Dans la continuité de Maniac et d’Enter The Void, et pour remonter à plus loin, de l’intro de Strange Days ou de La Dame du Lac, HARDCORE HENRY est un film intégralement filmé en vue subjective. Plus précisément ? Il s’agit d’un film d’action survitaminé !
Voilà qui renvoie très fortement au jeu vidéo et plus particulièrement aux FPS modernes type Call of Duty, ce qui forcément, génère chez nous pas mal d’espérances :
– reprendra-t-il intelligemment la grammaire vidéoludique ?
– pour révolutionner notre approche du cinéma ?
– sera-t-il ce putain de bon film d’action décomplexé comme il y en a chaque année – Fury Road en 2015 ou The Raid 2 en 2014 ..?
Toutefois, quelques appréhensions nous travaillent également :
– Qu’en sera-t-il de la lisibilité ?
– Réussira-t-il à ne pas être répétitif ?
– Fera-t-il preuve de variété ?
Avant toute critique, je vous conseille de regarder l’extrait ci-dessous, ce qui vous donnera une idée du rendu de ce que c’est, de l’action survitaminée filmée en caméra subjective. Ce type de scène est multiplié par plus ou moins 25 dans le film, chaque scène ayant ses propres enjeux, ses propres spécificités, ses propres défis en termes de spectacle… Et chacune possédant un feeling et une intensité similaire (OUI, J’AI DIT 25)
Cela devrait donc vous donner un premier indice, à savoir si HARDCORE HENRY pourrait vous satisfaire, vous épuiser à la longue, ou complètement vous rebuter.
[divider]HARDCORE HENRY : EXTRAIT DE 3 MIN[/divider]
(l’extrait n’est pas vraiment un spoil ; il s’agit du premier matériel visible du film, qui servit début 2015 à financer la campagne Indiegogo montée pour parfaire la post-prod)
Comme vous pouvez le constater, le réalisateur Ilya Naishuller cherche à divertir son spectateur par l’incroyable, en lui proposant des scènes d’action sans doute illisibles par moment, mais surtout « jamais vues ailleurs » : des chorégraphies défiant les lois de la physique, des cascades aériennes et improbables, des bastons avec plus ou moins d’ampleur (de 2 à 50 combattants), des fusillades explosives exploitant les décors et environnements à 100%… Avec cette fameuse captation certifiée sans CGI (contrairement au rendu final, « augmenté » en post prod). Rien que cette promesse parfaitement tenue d’un spectacle dantesque et inédit par son réalisme, valide l’entreprise. Le revers est toutefois que sur la longueur, ces scènes « uniques » deviennent des parodies ultra-exagérées d’elles-mêmes, ce qui peut épuiser le spectateur, en dépit du spectaculaire de la mise en scène. Au-delà, il est satisfaisant de constater que HARDCORE HENRY, même sorti de son gimmick, dégage une personnalité singulière. Celle d’un film qui assume complètement ses références cinématographiques ou vidéoludiques, qui les place dans un monde cohérent et auto-alimenté par sa propre logique (l’extraordinaire, la vie de quartier et la mythologie mafieuse russe se télescopent sans que personne ne remette jamais cela en question), ce qui générera des ambiances vraiment bizarres (le strip club, chez James) ; des ambiances assez uniques, même si pas vraiment originales.
« Hardcore Henry se justifie presque entièrement par son utilisation intelligente de la grammaire vidéoludique. Au delà ? compliqué. »
En fait, ce qui permet à HARDCORE HENRY de fonctionner, c’est sa grammaire vidéoludique. Le risque est évidemment qu’il FAUT maîtriser cette grammaire pour apprécier le film à sa juste valeur.
L’exemple le plus concret sera le scénario du film qu’il sera assez facile de critiquer. Celui-ci se résume effectivement à un prétexte tout ce qu’il y a de plus bateau et couillon : un mec surhumain veut retrouver sa meuf et se bat contre des méchants… Pourtant, à l’instar d’un Fury Road ou des classiques Bioshock ou Last of Us, ce sont les environnements et les actions des personnages qui racontent l’univers, celui-ci étant par conséquent assez dense, à l’inverse de l’histoire. Puis de toutes façons comme dans la plupart des titres AAA*, le scénario en tant que tel est accessoire par rapport à « l’expérience de jeu ». Il n’est alors pas un problème de lier deux séquences d’action par des « cinématiques » plus ou moins courtes, où PNJs (et téléphones) donnent succinctement au joueur / spectateur, divers objectifs prétextes. Cela permet de maintenir un rythme très élevé (en moyenne, 2min d’exposition, pour 7-8min de scènes d’action discontinue, 9 fois d’affilée) même si par nature chapitrer de telle façon un récit amène une certaine répétitivité, en dépit de toute profondeur d’histoire ou de la générosité s’exprimant au travers de la variété des situations.
[toggler title= »HARDCORE HENRY : chapitres (SPOIL) » ]
Intro / 1er chapitre – le labo
– réveil; introduction du premier PNJ : Estelle;
– attaque;
– BOSS : Akan (N°1), le bad guy nemesis
– fuite
2ème chapitre : l’extérieur
– introduction d’un nouveau personnage : le bad guy bis
– 1er combat
– 1ere utilisation de l’environnement
– Deus Ex Machina / fuite
– introduction du nouveau personnage : James
– nouvel objectif: trouver une batterie
– attaque(s) surprise(s)
– trouver X au Xème étage d’un hotel (niveau vertzical)
– BOSS: poursuivre X dans les rues de la ville
4ème chapitre : le strip club
– nouvel objectif: retrouver James au strip club (niveau d’exploration)
– survivre à l’attaque
– BOSS: Akan (n°2)
– fuite
5ème chapitre : l’autoroute
– Présentation d’un nouveau personnage: une amazone (?)
