Douzième — et peut-être dernier — long-métrage de Hayao Miyazaki, LE GARÇON ET LE HÉRON a bénéficié d’une communication volontairement discrète, pour le plus grand bonheur du public qui découvre un film aussi poétique que majestueux.
Cela faisait près de dix ans que nous n’avions pas vu de nouveaux films de Hayao Miyazaki. Certes d’autres longs-métrages des studios Ghibli avaient été dévoilés (Le Conte de la princesse Kaguya, Souvenirs de Marnie, La Tortue rouge, Aya et la Sorcière…) mais aucun ne semblait égaler le talent de Miyazaki dont l’ombre flottait sur chacune de ces réalisations. Depuis qu’il avait annoncé prendre sa retraite en 2013 suite à la sortie du Vent se lève, le cinéaste semblait avoir évolué vers d’autres aventures comme l’écriture de Teppô Samurai, son manga dédié à la figure du samouraï Hiruko Hachirôta. Pourtant, en 2016, c’est bien à 75 ans que Hayao Miyazaki a choisi de sortir de sa retraite pour un dernier film.
Bien que le public soit habitué à ses retours sur scène, le grand âge du réalisateur commençait à nourrir l’inquiétude sur un possible come-back. Hayao Miyazaki en avait lui-même rigolé à l’époque lors de ce retour à la réalisation : “Je suis préparé à mourir en plein milieu”. Pour autant, le maître a pris son temps pour donner vie à ce long-métrage. En 2020, Toshio Suzuki, producteur du film, confiait à Entertainment Weekly qu’avec l’équipe de 60 animateurs, ils “étaient capables de produire une minute d’animation par mois. Cela signifie que 12 mois par an, [ils obtiennent] 12 minutes de film. En fait [ils] travaillent sur ce film depuis trois ans, ce qui signifie [qu’ils ont] terminé 36 minutes jusqu’à présent.”
Fidèle à ses habitudes, Hayao Miyazaki avait en effet décidé que l’intégralité du film serait dessinée à la main. Amoureux du détail et du savoir-faire, le réalisateur a ainsi pris son temps pour rendre hommage à “Et vous, comment vivez-vous ?”, roman de l’écrivain Genzaburo Yoshino. Paru dans les années 40 au Japon, cet ouvrage philosophique raconte le quotidien de Junichi Honda, jeune collégien vivant à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. Si LE GARÇON ET LE HÉRON n’est pas une adaptation littérale de cette histoire, il réussit à montrer “comment ce livre a été essentiel dans la vie du personnage principal”.
LE GARÇON ET LE HÉRON démarre avec un souvenir aussi magnifique que douloureux. Après des années de films d’animation en image de synthèse, il ne suffit que de quelques minutes pour être sous le charme des dessins à la main d’Hayao Miyazaki et de ses équipes. Le bombardement de Tokyo, la course folle du jeune Mahito et le feu embrasant l’hôpital de la ville… le spectacle serait insoutenable si l’animation ne le rendait pas aussi beau, les flammes consumant les personnages secondaires, ne faisant qu’un avec eux.
Le cœur du récit du GARÇON ET LE HÉRON commence ainsi quelques années après cette tragédie. Mahito déménage alors à la campagne, toujours paralysé par le décès de sa mère. Sans hâte, le long-métrage laisse au héros l’espace dont il a besoin pour exprimer son chagrin. Second personnage principal masculin après Ashitaka dans Princesse Mononoké, Mahito tranche avec les héroïnes audacieuses de Miyazaki. Mais malgré son héros réservé et distant, le long-métrage réussit à captiver le public avec ses personnages secondaires dont Miyazaki a le secret. Accompagné d’une grand-mère espiègle et d’un héron cendré plutôt déplaisant, Mahito part à la recherche de sa défunte mère, traversant un portail entre les mondes.
Dans ce nouveau monde, Hayao Miyazaki retrouve alors des thématiques qui lui sont chères et auxquelles il apporte toute sa magie et son savoir-faire : des animaux anthropomorphes, des personnages aux pouvoirs magiques, une scène culinaire délicieuse mais aussi d’adorables petits esprits. Entre la vie et la mort, le passé et le futur, LE GARÇON ET LE HÉRON offre à son réalisateur la possibilité de donner vie à un film-somme qui semble tisser un lien imaginaire entre toutes ses précédentes œuvres. Impossible, en suivant les aventures de Mahito, de ne pas penser au Château ambulant ou aux susuwatari de Chihiro.
Aussi, si le long-métrage ne regorge pas de surprises, il entoure les spectateurs d’une douceur familière et réconfortante. Avec une fin poétique, LE GARÇON ET LE HÉRON révèle ce que l’on soupçonnait déjà, Hayao Miyazaki ne s’incarne pas ici dans le jeune Mahito mais dans son aïeul. À travers ce personnage, le réalisateur semble s’adresser à son fils dont le travail a souvent pâti de l’aura du père, notamment à l’occasion de la sortie des Contes de Terremer (2006). Apaisant, le long-métrage vient expliquer que cela ne sert finalement à rien d’être le successeur de Hayao Miyazaki mais qu’il faut continuer à rêver, créer et vivre.
Réflexion d’un homme sur sa propre mortalité, sur son héritage et sur ceux qui attendent de lui succéder, LE GARÇON ET LE HÉRON apporte une réponse aussi philosophique que poétique à la question “Et vous, comment vivez-vous ?”. Si Hayao Miyazaki a déjà annoncé être en train de travailler sur un nouveau projet, ce film restera certainement comme son chant du cygne à destination de son fils mais aussi du public qui devra un jour faire le deuil de ce réalisateur de génie.
Sarah Cerange