Avant de commencer notre critique, il nous faut préciser notre état d’esprit lors de la découverte du film.
Nous avions fait un petit état des lieux du cinéma américain post 11/09, et en avions déduit que le médium en était arrivé à un point ou il s’agirait d’analyser, avec le recul nécessaire, l’impact de l’événement et surtout de la guerre qui s’ensuivit, sur l’opinion publique – l’américain moyen.
Clint Eastwood cherche, dans American Sniper et la figure du vétéran, à personnifier l’américain moyen. Atteindre cet objectif, c’est par extension, examiner et pourquoi pas rendre compte, de l’état de son pays. Dans sa réalité, ses peurs et ses fantasmes.
Le choix d’Eastwood pour y parvenir est ainsi particulièrement judicieux : Chris Kyle, dont il réalise avec American Sniper, un biopic, réunit les trois composantes clés de l’Américain moyen. Réalité, peurs et fantasmes. Par son histoire personnelle et professionnelle, son destin tragique. Une façon de pousser l’identification au maximum – ce qui pourrait expliquer le succès phénoménal du film aux états unis (300M$) On rajoutera le choix adéquat de Bradley Cooper en Chris Kyle: l’acteur est impressionnant, tant physiquement que par la subtilité de son jeu. Surtout, il incarne une forme de fantasme.
La scène du repas située en début de film est à ce titre, la pierre angulaire du film. Elle concentre tous les enjeux de Kyle, ce qu’Eastwood s’évertuera à mettre en perspective et à débouter.
D’abord, sa réalité. La transmission de valeurs (« sois un chien-berger, fils »), décider qui l’on est dans un monde qui se contre-fiche de vous.
Ses peurs: que l’on touche à sa famille. Cela découle également de la première scène familiale. Pour Kyle, la patrie est autant sa famille, que sa propre famille. Ce patriotisme exacerbé le définit, et contribue à l’identifier au peuple.
Ce sera ainsi lorsque « le pays » sera attaqué, que ses décisions les plus importantes seront prises. Intégrer l’armée, puis, après le 11 septembre, partir sur le terrain.
Les fantasmes, encore une fois, découlent des valeurs transmises lors de la première scène. Construire sa famille, la réussite professionnelle.
L’Amérique, comme Chris Kyle, s’est construite sur quelques valeurs fondamentales. Le désir de propriété et la réussite par soi même sont les plus essentielles, cimentées par la religion, et la famille. L’American Dream.
Contre-parties: Réussite par soi même est souvent incompatible avec l’idée d’altruisme. Réussite implique domination (culturelle, physique, économique) d’ou les déviances que sont l’esclavage, ou dans le cas d’American Sniper, les différents conflits liées aux ressources, à la propriété.
Il faut bien différencier ce que montre le film, et son propos. Il ne s’agit pas d’un élan patriotique, mais d’un état des lieux de la pensée américaine. C’est très subtil et réussi. Réussi… Non. Phénoménal.
Clint Eastwood interroge donc, avec American Sniper, la viabilité d’un tel modèle en renvoyant subtilement à Kyle une image de lui-même ou filtrent les incohérences entre ses différents choix.
Kyle est américain, et le sniper le plus meurtrier. Il est par conséquent, un héros national. Eastwood ne questionne jamais le sens de ces morts. Plutôt, il met en perspective cette utilisation léthale d’un seul homme, au nom du pays. Confronte cette violence à la simplicité du quotidien, créée le doute chez Kyle, par l’interaction avec ceux qui n’ont jamais été confronté à cette violence (notamment via Sienna Miller, sa femme, extrêmement juste et touchante). Chris Kyle personnifie ainsi à la fois la figure du vétéran, et la nation, sur laquelle on fait reposer le poids d’une guerre sans jamais vraiment clarifier la situation.
Clint Eastwood montre cela avec subtilité : Kyle, malgré son statut de héros national, ou ses valeurs, transmises par son père… n’est qu’un mouton. Parti à la guerre « faire le bien en tuant tous ces sauvages » sur la foi d’informations incomplètes, les médias. Pas plus renseigné sur le terrain, que par « il faut tous les buter ».
Aucune géo-politique. L’autre, l’arabe, est un terroriste. Point-barre. Quid des motivations de chacun ? Quid des enjeux économiques de ces conflits ?
Chris Kyle ne l’envisagera jamais.
La mise-en-scène du conflit, correspond pour le coup, parfaitement à cette désinformation. Chris Kyle protège les siens, ses soldats, et par extension sa famille. C’est pourquoi il est effectivement le sniper le plus meurtrier. Chris Kyle déshumanise le peuple irakien, voit en chaque individu, un ennemi. On lui attribue officiellement une nemesis, un sniper également doué…
Bref. le manichéisme à son plus haut niveau d’expression. Un manichéisme pourtant nécessaire pour focusser l’attention de ce soldat, de l’armée, de l’opinion publique, sur un élément précis, plutôt qu’un contexte.
Cela m’a d’abord énormément dérangé, cette simplification du conflit… Au final, avec l’écriture de cette critique, je me rends compte qu’il faut bien différencier ce que montre le film, et son propos. Il ne s’agit pas d’un élan patriotique, mais d’un état des lieux de la pensée américaine. C’est très subtil et réussi. Reussi… Non. Phénoménal.
Je différenciais au départ la partie civile et la partie militaire, mais non. Elles fusionnent toutes les deux, l’une ne fonctionne pas sans l’autre, et c’est dans la confrontation entre cet obscurantisme et l’American Dream qu’il faut chercher le film. C’est le pouvoir évocateur de la scène guerrière finale qui m’a permis de réfléchir le film. Quand Chris Kyle s’enfonce dans le brouillard.
Ce que j’attendais d’ American Sniper c’est de se poser en pierre angulaire d’une catharsis destinée à guérir des maux du 11/09/01. Clint Eastwood atteint pleinement cet objectif, sur le plan humain, en montrant avec une infinie subtilité, un reflet de la conscience américaine sur l’évènement.
Sur le plan militaire et par extension géo-politique, Clint Eastwood propose une démonstration bête et méchante qui lorgne du coté du divertissement hollywoodien propagandaire… Apolitique, sans aucune psychologie, ultra-patriotique. Les efforts proposés pour étoffer un discours humaniste sont annihilés par ce qui apparaît comme une contrainte de divertissement, ne proposant aucun contre-point, ni réflexion, juste une démonstration. Assez troublant… Mais voilà. Là encore, un reflet de l’opinion publique américaine.
Pour finir, je re-précise: cette critique fait partie d’un raisonnement très personnel, plus global, sur le cinéma U.S. post 11 septembre.
C’est pourquoi elle met volontairement de coté la simple description de scènes du film, par ailleurs parfois très réussies (les scènes sur le sol américain) parfois moins (les scènes guerrières).
Georgelechameau
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