Après un premier film de Rupert Wyatt prometteur mais trop sage et deux suites de Matt Reeves audacieuses, au ton unique et rares pour des blockbusters, le nouveau visage de la saga La Planète des Singes continue son chemin passionnant, cette fois sous la direction de Wes Ball. Et alors qu’on pouvait peut-être douter d’un homme qui avait jusque-là surtout réalisé les Labyrinthe, le cinéaste muscle son jeu et confirme que la franchise est une des rares du moment à proposer de tels récits.
Car pour faire un rapide récapitulatif, c’est en 2011 qu’Hollywood s’empare à nouveau de l’univers créé par le romancier français Pierre Boulle en 1964 – et pour la première fois porté à l’écran en 1968 – pour en faire une nouvelle franchise. Sauf qu’à la place des énièmes propriétés intellectuelles saccagées par des studios principalement avides de rentabilité, la nouvelle saga La Planète des singes se démarque par sa capacité à proposer des récits ambitieux portés par des effets visuels époustouflants – voire révolutionnaires.
L’impulsion est née en 2005. Lorsque le scénariste Rick Jaffa, qui n’avait jusque-là pas grand chose à son actif, tombe sur des articles sur le comportement des chimpanzés en environnement humain, l’envie naît de transposer ça dans l’univers de La Planète des Singes. Inspiré, il va, avec son épouse Amanda Silver, approcher la 20th Century Fox qui acceptera le projet mais leur demandera des retouches. Modifications qui prendront 4 années (!) et une trentaine de versions différentes… Puis, alors qu’il devait être une préquelle au premier film de 1968 et intitulé César, le film devient un reboot appelé Rise of the Planet of the Apes. La nouvelle Planète des Singes est née.
La planète des grandes sagas
Le premier de cette nouvelle saga, intitulé Les Origines chez nous, plantait les graines d’un futur prometteur, entre scénario solide (César est un protagoniste mémorable), ton sérieux et assumé (on n’était pas là pour raconter des conneries) et effets spéciaux déjà fous. Mais le long-métrage demeurait assez sage et restait dans un carcan plutôt classique de blockbuster du genre. Puis en 2014, est arrivé Matt Reeves. Avec Dawn of the Planet of the Apes (L’Affrontement en VF), le futur réalisateur de The Batman donnait une autre ampleur à l’univers en proposant une histoire plus mature et sombre, presque dépressive, au rythme lent et à la mise en scène soignée. Travail qu’il poursuivra trois ans plus tard avec War for the Planet of the Apes (Suprématie) et un récit toujours aussi ancré dans un réalisme très prenant, basculant cette fois dans le film de guerre, le personnage de Woody Harrelson se chargeant de l’affiliation avec Apocalypse Now par exemple. Et si on peut notamment reprocher une certaine froideur empêchant l’adhésion totale et notamment émotionnelle (même si les péripéties concernant César et les siens sont marquantes) dans les deux derniers films, ces derniers ont déployé une atmosphère rare dans l’industrie, le studio se permettant des récits denses et exigeants, au risque de ne pas assez marquer le public (comme les nouveaux Mad Max de George Miller). Et il est vrai que les deux derniers films manquaient peut-être d’une âme plus chaleureuse (l’auteur de ces lignes les a par exemple faits découvert à sa copine qui n’a pas réussi à accrocher), malgré la qualité des interprétations des acteurs dans leurs combinaisons de motion capture rendant les personnages simiesques incroyablement crédibles. Mais ça tombe bien, si le nouvel opus de Wes Ball n’atteint pas l’ampleur de ceux de Reeves et perd en profondeur, il trouve un meilleur équilibre entre proposition audacieuse et blockbuster grand public. D’autant qu’en apprenant que Disney avait racheté la Fox en 2019, on pouvait craindre le pire. Heureusement, il n’en est rien.
