Faut-il être américain, ou prêt à se plier devant les codes d’Hollywood pour réaliser des films à succès outre-Atlantique ? La liste des européens ayant tourné des films aux États-Unis commence à l’époque du cinéma muet et reste active aujourd’hui. Comment les Français tirent-ils leur épingle du jeu dans un lointain univers créatif où l’argent reste roi ?
L’Incroyable Hulk, Transporter 2, Le Choc des Titans, Fast & Furious 10 – des films grand public bien américains… mais réalisés par un français. Comme beaucoup de sa génération, Louis Leterrier a grandi avec des films d’Hollywood. Né en 1973, il cite Spielberg et Lucas comme références de sa jeunesse. Pas étonnant, alors, que la carrière de ce réalisateur français aux États-Unis repose sur des blockbusters à la hauteur de leurs objectifs au box-office.
Et en même temps, Leterrier voit une différence fondamentale entre les réalisateurs américains de souche et ses compatriotes : les français s’avèrent plus ouverts à d’autres influences que le cinéma hollywoodien. Ainsi, si un studio américain cherche un regard neuf, un français fera peut-être mieux l’affaire qu’un réalisateur « local ». Résultat : Pierre Morel nous livre Taken, Jean-Jacques Annaud embarque Brad Pitt dans Sept Ans au Tibet et Jacques Audiard tourne le western The Sisters Brothers.
Fin août 2023 : rendez-vous sur une des vedettes qui naviguent sur la Seine pour une rencontre avec un autre genre de vedette – Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Une centaine de touristes profite d’une projection du film dont le fabuleux destin a déjà touché tant de spectateurs. Certes, l’oscarisé The Artist (2011) a rapporté plus aux Etats-Unis, mais Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain demeure peut-être « le » film dont la vision de l’Hexagone et de sa capitale reste la plus accessible et exportable, même 22 ans après sa sortie.
La projection en plein air de fin août n’est que le dernier exemple du succès du film. Elle s’ajoute à des visites des lieux du tournage, une comédie musicale à Broadway et, en janvier 2023, un court métrage : La véritable histoire d’Amélie Poulain, sorti de l’imagination de Jean-Pierre Jeunet.
Ce dernier compte parmi les réalisateurs français de notre époque courtisés aux États-Unis. D’autres, comme Michel Gondry, ont mené une belle carrière à Hollywood (Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Soyez Sympas Rembobinez…), néanmoins sans avoir tourné de long métrage en France auparavant. Jeunet, qui co-réalise avec Caro, Delicatessen et La Cité des Enfants Perdus avant de partir aux États-Unis pour tourner le quatrième opus d’Alien, semble démontrer qu’un réalisateur imbibé de la culture française et dont la carrière décolle dans son pays natal peut aussi s’exporter.
Tout d’abord, ses films riment avec la France dont ils déclinent les différents reliefs, des quartiers parisiens aux campagnes. Chez Jeunet, son pays et ses différentes facettes se situent dans des temps bien spécifiques : de la guerre de 14-18 avec Un Long Dimanche de Fiançailles aux années 90 pour Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain.
Cette unité d’espace et de temps pour chaque film, qui crée un premier attachement, se double d’un autre. Dès les premières secondes d’une de ses œuvres, sa marque de fabrique saute aux yeux. Entre bande son, couleurs, et prises de vue propres à Jeunet, on ressent très vite de la joie ou du rejet, mais jamais de désintérêt.
Enfin, c’est un conteur qui nous embarque dans des histoires peuplées de personnages souvent décalés, marginaux, drôles, parfois naïfs, qui se croisent, se superposent et convergent vers une fin aux allures de morale. Comme pour Tarantino, Welles ou Kubrick, on sait à quoi s’attendre quand on s’installe devant un film de Jeunet : un style artistique bien particulier. Est-ce que cela suffit à le rendre exportable ? Pas tout à fait.
Ses films s’avèrent juste la partie visible de ce que l’on peut appeler sa marque. Bien sûr, son œuvre cinématographique fait mouche, mais il est aussi partout dans le secteur du cinéma, autant dans les festivals, que dans les salles de montage où il travaille minutieusement sur ses films, ou dans les réseaux des producteurs. Il est ainsi capable de réunir des fonds à une échelle mondiale. Résultat, des montages financiers internationaux lui permettent de faire un film nord-américain, comme L’Extravagant Voyage du Jeune et Prodigieux T.S. Spivet, sans pour autant perdre son style. Et pourquoi ne pas explorer et collaborer avec les nouveaux modèles, comme une plateforme de streaming ? Le dernier film de Jeunet, Big Bug, est une production Netflix… que certains voient comme l’ennemi-même du cinéma.
Étant européen, Jeunet n’incarne pas si facilement le rêve américain, mais il semble prouver qu’un artiste français peut percer aux États-Unis s’il allie son style à une vision et des valeurs souvent vantées outre-Atlantique : l’esprit d’entreprendre et la confiance en soi.
Delphine SAURIER, Andrew TAYLOR
Delphine Saurier et Andrew Taylor sont professeurs à Audencia. A Audencia SciencesCom, Delphine Saurier assure des enseignements sur des objets culturels et les processus de communication. Les cours d’Andrew Taylor abordent la culture et la civilisation américaine.
Cet article a été publié suite à une contribution d’un·e rédacteur·rice invité·e.
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