Sept ans après la diffusion de la saison 2, Éric Judor revient entouré de nouveaux guests pour la troisième saison de Platane.
On l’avait quitté sur les rives du Styx aux îles des Saintes, on le retrouve à Paris dans un concept qui nous est familier. Éric ne réalise plus de films mais des pubs, après le cinéma, c’est l’occasion d’infiltrer un nouveau milieu. La même dynamique narrative anime cette nouvelle saison centrée autour des tribulations d’Éric Judor, véritable anti-héro aussi antipathique qu’attachant. Un personnage de fiction façonné, au fil de la série, par une mauvaise foi et un égocentrisme démesurés. Chaque saison est un réjouissant sable mouvant devant lequel on jubile de voir ce personnage s’enliser dans ses propres mensonges.
Dans cette troisième saison il sera question de réparer un karma merdique, de réincarnation, d’Hitler, de retraite spirituelle, d’Ayahuasca, de businessman Coréen, d’Andy Warhol et d’un bonne dose de mégalomanie introspective. Côté guest, la liste est une nouvelle fois prestigieuse, Jacques Séguéla, Ramzy Bédia, Mathieu Kassovitz, Florence Foresti, Fred Testot, Laurent Lafitte, Laurent Magdane, Boris Diaw et bien d’autres.
Les épisodes ont vu leur durée rallongée à 52min prenant ainsi le temps d’installer les scènes et d’étirer les dialogues dans une avalanche de vannes et de joutes verbales. Cela pourrait paraître anecdotique mais c’est pourtant révélateur de l’humour d’Éric Judor qui pousse toujours plus loins les scènes et les situations, pour s’amuser avec le malaise qui en découle. Pousser l’humour dans ses retranchements jusqu’à atteindre l’absurde, c’est ce qui a toujours été le moteur du duo formé par Éric Judor et Ramzy Bedia, ici amené à sa forme virtuose.
Toute la série repose sur une fausse promesse, nous emmener dans les coulisses du cinéma et de la télévision. Mais au lieu du dévoilement annoncé, les auteurs nous embarquent dans un univers totalement absurde et brouillent habilement les pistes en utilisant la réalité comme matière première à la fiction. S’il joue avec son image et celles de ses invités c’est pour créer une frontière poreuse entre la réalité et un univers fictionnel foisonnant. Depuis la première saison, Éric Judor s’amusait avec des projections de séquences fictives venues parasiter le réel. Dans cette troisième saison ces incursions sont de plus en plus récurrentes et surtout elles prennent des formes diverses, rêves, visions, fantasmes etc. Il y a même un éclatement jubilatoire des cadres préétablis pour laisser l’absurde, voire le fantastique, se répandre sur le réel.
Éric Judor ne se pose plus de limites, que ce soit en terme d’humour, de scénario ou de genre. Il creuse le sillon du loufoque jusqu’à en épuiser la source, ne s’interdisant aucun itinéraire narratif ni aucune situation. L’amitié artistique qui le lie à Quentin Dupieux est palpable tout au long de la série et encore plus dans cette saison. Il y a comme un pacte passé entre le spectateur et l’univers cinématographique de la série qui permet à l’absurde de se déployer pleinement pour défricher de nouveaux territoires à la comédie. Le cross-over avec le bureau des Légendes en est un très bon exemple, les couches de fiction s’empilent et s’immiscent dans le réel pour le détraquer. Toutes ces trouvailles rafraîchissent un genre qui a tendance à s’enfermer dans des carcans, faisant de Platane une des séries françaises les plus créatives du moment.
La question de l’humour est présente tout au long de la saison, abordée frontalement, presque de manière manifeste. Qu’est-ce qui fait rire ? Qu’est-ce qu’une bonne vanne ? Ce sont des questions posées à de nombreuses reprises, c’est par ailleurs tout l’enjeu des réunions de production au sein de l’agence de pub. D’où surgit le comique et comment se déploie-t-il ? Est-ce une affaire collective ou intime ? Est-ce quelque chose de subjectif ou de totalement universel ? Ce qui fait la richesse de cette série c’est que le comique convoqué prend différentes formes, autant teinté de premier que de troisièmes degré, entre absurde débridé et séquences de dialogues aux punchlines ciselées.
L’autre bonne idée de cette saison c’est d’avoir laissé plus de place au personnage de Flex, interprété par Hafid F. Benamar également co-auteur de la série. C’était un personnage au fort potentiel comique jusqu’à présent sous-exploité. Il trouve dans cette saison plus d’espace pour s’exprimer allant jusqu’à former avec Éric un nouveau duo comique qui fonctionne à merveille. Flex apporte aussi une touche surréaliste, c’est un peu les personnage bonus qui, par sa folie, peut débloquer n’importe qu’elle situation scénaristique. C’est en quelque sorte un Barney Stinson, un Dewey ou encore un Sheldon Cooper, bref un personnage qui mériterait presque sa série dérivée…
Éric Judor et Hafid F. Benamar ont bien fait d’attendre sept ans pour préparer cette suite. Ce qui est sûr c’est qu’ils ne sont pas revenus pour rien, il y avait encore des choses à dire et des vannes qui traînaient dans les tiroirs. Éric Judor se moque de lui-même et du sérieux qui engourdit le milieu du cinéma qu’il pastiche. Il reprend les thématiques, les codes de narration, de genre et s’amuse à tout tordre pour rire avec les outils de la série. Ce qu’on sent surtout c’est un réel plaisir à retrouver et à prolonger un univers, en poussant les curseurs de la comédie encore plus loin. On espère seulement qu’il ne faudra pas attendre encore sept ans pour avoir une quatrième saison.
Hadrien Salducci
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• Réalisation : Éric Judor
• Scénario : Éric Judor, Thomas Bohbot, Baptiste Nicolaï, Nicolas Orzenckowski, Cheikna Sankare
• Acteurs principaux : Éric Judor, Hafid F. Benamar, Stéphanie Crayencour, Adriana Gradziel, Doudi, Alice Bongibault
• Date de sortie : 09 décembre 2019
• Durée : 8x52min