Noa, personnage bien sympa
Puisqu’on a fait un bond de plusieurs générations dans le futur, César n’est plus. Mais la figure du chef de tout un peuple est toujours présente : le film démarre par la crémation de son corps avant d’avancer de presque 300 ans, où on découvrira un nouvel antagoniste, cette fois un singe et plus un homme, ayant détourné les idées et le combat de César. Et donc là où ce dernier était un formidable protagoniste mais aussi une figure martyrisée vieillissante rencontrant la souffrance presque sans arrêt sur son passage, Noa (Owen Teague) est un jeune chimpanzé – lui aussi doué de parole puisque celle-ci est maintenant répandue chez les singes – qui doit faire ses preuves. Et alors qu’on le suit lors d’une épreuve rituelle de passage puis dans le monde qu’il découvre lorsqu’il s’aventure loin de chez lui, on embrasse son innocence et grâce à ça on retrouve un souffle aventureux qui manquait peut-être aux précédents films. LE NOUVEAU ROYAUME est moins sombre, moins pesant, et s’il contient lui aussi son lot d’événements tragiques, il parvient à atteindre un équilibre assez intéressant puisque rare dans l’industrie contemporaine, à savoir mêler action et rebondissements à un rythme plus lent et des thématiques plus profondes. La mise en scène de Reeves, tout en lenteur maîtrisée et toujours ancrée à la matière et aux corps des personnages marquait et décuplait le souffle de l’histoire racontée (en lorgnant aussi vers le western par exemple), se transforme ici en réalisation aux partis pris moins marquants mais de fait moins pesante. Et Wes Ball est un choix intéressant. Un peu à l’image d’un Gareth Edwards (Godzilla, Rogue One, The Creator), Ball est surdoué avec les effets visuels et a commencé sa carrière par quelques court-métrages dont un, Ruin, qui l’a fait repérer par la 20th Century Fox. Il a ensuite réalisé la trilogie Le Labyrinthe, et est maintenant le futur réalisateur d’un film Zelda. Ici, Ball poursuit le travail de Reeves qui laissait sa caméra à la hauteur de ses personnages, permettant une identification constante. La mise en scène conserve ça tout en se permettant bien sûr des élans propres aux capacités supérieures aux humains de ses protagonistes simiesques (comme dans la séquence d’ouverture par exemple, où Noa et ses amis escaladent des immeubles en ruines qui rappellent immanquablement The Last of Us où Horizon Zero Dawn). Les effets visuels sont tels que l’immersion est parfaite et le spectateur est fasciné par ces personnages toujours aussi crédibles qu’il voit progresser, à l’image de Noa, très attachant, notamment par son manque d’expérience, sa naïveté mais aussi son « humanité ». Jeune ado en manque de confiance, le chimpanzé est un nouveau tour de force technologique, encore plus à une époque où les studios négligent les effets numériques et ne respectent pas le travail des artistes.
À écouter – La Planète des Singes : la trilogie qui a conquis Hollywood (3/3)
Together strong
La saga conserve donc toute sa richesse thématique en continuant d’explorer la vie d’après. C’est ainsi qu’alors que dans les derniers films, l’espèce humaine était encore celle qu’elle était (pour le meilleur comme pour le pire), elle a ici, ça y est, régressé à l’état sauvage, le film mettant en scène un nombre limité de personnages humains, certains redevenus primitifs (le groupe croisé par Noa, Raka et Mae) et d’autres se battant pour leur redonner la parole (Mae, justement). Et le spectateur de se retrouver fasciné voire bouleversé en voyant ce qu’il pourrait arriver à notre espèce. Et si l’écriture des personnages n’est pas toujours exemplaire, ces derniers sont globalement réussis et continuent d’éviter les clichés souvent vus dans ce genre de propositions. C’est important de le rappeler, car si la saga ne bénéficie sûrement pas du succès qu’elle mérite, notamment populaire, elle est pourtant une des rares à respecter son matériau et son public. A l’image de Mae donc, personnage féminin dont la caractérisation menaçait d’embrasser le stéréotype vu et revu (déjà détourné par le précédent opus d’ailleurs) de la petite fille qui sauve le monde (The Last of Us, Logan,The Last Girl…). Plutôt rigoureusement voire surprenamment écrite à certains moments (cf la scène où elle commet un certain acte en particulier) et impeccablement interprété par Freya Allan (jeune britannique de 22 ans jusque-là connue pour son rôle de Ciri dans la série The Witcher), Mae dégage quelque chose d’assez marquant, tout en retenu, le personnage cachant son véritable but pendant un bon moment. Du côté de l’antagoniste, Proximus César (Kevin Durand, toujours bon pour jouer les salopards), là aussi le carcan de base est solide, avec ce roi tyrannique mais aux nuances intéressantes et au but compréhensible. Loin de n’être (en tout cas dans son potentiel de base) qu’un tortionnaire violent, celui qui a détourné les idées de César se montre assez marquant dans les scènes où il discute avec les protagonistes et fait montre d’un véritable charisme et d’une intelligence indéniable. Mais LE NOUVEAU ROYAUME n’atteint pas la profondeur du personnage d’Harrelson dans Suprématie, et finit surtout en potentiel un peu gâché. Cette dixième incursion dans l’univers continue de poser des questions passionnantes, mais aurait pu (dû ?) aller plus loin dans l’exploration de ses thématiques, Proximus Cesar ou Trevathan (William H. Macy), l’autre personnage humain, ne bénéficiant pas d’un traitement approfondi.
Reste que l’ensemble est de qualité et la fin donne envie de voir la suite. Alors que les scénaristes Rick Jaffa et Amanda Silver ont déclaré avoir des idées pour neuf films et que Wes Ball est prêt à rempiler, il ne reste plus qu’à espérer que le travail sur les possibles futurs films sera toujours bien fait, car, alors que l’avenir de notre est toujours de plus en plus incertain, les belles et bonnes histoires nous donnant des pistes réflexives sur comment le transformer sont toujours bonnes à prendre…
Simon BEAUCHAMPS