Photo du film PINOCCHIO
Crédits : Walt Disney Company

PINOCCHIO, quand le pantin de synthèse nous laisse de marbre – Critique

Dix-huit ans après leur dernière collaboration sur Le Pôle Express, RobertZemeckis retrouve son acteur fétiche Tom Hanks dans un remake live-action fade et sans relief du PINOCCHIO de Ben Sharpsteen et Hamilton Luske sorti en 1940. Malgré une volonté manifeste de rester fidèle aux aventures du célèbre petit pantin de bois dépourvu de conscience ainsi qu’à l’esthétique du chef-d’œuvre du cinéma d’animation produit par Walt Disney, le père de Roger Rabbit ne parvient pas à restituer pleinement la saveur féérique du conte. En effet, ce Pinocchio de synthèse fabriqué pour Disney+ n’a pas la poésie de son lapin zozotant. 

Geppetto, un vieux menuisier solitaire, sculpte le bois et fabrique toutes sortes d’horloges, pendules, mécanismes, automates et autres jouets. Son vœu le plus cher est d’avoir un fils. Aussi décide-t-il de créer une marionnette à l’image d’un petit garçon qu’il baptise Pinocchio. À la nuit tombée, l’envoûtante Fée Bleue, dont la beauté vaporeuse n’a d’égale que la lumière irréelle des étoiles, visite la maison de Geppetto et d’un coup de baguette magique donne la vie au petit pantin de bois. Elle charge le grillon Jiminy Cricket, sa conscience, de le préserver des dangers du monde extérieur. Ils partent alors tous deux à l’aventure. Pour devenir un véritable petit garçon, Pinocchio devra se montrer brave, honnête, loyal et obéissant sur un chemin semé d’embûches qui le conduira aux portes de l’île aux Plaisirs, gigantesque Luna Park où les enfants peuvent assouvir leurs pulsions destructrices. Au cours de sa quête, le candide pantin sera fait prisonnier par le tyrannique marionnettiste Stromboli, puis avalé par Monstro, une redoutable baleine.

Soucieux de respecter à la lettre le cahier des charges de la plateforme de streaming, le réalisateur de la trilogie Retour vers le futur reprend à la fois la structure dramatique et la richesse iconographique du grand classique de Walt Disney sans pour autant jamais repousser les limites de son génie narratif (Qui veut la peau de Roger Rabbit?) ni démontrer sa virtuosité technique (Le Drôle de Noël de Scrooge).

Photo du film PINOCCHIO
Crédits : Walt Disney Company

Là où le fondement esthétique du PINOCCHIO original, basé sur l’idéologie du lifelike, consistait à maintenir l’équilibre entre graphismes glamour, mélodies émouvantes ponctuant l’intrigue, gags issus de la tradition du cartoon et séquences plus sombres voire effrayantes pour figurer toutes les valeurs du divertissement (humour, pathos et beauté), Robert Zemeckis s’embourbe dans les clichés d’un énième remake aseptisé et sans relief, piétine le réalisme magique du récit d’apprentissage de Carlo Collodi et abandonne en chemin son propos sur les mystères et les paradoxes qui habitent l’être humain. 

Ici en effet, à défaut d’être le sujet même du film, la profonde noirceur et l’atmosphère cauchemardesque qui ont façonné l’œuvre de Sharpsteen et Luske ne sont qu’un décor plat, à l’image de cette Italie-carton pâte dans laquelle gesticule gaiement notre pantin virtuel. Zemeckis se cherche lui aussi, hésitant entre l’architecture germanique héritée de Disney — la ville médiévale bavaroise de Rothenburg ayant inspiré les croquis préparatoires de l’illustrateur et animateur suédois Gustaf Tenggren —, les villages fortifiés typiques de la campagne toscane ou encore les places, ruelles et canaux étroits évoquant les quartiers intérieurs de la Sérénissime (la séquence dans laquelle Pinocchio et son acolyte Crapule embarquent dans une nacelle en forme de gondole pour explorer l’Île Enchantée n’est d’ailleurs pas sans rappeler le feu d’artifice de la fête du Rédempteur). Ces tâtonnements dans la recherche visuelle se révèlent d’autant plus dommageables qu’ils n’apportent aucune innovation sur le plan esthétique. 

