Un panier surprise. Une comparaison moins bancale qu’il n’y paraît pour qualifier la prochaine édition du Festival de Cannes. Du 13 au 24 mai 2025, des milliers de festivaliers retrouveront des visages bien connus… et pas mal de nouveautés. De quoi titiller la curiosité.
L’année dernière, la Croisette avait des airs de dîner entre potes. Où Cronenberg, Coppola, Baker, Audiard… arpentaient le tapis rouge pour la énième fois. Et revenaient en Côte d’Azur comme on rentre à la maison.
Mais avec son cru 2025, Thierry Frémaux entend placer cette nouvelle édition sous le signe de la surprise. De nouvelles figures émergent notamment en Compétition officielle, avec des œuvres pour le moins prometteuses. La rédaction s’est prêtée au jeu des attentes, à l’approche de cette édition.
Les réalisateurs populaires attendus au tournant
Le Festival de Cannes a longtemps cultivé une image d’événement élitiste, parfois délibérément imperméable aux attentes du grand public. Pourtant, Cannes ne tourne pas le dos à la notoriété : certains cinéastes majeurs, dont la renommée dépasse largement les cercles cinéphiles, y trouvent une scène idéale pour faire évoluer leur cinéma tout en rencontrant un regard critique. Cette année, plusieurs d’entre eux reviennent avec des projets qui interrogent leur propre parcours.
C’est le cas de Wes Anderson qui, après Asteroid City (2023), jugé trop réflexif et détaché, semble vouloir renouer avec une narration plus accessible. The Phoenician Scheme promet un retour aux intrigues ciselées et à l’ironie poétique de ses débuts, tout en conservant son esthétique si reconnaissable et un casting XXL.
Autre figure forte du cinéma contemporain, Ari Aster continue sa mue avec Eddington, une œuvre qui devrait prolonger l’abandon progressif de l’horreur frontale pour des récits plus introspectifs, à l’image de Beau Is Afraid (2023).
Les frères Dardenne, quant à eux, incarnent depuis longtemps un cinéma social rigoureux et profondément humain, et Jeunes Mères semble s’inscrire dans cette lignée, avec un regard sur la parentalité sans doute plein de délicatesse.
Die, My Love (Lynne Ramsay) promet une plongée dans la psyché dévastée d’une femme marginalisée, avec une intensité émotionnelle qui rappelle les œuvres précédentes de la réalisatrice, comme We Need to Talk About Kevin (2011) ou You Were Never Really Here (2017). Adapté librement du roman d’Ariana Harwicz, ce nouveau film marque un retour très attendu.
Enfin, Spike Lee revient avec Highest 2 Lowest, qui sera une adaptation de Entre le Ciel et l’Enfer (High and Low, Akira Kurosawa, 1963). Fidèle à son cinéma politique, vibrant et frontal, on attend de Spike Lee un regard critique acerbe sur la société contemporaine.
Derrière la caméra
Eux aussi sont célèbres, mais de l’autre côté de la caméra ! Cette année, plusieurs acteurs enfilent la casquette de cinéaste. C’est le cas de Harris Dickinson, déjà remarqué pour son rôle principal dans la Palme d’Or Triangle of Sadness. Dans Urchin, présenté à Un Certain Regard, il raconte le parcours de Mike, un sans-abri londonien qui tente de changer de vie.
De renouveau, il est aussi question dans le premier long-métrage de Scarlett Johansson, Eleanor The Great (Un Certain Regard). On y suit Eleanor Morgenstein, 90 ans, toute de rose vêtue. La vieille dame tente de reconstruire sa vie après la mort de sa meilleure amie. Et retourne à New York après avoir vécu en Floride pendant des décennies.
On peut également mentionner la présence de Tawfeek Barhom dans la compétition des courts-métrages. Il y présentera I’m glad you’re dead now, où il se met en scène avec son frère Ashraf. Une histoire de secrets familiaux, dont on connaît peu de choses. Mention spéciale pour l’esthétique soignée de son affiche : un cercueil dérivant sur les flots, peint dans un style impressionniste.
