Cacher la menace ou bien la laisser entrevoir par le spectateur ? Telle est la question du cinéma fantastique et d’épouvante.
Après un siècle d’existence, le cinéma d’épouvante continue aujourd’hui à émouvoir les spectateurs en leur proposant encore et toujours de nouvelles façons de les faire frissonner. Ces nouvelles propositions passent parfois par de pures questions de mise en scène, et dans d’autres cas elles découlent d’une idée fondamentale à l’histoire qui nous est contée ; et quand la vision du cinéaste est cohérente, le propos du scénario et les choix de réalisation convergent vers une même réussite esthétique. Pour ce type de récits, une question essentielle se pose dès le début du processus créatif, et elle est même souvent le moteur premier de la motivation des auteurs à venir s’essayer à une nouvelle approche du genre. Quelle menace, quel antagoniste choisir pour garantir sa dose de frissons au public ? Et comment représenter cette menace à l’écran pour que l’effet soit le plus efficace possible ?
Ne pas en montrer assez, c’est risquer que la tension s’essouffle et que l’ennuie prenne progressivement la place de l’attention chez le spectateur. À contrario, trop en montrer, peut gâcher la montée de la tension et faire basculer le film vers un spectacle horrifique plus graphique, plus explicite, gore ou bouffon, et perdre au passage l’adhésion d’un public acquis à la cause d’une épouvante plus subtile, plus insidieuse, qui est autant là pour mettre en ébullition leur imaginaire, que pour flatter leurs rétines perméables. Je vous invite ici à un tour d’horizon des approches proposées par différents cinéastes de différentes époques, questionnant par le biais du genre, les représentations de la présence, de l’ombre et de l’absence à l’écran.
Fort heureusement, tous les récits portés à l’écran ne commencent pas par la présentation claire et précise du mal que le protagoniste va devoir affronter par la suite. L’horreur, qu’elle soit de nature fantastique ou non, ne serait alors qu’un exercice de style scolaire où les réalisateurs se contenteraient de sempiternelles figures classiques du genre (vampires, sorcières, démons, serial killers etc) et seraient de fait contraints d’obéir à un cahier des charges restreint et impitoyable quant à la représentation de ces antagonistes. Mais les amateurs d’épouvante ont depuis longtemps compris que l’angoisse réside en grande partie dans le caractère inconnu et insaisissable d’une menace, et qu’il est pour cela plus judicieux d’installer progressivement la menace dans le récit. L’installer dans les dialogues, le décor, dans l’ambiance du film afin que le spectateur attende et redoute sa manifestation physique.
Mais dans certaines œuvres, non seulement l’atmosphère inquiétante prend son temps pour annoncer la menace, mais de plus, cette lente progression ne débouche pas sur une manifestation physique évidente de la menace. Pour son film Fog, John Carpenter choisit dans un premier temps, de ne pas personnifier la menace qui plane sur le village de pêcheurs dans lequel l’histoire prend place. Les fantômes d’un équipage de marins apparaîtront par la suite, mais comme le titre anglophone l’indique, il est avant tout question d’un brouillard dont l’aspect lumineux et envahissant, le distingue au brouillard habituel de la côte californienne et augure des événements néfastes.
Il n’est donc pas indispensable de donner la forme individuelle d’une créature tangible à la menace pour en garantir son caractère spectaculaire et cinégénique. Avec La Maison du diable, Robert Wise contourne lui aussi la question d’une personnification du mal, en attribuant le rôle d’antagoniste au décor. Ainsi l’atmosphère gothique qui règne dans le manoir suffit à perturber la santé mentale de Nell, la protagoniste. Pas besoin d’ajouter au récit la présence de créatures malveillantes. Wise réussit à faire du manoir, un personnage à part entière et le trouble qui opère dans le film vient justement du fait qu’il est difficile de savoir si ce « méta »-personnage est doué d’une conscience propre, ou si le décor n’est en réalité que le réceptacle de la conscience de Nell, son occupante.
Pour autant, un décor peut avoir une importance capitale sur une intrigue sans forcement endosser à lui seul le rôle de la menace. Pour exemple probant, l’intrigue de Rebecca d’Alfred Hitchcock investit le décor impressionnant et angoissant de Manderley, un château de Cournouailles, auquel l’héroïne Mrs de Winter peine à s’adapter. L’atmosphère lourde qui règne sur les lieux s’explique par le souvenir de la précédente maîtresse des lieux, Rebecca qui continue de hanter les lieux. Le château de Manderley sert ici à figurer le malaise vécue par l’héroïne, qui provient de son incapacité à se confronter physiquement à son antagoniste, à la fois absente à l’écran et dans le récit puisque morte, et omniprésente dans les dialogues, les esprits des autres personnages et la mémoire du château, au point de donner son titre au film.
Cependant, lorsque la menace est personnifiée, incarnée dans le récit par une ou plusieurs créatures, sa présence à l’écran ne va pas forcement de soi, et c’est dès lors dans cette absence ou dissimulation que peut résider le concept original de l’œuvre. On peut citer l’exemple de The Thing de John Carpenter, dont l’action est circonscrite à une station de recherche en Antarctique, où un extraterrestre hostile s’est introduit. Malgré ce décor limité, la menace reste paradoxalement difficile à trouver, identifier et anéantir, puisque la forme de vie en question est capable de prendre l’apparence de différents hôtes terriens. Tout l’intérêt du film vient donc du simulacre constant auquel MacReady, le protagoniste, doit faire face en tentant de démasquer la créature, qui prend successivement les apparences de ses équipiers. Ce n’est qu’une fois démasquée et lorsqu’elle se sent acculée, que la créature dévoilé enfin son aspect polymorphe terrifiant.
L’entité maléfique qui vient bouleverser la vie du protagoniste peut donc se montrer sournoise et prendre l’apparence d’un autre personnage qui a été présenté au spectateur, sinon comme un allié, du moins comme un élément inoffensif lors de la mise en place du récit. Mais certaines œuvres vont encore plus loin dans le délire paranoïaque et ne révèlent jamais vraiment le vrai visage de cette menace. C’est le cas de L’Invasion des Profanateurs de Philip Kaufman, où un groupe de protagonistes découvrent que San Francisco est envahi par des extraterrestres, qui remplacent discrètement les humains par des copies conformes reliées à la même conscience collective. Contrairement à The Thing dont les scènes de transformations étaient prétexte à l’horreur graphique (grâce aux prouesses du génial directeur des effets spéciaux Rob Bottin), dans le film de Kaufman, la menace continue son simulacre jusqu’à la dernière minute. Et seules quelques dissonances dans le comportement de l’entourage des protagonistes permettent à ces derniers de discerner les copies aliens. Attention SPOILER : La scène finale est particulièrement nihiliste puisque Matthew, le personnage principal trahit sa véritable nature en poussant un cri inhumain. L’antagoniste est bien présent, au centre du cadre, et sans qu’on l’ait vu venir, il a même condamné toutes les issues du récit. Glaçant.
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