MyFrenchFilmFestival propose jusqu’au 27 avril une sélection de 70 courts-métrages issus de ses précédentes éditions. Le festival en ligne, organisé par UniFrance pour faire rayonner le cinéma français dans le monde, est ouvert à tous et totalement gratuit, alors pourquoi s’en priver ? Voici nos 10 coups de cœur.
L’Enfance d’un Chef de Antoine de Bary (2016)
Nous en avions parlé lors de la récente sortie de Mes Jours de Gloire dont L’enfance d’un chef porte en lui la gestation. On retrouve ici les éléments développés par la suite par Antoine de Bary dans son premier long-métrage. L’immersion dans la vie intime d’un jeune comédien en quête d’émancipation. La difficulté à devenir adulte et avec elle un rejet de la sexualité, sans oublier la relation maternelle névrotique associée à une figure psychanalytique. Les scènes de répétitions dans lesquelles le comédien incarne un De Gaulle jeune sont hilarantes. Entouré de Félix Moatti et Thomas Blumenthal, le film parvient à explorer toute la drôlerie que l’on connaît à Vincent Lacoste. En très peu de temps, Antoine de Bary arrive à dire beaucoup et avec finesse sur la détresse d’un personnage en errance existentielle.
Notre entretien avec Antoine de Bary et Vincent Lacoste
La Fugue de Jean-Bernard Marlin (2013)
Autre court-métrage d’un réalisateur dont nous avions apprécié le premier long-métrage. Bien avant le retentissant Shéhérazade, Jean-Bernard Marlin démontrait déjà tout son talent de directeur d’acteur avec La Fugue qui porte également en lui des éléments développés par la suite. Cet attrait pour une jeunesse marseillaise en décrochage total avec la société et aux prises avec le système judiciaire. Le contraste assez saisissant entre l’apparence juvénile de Sabrina et son impressionnante agressivité. Et puis Ladkar, interprété par le magistral Adel Bencherif, qui semble le dernier lien, la dernière main tendue pour sortir la jeune femme de la délinquance. La mise en scène, toujours efficace, compose avec l’essentiel pour construire un film aussi intense qu’affuté.
Le Repas Dominical de Céline Devaux (2015)
Le film de Céline Devaux est récompensé par le César du meilleur film d’animation en 2016. Le Repas Dominical frappe par la frénésie hallucinée de sa forme et la générosité débordante de son absolue inventivité. Nous entrons littéralement dans la tête de Jean qui ne supporte plus l’enfer de ce rituel social. Porté par la voix d’un excellent Vincent Macaigne qui habite avec génie ce délire rageur. C’est une chute sans fin, un déluge continu de visions surréalistes et poétiques pour traduire l’angoisse de nos rapports familiaux.
Le Dernier des Céfrans de Pierre-Emmanuel Urcun (2015)
Rémi ne veut plus galérer et décide de s’engager dans l’armée pour régler ses problèmes financiers et faire quelque chose de sa vie. Dans sa cité il hérite du titre ironique de dernier des Céfrans. La comédie de Pierre-Emmanuel Urcun aborde la question de l’identité bien loin des théories médiatiques, elle franchit la barrière du périphérique pour embrasser un point de vue bien plus pragmatique. La principale réussite réside dans la vitalité que le réalisateur parvient à injecter dans cette bande. Les personnages fonctionnent indépendamment du groupe, chacun faisant face à des choix pour entrer dans l’âge adulte et enfin trouver sa place. Le Dernier des Céfrans est également un film sur la langue, l’argot et le mélange des cultures qui viennent l’enrichir. Une métaphore se joue dans le film à travers le langage, les questions d’identité se règlent d’elles-mêmes et bien souvent dans la fraternisation.
Les Lézards de Vincent Mariette (2012)
Le film arrive bien avant que Vincent Macaigne ne bénéficie de sa cote actuelle, on est avant La Bataille de Solférino et La Fille du 14 Juillet. Aujourd’hui c’est un acteur qui, au même titre qu’un Vincent Lacoste, charrie avec lui tout un univers. Pourtant le film semble déjà en avoir conscience et s’en amuse en composant un cadre autour de cet acteur-personnage. Les Lézards est construit autour d’un dialogue entre deux protagonistes qui attendent dans un hammam la venue d’une jeune femme. Ce dispositif loufoque produit tout le décalage sur lequel repose l’humour du court-métrage. Le caractère vaporeux de l’image et du noir et blanc compose une dimension graphique absolument réussie. Vincent Mariette joue avec la dualité du décor, la symétrie de l’architecture et les motifs floraux des faïences, opposé à des corps dégoulinant de sueur. On sent l’inspiration lointaine d’un Blier à travers un absurde jamais bien loin et l’ambiance moite d’un rêve langoureux.
