordélique que l’état dans lequel se retrouve New York après le passage du monstre dans le premier film. En effet, 10 Cloverfield Lane, réalisé à l’époque par l’inconnu mais inspiré Dan Trachtenberg, était en fait au départ un thriller indépendant au scénario titré The Cellar. Il a fallu plusieurs retouches — dont l’apport de Damien Chazelle, qui avait déjà épaté le monde entier avec le grandiose Whiplash — pour l’intégrer à cet univers, mais ça n’était pas prévu à la base (l’effet inverse se produira avec Overlord). Quant au décevant The Cloverfield Paradox, lui non plus n’était pas un film Cloverfield au départ, et beaucoup pensent que ses défauts viennent de là et que c’est pour cette raison qu’il a été lâché sur Netflix — et non au cinéma  — un peu à la va-vite, même si sa promotion et sa sortie ont su jouer avec l’effet de mystère et de surprise, fait trop rare aujourd’hui.

En résulte donc, avec cet univers (dont l’idée initiale vient d’Abrams lorsqu’il est passé devant une vitrine de magasin de jouets avec son fils au Japon, et, voyant Godzilla, a eu envie de créer un équivalent américain) un paradoxe assez passionnant, surtout dans cette époque marquée par l’exploitations de franchises avec de moins en moins de subtilités: malgré les errements de développement au fil des années — et pour absolument chaque film sans exception —, le monde Cloverfield demeure un univers fascinant et à potentiel, changeant notamment de genres ou de réalisateurs pour toujours essayer quelque chose de nouveau (un quatrième film, “officiel”, est normalement prévu). Abrams, peut-être encore meilleur producteur et scénariste que réalisateur, n’ayant pas son pareil pour mettre sur pied des créations épatantes sans jamais se départir de sa motivation, en essayant de toujours proposer des histoires intéressantes, mystérieuses et sous différentes formes (en témoigne par exemple son essai du côté de la littérature où il a co-écrit un livre interactif sous forme d’enquêtes). Reste à espérer que John Krasinski et les producteurs, comme Abrams (que Krasinski avoue adorer), garderons cet enthousiasme réel à raconter des histoires engageantes et toujours avec une vraie démarche tout en s’amusant (Abrams et son équipe ayant par exemple à l’époque abattu un gros travail pour le premier Cloverfield en orchestrant une campagne promo qui incluait directement le public, celui-ci étant encouragé à enquêter lui-même pour déchiffrer les indices disséminés par la production).

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Krasinski pose un regard pas forcément original mais néanmoins touchant sur la cellule familale © Paramount.

On pourra donc avancer que, tant que les intentions des équipes à l’œuvre seront louables, on sera heureux de voir (et d’incarner, même, grâce au jeu vidéo à venir) nos bons protagonistes continuer de progresser à travers deux types de dangers qui les menacent sérieusement: les créatures mortelles, et les franchises nulles. D’autant plus que peu de monde aurait imaginé l’homme surtout connu pour avoir incarné Jim Halpert dans The Office — c’est-à-dire quand même un mec complètement à l’opposé de ce qu’on imagine pour un film d’épouvante — capable d’exploiter un univers horrifique avec autant de réussite et d’application. Nouvelle preuve qu’avec un peu de volonté et d’ouverture d’esprit, les surprises sont toujours prêtes à briller. Il n’y a plus qu’à croiser les doigts et espérer que cette saga continue d’en faire… du bruit (il fallait bien la placer).

Simon Beauchamps

Sans un Bruit

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