Bastien Bouillon, le love interest ultime
Cette édition fait la part belle aux comédies romantiques. Un genre déclassé, qui retrouve ses lettres de noblesse sous la direction de Rebecca Zlotowski (Vie privée, en hors-compétition) ou de Michael Angelo Covino (Splitsville, à Cannes Première).
Dans ce torrent d’amour, il y a un comédien qui risque de se faire remarquer. Pas seulement parce qu’il apparaît dans le film d’ouverture, Partir un jour d’Amélie Bonnin. Mais plutôt parce qu’il joue deux rôles similaires, voire identiques. Dans ces longs-métrages, l’héroïne quitte la ville pour revenir dans son village d’enfance. Elle recroise notamment le chemin de son amour de jeunesse… interprété à chaque fois par Bastien Bouillon !
Dans Partir un jour, il est le love interest de la chanteuse Juliette Armanet. Cheveux mi-longs blonds, tantôt détachés ou ramassés à la va-vite, il apparaît en salopette trempée et les pieds encore dans l’eau. Un pêcheur d’eau douce, visiblement. L’acteur chantera même dans cette comédie musicale aux morceaux rétros. Leurs retrouvailles promettent des rires dignes d’ados amoureux, beaucoup de patins à glace et une pincée de jalousie.
Les festivaliers pourront également retrouver Bastien Bouillon à Cannes Première. Il joue dans Connemara, adaptation du roman de Nicolas Mathieu. « Le bel hockeyeur des années lycées » de Mélanie Thierry. Mieux, un « lointain objet de désir » ! Ce sont les mots-mêmes du résumé du nouveau film d’Alex Lutz. Qui, lui aussi, semble être sous le charme de l’acteur césarisé. Cette fois, collier de barbe et chevelure brune sont de mise. Suffisants pour raviver la flamme dans le cœur de l’héroïne, de retour dans les Vosges après un burn-out. Désormais installée à Paris, sa vie modeste lui semble bien loin… encore plus lorsqu’elle voit ce qu’est devenu son crush de l’époque. Un gouffre social entre nos protagonistes, qui sera au centre du récit.
De nombreux prétendants pour la Queer Palm
De nombreuses romances, oui… dont plusieurs se libèrent des carcans hétéros ! C’est Christophe Honoré qui doit se réjouir ! À la fin du Festival, le président de la Queer Palm et ses jurés remettront le prix à un film mettant à l’honneur la communauté LGBT+. Ils auront de quoi faire avec la flopée de récits sur le sujet, y compris en Compétition officielle.
Oliver Hermanus, par exemple, mettra en scène Paul Mescal et Josh O’Connor dans The History of Sound. Deux amis – et plus si affinités – qui développent un goût prononcé pour la musique folk. Alors que la Première Guerre mondiale fait rage, les jeunes hommes décident d’enregistrer les vies, les voix et la musique de leurs compatriotes américains.
Toujours aux États-Unis, la sélection Acid, dédiée aux pépites indés, met en avant un récit d’apprentissage queer. Dans Drunken Noodles, le cinéaste argentin Lucio Castro raconte l’été d’Adnan, un étudiant en art fraîchement arrivé à New York pour un stage. Et pas n’importe lequel : il s’apprête à travailler dans une galerie où expose un artiste plus âgé. Un fantôme de son passé.
Jeux de pouvoir
À l’heure où les régimes despotiques sèment la terreur, certains cinéastes se font les porte-paroles de situations troubles. En compétition, Sergeï Loznitsa s’attaque aux purges staliniennes dans Two Prosecutors. L’histoire d’un jeune procureur modèle, qui croit avec ferveur aux idéaux bolcheviques. Jusqu’à ce que la lettre d’un détenu accusé à tort se retrouve sur son bureau. De quoi lancer une enquête au cœur d’un régime totalitaire.
