Boycotté dans son propre pays suite aux accusations de pédophilie qui ont refait surface avec le mouvement #MeToo, Amazon Studio a abandonné la sortie en salle du film. Néanmoins présenté au Festival Américain de Deauville, UN JOUR DE PLUIE À NEW YORK trouve refuge en France et en Europe où il est distribué.
Avec un rythme de production prolifique qui voit s’enchaîner en moyenne un long-métrage par an depuis plus de 50 ans, les sorties de ses films sont de véritables rendez-vous annuels. Chaque année il y a cette constante, tout comme chaque année il y a le festival de Cannes ou la cérémonie des Oscars, on sait que quoi qu’il arrive, on ira voir le dernier Woody Allen. Un rituel cinéphilique savamment orchestré qui joue avec notre nostalgie de spectateur et notre plaisir, éternellement renouvelé, de le retrouver.
Il faut considérer cette impressionnante filmographie à la lumière de son amour pour le jazz. Les films de Woody Allen sont comme des variations, des mélodies, des thèmes et des motifs qui reviennent déclinés et transposés. Il y a des airs en majeur, d’autres en mineur, certains sont de purs Dixie quand d’autres sont de vrais Gypsy. Et comme pour une vieille rengaine réorchestrée, on retrouve avec le plus grand des plaisirs, un univers et des sensations que l’on connaît bien. Une fiction à la fois neuve et familière dans laquelle on se laisse porter dès les premières notes entonnées.
Soulignons également l’importance du théâtre pour le réalisateur qui a écrit et mis en scène de nombreuses pièces. Woody Allen est avant tout un dramaturge, cela se ressent dans la structure de ses intrigues et la construction des scènes. Si Wonder Wheel faisait directement référence à Tenessee Williams, UN JOUR DE PLUIE À NEW YORK dialogue manifestement en substance avec l’œuvre de F. Scott Fitzgerald. Une idole littéraire déjà ressuscitée sous les traits de Tom Hiddleston dans Midnight in Paris. Avec ses personnages archétypaux, son comique de situation et ses quiproquos, ce dernier long-métrage est, dans sa forme, façonné à la manière d’un vaudeville.
Elle Fanning incarne Ashleigh Enright, une jeune étudiante en journalisme invitée à New York pour interviewer un célèbre réalisateur. Son petit ami Gatsby, interprété par Timothée Chalamet, est ravi de lui faire découvrir sa ville le temps d’un week-end romantique. Bien entendu rien ne va se dérouler selon les plans du jeune homme car les deux amants vont vivre leur séjour chacun de leur côté. Ashleigh, c’est la jeune ingénue portée par sa passion, émerveillée face à l’univers qu’elle découvre et dont elle prend part aussitôt. Gatsby est quant à lui un rêveur romantique qui ne se sent pas à sa place dans son milieu social mondain et sophistiqué. Il préfère la moiteur des piano bars enfumés et la douceur des fictions qu’il joue dans son imaginaire new-yorkais.
Le cinéma de Woody Allen est souvent composé de dualités. Les couples qu’il élabore fonctionnent sur des principes d’attraction/répulsion. Gatsby ne supporte pas les milieux mondains tandis qu’Ashleigh s’y épanouit avec délectation, le duo est fondamentalement dysfonctionnel. Si l’auteur s’amuse à éclater la structure du couple c’est pour recomposer de nouvelles paires, cette fois-ci complémentaires et idéales, mais hélas contrariées par la situation initiale. Chez Woody le vaudeville n’est jamais très loin de la tragédie, à l’image de l’inoubliable Match Point.
Une autre dialectique récurrente dans la filmographie du New-Yorkais, la rencontre de la jeunesse et de la vieillesse. Le début et la fin, l’espoir et les regrets, le possible et le fini, désir de vie contre angoisse de la mort. La journaliste se retrouve face à la figure de l’artiste vieillissant, cynique et désabusé. Elle, incarne une vérité originelle perdue à jamais. Pour lui, une authenticité implacable qui ne peut plus être aperçue que dans le regard de celui ou celle qui l’admire.
À la manière d’un Tchekhov qui décline les mêmes questionnements existentiels dans de nouvelles moutures, l’exploration du metteur en scène se poursuit jusqu’à une dimension psychanalytique à travers une émouvante révélation. Sans oublier l’humour qu’on lui connaît et qui le caractérise, cheminant entre légèreté et élégance, caustique et incisif, subtil et maîtrisé. Il y a toujours ce sens de la punchline associé à celui du rythme, des trouvailles visuelles et des gimmicks bien disséminés.
Après s’être retourné sur son enfance à Coney Island, on retrouve pour notre plus grand plaisir les trottoirs de Manhattan. Une relation passionnelle qui se mélange avec celle pour le cinéma. New York n’est rien de plus qu’une idée, une sensation, un territoire de l’imaginaire qui prend vie aux premières notes jouées dans un piano bar vide de Park Avenue. A chaque seconde, Woody Allen partage avec nous son amour pour le septième art, cette étrange rêverie qui rend la vie plus vivable en la réchauffant de sa lumière enchanteresse. Une exaltation du romantisme, une mélancolie sans l’amertume, suave et apaisée… Mais, qu’est-ce que vous faites encore là ? Allez, allez ! Vous devriez déjà être en train d’acheter votre billet dans ce petit cinéma qui fait l’angle, pas loin de chez vous.
Hadrien Salducci
• Réalisation : Woody Allen
• Scénario : Woody Allen
• Acteurs principaux : Timothée Chalamet, Elle Fanning, Selena Gomez, Jude Law, Diego Luna
• Date de sortie : 18 septembre 2019
• Durée : 1h32min