Photo du film LE RÈGNE ANIMAL
Crédits : Nord-Ouest Films, Studiocanal, France 2 Cinéma, Artémis Productions

LE RÈGNE ANIMAL, une claque morale et esthétique – Critique

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Après avoir fait grand bruit dix années auparavant avec Les Combattants (2014), Thomas Cailley répond avec brio aux attentes des spectateurs. Son film, LE RÈGNE ANIMAL, sorti en octobre dernier, est une œuvre qui marquera les esprits. Le projet lui est venu par le biais de Pauline Meunier, une étudiante à la Fémis qui avait présenté son idée lors d’un jury de lecture. Bien que ce second film soit diamétralement opposé au premier par son genre science-fiction, Thomas Cailley reprend néanmoins le thème de la confrontation brutale entre l’Homme et la nature, la survie et la sortie de la zone de confort. Alors que dans Les Combattants on suit ceux qui ont « disparu », dans LE RÈGNE ANIMAL, on suit ceux qui restent et qui cherchent sans relâche.

L’histoire se situe dans un futur proche. Une maladie se propage dans la société et provoque des mutations chez certains êtres humains. Ceux-ci acquièrent peu à peu des traits d’animaux, jusqu’à s’oublier totalement dans cette seconde nature sauvage. Alors que Lana, mutante depuis des années, va être internée dans un centre spécialisé dans la région des Landes, en Aquitaine, son convoi routier subit un violent accident durant une tempête et tous les « malades » disparaissent en pleine nature. Son mari François (Romain Duris) et son fils Emile (Paul Kirscher), ayant emménagé dans un village voisin, partent à sa recherche, bravant les interdits de la gendarmerie. Cependant, le jeune adolescent commence lui aussi à se sentir différent, et les premiers signes de mutations apparaissent chez lui… Il en résultera une recherche effrénée pour retrouver Lana, mais aussi une expérience de liberté totale, jusqu’à s’envoler au-dessus des pins landais, à disparaître en pleine nature.

Concernant le traitement de l’image, l’étalonnage coloré et les effets spéciaux du film sont savamment maîtrisés. Certains plans sont travaillés comme des tableaux. Par exemple lorsqu’Emile fait l’objet d’une chasse à l’homme après s’être défendu d’un camarade de classe, il court dans un champ de maïs, poursuivi par des cavaliers équipés de fusils. L’image est si frappante qu’elle peut rappeler l’Inquisition espagnole, une période sombre de chasse aux sorcières. C’est alors que Fix, un homme aigle, auquel Emile a appris à s’envoler, vient à son secours et retient au péril de sa vie certains des chasseurs.

Thomans Cailley parvient à introduire dans sa narration des sujets universels. Le lien père-fils occupe une place prépondérante. Une relation qui peine tout au long du film à trouver une harmonie, un équilibre entre l’instinct de protection débordant issu d’un amour indéfectible du père pour son fils quelle que soit la situation, face à l’aspiration du fils à s’accepter comme il est, comme il devient. Par extension c’est tout le thème de la parentalité, de l’héritage – de ce qu’on lègue et de ce qu’on reçoit – qui est mis à l’honneur. Une scène est particulièrement déchirante, alors que le duo est en voiture dans la forêt à la recherche de Lana, à crier à tue-tête « Maman ! Lana ! », sur la musique « Elle est d’ailleurs » de Pierre Bachelet. C’est à l’aune de cette histoire si touchante que le réalisateur réussit à nous émouvoir, à nous transporter. De plus, la relation qu’entretient Emile avec Fix, son « semblable », montre l’entraide et la résilience des exilés, qui vivent en harmonie en pleine nature, au sein même du règne animal, avant de de se faire rafler par les autorités qui manquèrent encore une fois cruellement de compréhension et de recul. C’est cette étincelle qui a permis de faire « un film à la fois fantastique et totalement ancré dans notre époque »1Festival de Cannes 2023 – https://www.festival-cannes.com/2023/le-regne-animal-le-regard-de-thomas-cailley-2/.

La dimension fantastique du film permet d’aborder les préoccupations environnementales et politiques au travers des réactions hétérogènes de l’Homme face à ce qui lui est obscur ou étranger. Il s’agit ici d’une nature violente, âpre, secrète, et à la fois si belle pour qui sait la regarder. L’idée selon laquelle l’amour de son prochain dépasse les frontières du physique rappelle le travail d’un Cronenberg dans La Mouche par exemple, y compris pour les effets spéciaux et maquillages des mutations dans le film. Ainsi, où se trouve la frontière entre l’humain et l’animal, à partir de quand l’individu est forcé de s’exiler s’il est différent, comment en tant qu’humain abordons nous ce semblable qui devient un autre, la monstruosité est-elle un fait ou une perception ?

Le film n’est cependant ni moralisateur ni donneur de leçon, il questionne seulement brillamment ce rapport si complexe et personnel qu’est la notion d’autrui, et la valeur qu’on lui insuffle. Cela nous fait entrevoir le peu de tolérance qu’ont parfois les êtres humains pour ce qui leur est différent. Emile symbolise la clé de voûte de ce basculement de point de vue. Alors qu’il est traumatisé par la mutation de sa mère, c’est à lui de faire face à la même situation. Paul Kirscher parvient à donner à son personnage une nature brute et une sensibilité rare. Romain Duris est quant à lui touchant aux larmes. Alors que son personnage François perd un à un les êtres qui lui sont les plus chers, il ne cesse de garder espoir et accepte à son tour sa condition de survivant, en donnant le libre choix à son fils de disparaître en forêt pour sa survie. Finalement, le dernier regard sur son fils, à moitié loup, est celui d’un homme qui n’a rien perdu, qui a gagné en humanité.

Raphaël BOÉNO

Cet article a été publié suite à une contribution d’un·e rédacteur·rice invité·e.
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