La dictature, voilà des années que Tarik Saleh la dénonce dans ses films. Avec Les Aigles de la République, le réalisateur aux origines égyptiennes clôt sa trilogie du Caire, entamée avec Le Caire Confidentiel (2017) et La Conspiration du Caire (2022). Trois films qui ont peu de choses en commun, à part leur localisation, le jeu de pouvoir… et la présence de Fares Fares ! Cette fois, il interprète un acteur populaire contraint de jouer dans un film de propagande. Les choses s’enveniment quand il commence à fréquenter l’épouse du général en charge du film, interprété par Lyna Khoudri.
En voilà un qui a été déchu de ses pouvoirs : Josef Mengele, médecin nazi dont Kirill Serebrennikov raconte la cavale dans La Disparition. Exit la compétition ; cette fois, le réalisateur russe présente son film à Cannes Première. Loin d’être un rejet, cette « relégation » est même réjouissante : pas de frustration en repartant bredouille ! Kirill vient, rafle les applaudissements, et puis s’en va.
Les scénarios inattendus et captivants
À Cannes, le choc esthétique n’est pas toujours visuel : il peut naître dès la découverte d’un synopsis. Certains films intriguent immédiatement, non par la promesse de spectaculaire, mais par l’énigme narrative qu’ils suggèrent. Cette curiosité suscitée par le récit, encore à l’état de promesse, est une forme d’engagement : on entre dans la salle avec la volonté de comprendre, d’être surpris, voire dérouté. En cela, ces films participent d’une conception du cinéma comme terrain d’expérimentation mentale.
Météors (Hubert Charuel), par exemple, se présente comme une fable contemporaine où des chutes célestes bouleversent une communauté rurale – un point de départ mystérieux qui rappelle son goût pour les ancrages réalistes teintés d’étrangeté, déjà à l’œuvre dans Petit Paysan (2017).
Renoir (Chie Hayakawa), après Plan 75 (2022), continue d’explorer des sujets délicats par le biais de récits hautement conceptuels : ici, la résurrection posthume d’un peintre convoque une réflexion métaphysique sur l’art et la mémoire.
Dalloway (Yann Gozlan) intrigue aussi par sa relecture contemporaine du roman de Virginia Woolf : comment transposer ce flux de conscience en images sans trahir son essence ?
Enfin, Un Simple Accident (Jafar Panahi) attise la curiosité par son titre même : que peut-il rester d’un événement banal une fois passé au prisme du cinéaste iranien, maître dans l’art d’extraire la tension politique de situations anodines ? Ces films ne donnent pas toutes les clés à l’avance, et c’est précisément ce qui les rend désirables.
Les curiosités qui nous font de l’œil
Certains films échappent toutefois aux catégories classiques. Ils ne se contentent pas de raconter une histoire : ils dérangent, intriguent, déplacent les attentes sans forcément chercher le consensus. Ce sont ces propositions imprévisibles, parfois marginales, qui font aussi la richesse du Festival de Cannes.
Pillion (Harry Lighton) en fait partie. Ce premier long-métrage britannique, au pitch ténu – deux adolescents en virée sur des scooters volés – semble cacher une exploration plus profonde de la masculinité et du désir adolescent, dans un cadre social tendu. Un projet fragile, mais qui pourrait frapper juste.
Dangerous Animals (Sean Byrne), lui, vient du versant horrifique du cinéma australien. Après The Devil’s Candy (2015), Byrne revient avec un nouveau cauchemar esthétique, à mi-chemin entre la série B raffinée et l’opéra sanglant. L’attente vient précisément de son goût pour l’excès et le dérèglement.
Quant à Le Roi Soleil (Vincent Maël Cardona), il n’a rien du biopic musical attendu. Le réalisateur, révélé avec Les Magnétiques (2021), semble vouloir rejouer l’héritage d’un nom écrasant en scrutant la solitude d’un héritier médiatique : un projet aussi étrange qu’audacieux.
Enfin, Magellan (Lav Diaz), comme souvent avec le cinéaste philippin, promet une odyssée de plusieurs heures à travers les brèches de l’histoire coloniale et les dérives du pouvoir. Sa durée, son rythme hypnotique, son ancrage politique radical : tout y annonce un film plus exigeant que confortable – donc exactement ce qu’on attend d’une vraie curiosité cannoise.
Lisa FAROU
Nathan DALLEAU