Le metteur en scène revisite tout d’abord le classicisme formel du prologue de PINOCCHIO en prenant soin de conserver le point de vue subjectif du personnage-narrateur, le grillon à la fois vagabond et dandy dénommé Jiminy Cricket. L’histoire débute dans le petit chalet pittoresque de Geppetto. Exit hélas le magnifique livre de contes de fées, objet de prestige, de rêverie, devenu depuis Blanche-Neige et les Sept Nains, un véritable leitmotiv du préambule chez Disney et dont le mouvement gracieux, semblable à celui du rideau de théâtre, est aussi celui d’une ouverture sur le monde, une fiction, une autre réalité. Au centre de la pièce, pourtant, la fenêtre ouverte sert de métaphore narrative à la prière, expression symbolique des désirs enfouis du vieil homme. Cherchant tant bien que mal à imiter la volupté des travellings virtuels de la multiplane, la caméra s’attarde sur les mille bibelots et détails qui surchargent la scénographie de l’atelier de Geppetto ; Zemeckis en profite alors pour dissimuler dans son décor en clair-obscur une multitude de références aussi inattendues qu’anachroniques. Outre cette symphonie mécanique de coucous Disney, crossover incongru façon Roger Rabbit ici particulièrement maladroit et indigeste, le compositeur Alan Silvestri supprime de la trame sonore deux chansons cultes (« Petit pantin de bois », « Sifflez vite vite ») et écourte le célèbre hymne du studio « Quand on prie la bonne étoile », interprété non plus par l’insecte mais par Cynthia Erivo alias la Fée Bleue. Le chat Figaro et le poisson rouge Cléo, les deux fidèles compagnons anthropomorphisés de Geppetto, demeurent quant à eux de simples figurants habillant les plans de coupe. 

Photo du film PINOCCHIO
Crédits : Walt Disney Company

Après ce fastidieux exercice de cinéma au cours duquel Tom Hanks semble s’ennuyer atrocement, Robert Zemeckis se permet quelques libertés, introduisant de nouveaux personnages insignifiants tels que la mouette Sofia, la ballerine Sabina et la marionnettiste handicapée Fabiana pour tenter de moderniser la fable à grands coups d’effets spéciaux. Formant un enchaînement dynamique, les péripéties qui mènent à la prise de conscience progressive de Pinocchio se succèdent sans anicroche (dans la version originale, la menace plane au-dessus de chaque scène : le départ pour l’école, le spectacle de marionnettes, la sinistre roulotte de Stromboli, la partie de billard, la transformation en âne, l’estomac de la monstrueuse baleine) mais le spectateur, mécaniquement promené d’une case à l’autre comme sur le plateau d’un jeu de l’oie, ne s’émerveille jamais. Thématiques déjà au cœur du remake de Dumbo — dans lequel Burton s’attaquait à l’industrie du divertissement en réduisant en cendres Dreamland, parc d’attractions à la silhouette steampunk rappelant très explicitement Disneyland —, la cruauté du monde du spectacle, la réflexion sur le métier d’acteur et le jeu d’opposition ruralité/urbanité n’intéressent pas non plus Zemeckis qui néglige complètement le caractère ambigu du personnage de Pinocchio, « l’affranchi », le dévergondé, ici allergique au tabac et bien trop sage, trop innocent pour susciter la moindre empathie, la moindre émotion. De même, le scénario n’étudie pas en profondeur le deuil et la solitude de Geppetto, ni même la psychologie des opposants à savoir la perfidie de Grand Coquin, la cupidité de Stromboli ou encore l’arrogance de Crapule. 

En somme, on ne sent que trop ponctuellement vibrer ici la nécessité de revisiter le conte initiatique de Collodi en reprenant le graphisme à la fois féérique et sombre du chef-d’œuvre de Walt Disney, au-delà de l’envie manifeste d’utiliser les nouvelles technologies pour tenter de capter la nouvelle génération.

Sévan Lesaffre

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pinocchio affiche - PINOCCHIO, quand le pantin de synthèse nous laisse de marbre - Critique
Titre original : Pinocchio
Réalisation : Robert Zemeckis
Scénario : Carlo Collodi, Robert Zemeckis
Acteurs principaux : Tom Hanks, Benjamin Evan Ainsworth, Joseph Gordon-Levitt
Date de sortie : 8 septembre 2022
Durée : 1h51min
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