Fais Croquer de Yassine Qnia (2011)
Yassine veut tourner un film dans son quartier en faisant jouer ses amis. Très vite il confronte ses fantasmes de cinéphile à la réalité, une remise en question qui pourrait tout chambouler. Le court-métrage est fort parce qu’il questionne avec une extrême lucidité, et près de dix ans en avance, des thématiques sociales qui sont aujourd’hui au centre de nos préoccupations. Yassine Qnia aborde le sujet de la représentation dans le cinéma et avec lui l’importance de se constituer des modèles d’identification. Bien loin des clichés sur la banlieue, le réalisateur affirme la nécessité de s’emparer de ses propres récits. Casser les représentations qui enferment et formatent les schémas de pensée. Le personnage de Yassine éprouve par lui-même les effets néfastes de ce conditionnement mental. Cette vérité qui se dévoile vient ébranler toutes ses certitudes, on assiste alors à ce qui pourrait être la naissance d’une conscience artistique et sociale. Dans une subtile mise en abîme, Yassine comprend alors quel doit être le vrai sujet de son film. C’est assez saisissant de constater la justesse de propos du film et son incroyable actualité, ce qui veut dire également que peu de choses ont changé depuis près de dix ans. Si les consciences sont globalement plus éveillées aujourd’hui quant à la nécessité de changement, il reste encore beaucoup à bâtir.
Chasse Royale de Romane Gueret et Lise Akoka (2016)
Angélique vit dans une famille nombreuse dans la banlieue de Valencienne. Cette jeune fille au caractère bien trempé est repérée lors d’un casting organisé dans son collège. D’abord réticente et hermétique au projet, l’idée va faire son chemin dans l’esprit d’Angélique qui se laisse convaincre par l’enthousiasme de son petit frère. La jeune fille cache ses émotions derrière un masque d’agressivité et de nonchalance désabusée. Mais elle se laisse peu à peu prendre au jeu, et se surprend secrètement à rêver. Cet évènement ouvre une brèche dans son blindage qui laisse entrevoir une émotion bouleversante. La mise en scène de Romane Gueret & Lise Akoka sait subtilement capter ce soubresaut émotionnel. Le film est traversé par un souffle dévastateur qui libère par endroit toute la rage accumulée. La relation entre Angélique et son petit frère est génialement mise en place, Eddhy est un vrai second rôle qui sert parfaitement l’intrigue et ses enjeux. D’abord contrepoint comique du film, ses intentions se complexifient pour aboutir sur une note subtilement touchante. Ce qui bouleverse c’est ce refus du rêve, l’espoir est refoulé parce qu’il est trop lourd à porter, il signifie bien trop pour oser se l’avouer. Ce portrait intimiste au plus près des émotions nous cueille sans que nous l’ayons vu venir.
L’Aventure Atomique de Loïc Barché (2019)
Algérie 1961, la France fait exploser une bombe nucléaire en plein désert. Un groupe de militaire est envoyé en pleine zone irradiée pour prélever des échantillons. Le film impressionne par la force des images qu’il arrive à composer. Au milieu de l’étendue désertique, la mission prend des allures d’exploration spatiale. Loïc Barché se nourrit de cet imaginaire pour traiter l’idée de la contamination et ainsi jouer avec la menace invisible de la radioactivité. On notera au passage la présence d’acteurs de premier plan, ce qui ne gâche rien. Matthieu Lucci aperçu dans L’Atelier, Olivier Rabourdin ou encore Swann Arlaud en chercheur sans scrupules. Un court-métrage qui place beaucoup d’espoir sur les épaules de ce jeune réalisateur à qui l’on souhaite un rapide passage au long.
Gronde Marmaille de Clémentine Carrié (2018)
La petite Boubou s’ennuie, seule dans son camping. Le film s’ouvre dans la langueur d’une sieste d’été, bercée par le tintement des cigales repues par l’éclat du soleil. Alors que les adultes sont endormis, les enfants s’approprient un monde dépeuplé pour s’adonner à leurs jeux. Clémentine Carrié nous invite dans un univers où la rêverie de l’enfance façonne le monde. Il faut noter l’incroyable travail accompli avec le directeur de la photographie pour composer une esthétique de l’image très organique. Tous les éléments, de la lumière au vent, sont palpables à travers un rapport très sensoriel au monde lié à l’enfance et à l’exploration de la nature par les sens.
Mademoiselle Kiki et les Montparnos de Amélie Harrault (2012)
Le court-métrage retrace la vie de Kiki de Montparnasse, icône du Paris de l’entre-deux-guerre. Elle fut la muse et le modèle de nombreux artistes, Fujita, Gargallo, Kisling, Man Ray, meneuse de revue, actrice puis elle même peintre et artiste. Amélie Harrault utilise différentes techniques d’animations empruntées aux multiples styles et mouvements artistiques qui imprègnent l’époque. Des cubistes aux surréalistes en passant par les dadaïstes. La dimension protéiforme du film est absolument réjouissante, son caractère artisanal révèle une remarquable dose de créativité et d’ingéniosité. L’univers est incroyablement riche et foisonnant de références, la réalisatrice parvient à faire revivre cette période des années folles portée par un souffle d’insouciance libertaire. Le geste féministe est également hautement symbolique, aller chercher une icône féminine pour l’extraire de l’oubli. Lui redonner toute l’importance qu’elle mérite, au lieu de ce se second plan injuste, enfermée dans cette représentation de la femme-modèle dont le corps est le réceptacle des fantasmes d’artistes masculins. Redonner possession de ce corps à Kiki de Montparnasse et lui reconnaître toute l’importance qu’elle mérite dans ce moment de conquêtes artistiques et sociales.
Tous les films sont à retrouver sur le site de MyFrenchFilmFestival.
Hadrien Salducci