– Poursuite du groupe sur une autoroute (niveau « en mouvement »)
– BOSS: Akan (n°3)
etc. jusqu’au chapitre 9
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Bien que réelle et stimulante, cette variété n’est toutefois pas synonyme d’originalité ; quasiment toutes les scènes d’action feront référence à un jeu vidéo iconique, ainsi qu’au cinéma duquel le dit jeu inspire sa mise en scène. On pense à Call of Duty, Deus Ex, Mirror’s Edge, Uncharted 2&3, Assassin’s Creed, Bioshock, Rage… puis par extension à Matrix, Soldat Ryan, Tarantino et plus particulièrement Kill Bill, Strange Days, beaucoup d’animes puis… Encore et toujours, les Mad Max.
Cette dernière référence permet d’ailleurs de nommer cet ouroboros qui définit HARDCORE HENRY autant que Fury Road : le cinéma a inspiré le jeu vidéo, et ces influences digérées et transcendées, commencent à inspirer le cinéma lui-même. Direction artistique narrative, codes visuels tournés vers l’immersion, structure vidéoludique, mise en scène paroxystique et viscérale… Ce cinéma nouvelle génération se construit autour d’un noyau fédérateur, à la fois accessible par son côté généreusement jouissif, et sachant satisfaire un public de connoisseurs cinéphiles et/ou d’hardcore gamers. On préfèrera toutefois la richesse thématique d’un Fury Road, au simple message que semble porter HARDCORE HENRY : « immerge toi spectateur, et prends ton pied ! »
D’ailleurs si cette même immersion est indéniable lorsqu’il s’agit des scènes d’action, elle n’est que partiellement atteinte concernant la reproduction du feeling si particulier du JV. Car sans l’interactivité inhérente à ce média, on peut se sentir frustré de ne pas avoir de contrôle sur les actions du personnage. Mais ce sentiment est contrebalancé par le dirigisme du film qui, lui, est parfaitement vidéoludique. Car comme dans tout bon CoD avec ses couloirs, ses scripts et ses actions limitées, le champ des possibles est constamment réduit au plus évident, donnant ainsi pleine place au spectacle. Les caractéristiques du FPS moderne fusionnent avec la mise en scène de HARDCORE HENRY , et l’on en arrive à adresser l’exacte même critique à l’un comme à l’autre : liberté de mouvements et d’approches (= contemplation + ouverture thématique, cinématographiquement parlant)… ou assurance de spectacle et d’un rythme excessivement élevé ? Le débat ne fait que se transposer d’un medium à l’autre, preuve d’une certaine concomitance.
Un autre élément paradoxal : la violence. Devant un tel nombre de victimes anonymes aux morts toutes plus bourrines les unes que les autres (environ 780 lol), on pourrait se dire que HARDCORE HENRY fait l’apologie de la violence gratuite. Un acte reproché à Matrix en son temps, encore que celui-ci justifiait parfaitement sa violence par son intelligent scénario. Il n’y a pas non plus de discours derrière cette déshumanisation de la violence, comme dans la charge anti-Reagan d’un Robocop, ou dans le douteux geste patriotique de La Chute du Faucon Noir, geste dont l’Amérique avait par ailleurs besoin pour se faire du bien à l’ego, au lendemain des attentats du 11 septembre.
Ici, c’est toujours cette fameuse grammaire vidéoludique qui justifie la violence, puisque HARDCORE HENRY reprend simplement le schéma du FPS moderne, dans lequel la progression nécessite d’éliminer par centaines des opposants anonymes, de même que le plaisir du bon frag, encouragé par les FPS plus arcade type Bulletstorm ou le jeu online. Puis de façon un peu plus méta, la violence du film se justifie aussi à travers la référence ouverte aux films suscités, eux-mêmes fantastiquement importants pour l’imagerie du jeu vidéo.
Un autre aspect est nourri par la grammaire vidéoludique : l’Humour.
Car OUI, le film est constamment drôle, justement parce qu’il est conscient d’être vidéoludique. Cet humour, s’il réside en quasiment chacune des situations, de par leur absurdité overthetopesque, se voit d’un autre côté génialement personnifié par Sharlto Copley. L’acteur incarne ce fantastique lien entre toutes les spécificités susmentionnées. Il introduit ambiances, objectifs scénaristiques, il donne un ton aux scènes d’action, et même introduit les idées de profondeur et de psychologie, l’espace de 2 min particulièrement musicales. Puis Copley rappelle constamment à Henry qu’il est l’avatar indestructible du spectateur, validant la folie des scènes d’action dans lesquelles il le placera.
Donc oui : si vous n’êtes sensible à aucun de ces éléments, il est évident que vous trouverez peut-être HARDCORE HENRY jouissif par sa mise en scène, mais globalement gratuit, vide et rempli de choix cinématographiquement douteux et/ou inappropriés. Ilya Naishuller a en tous cas parfaitement intégré les mécanismes et spécificités du jeu vidéo à son écriture, qu’il s’agisse de la structure du film, de placer des enjeux, de donner de la consistance (ou pas hein) à ses personnages, ou d’en extraire un humour génial. Il façonne ainsi HARDCORE HENRY comme un jouissif film-fan-service pour gamers qui ne se prend JAMAIS au sérieux, autant qu’un geste de cinéma proprement ahurissant. Malgré tout, son manque de profondeur une fois sorti du référentiel jeu vidéo l’empêche d’être plus que cela, un film qui, puisant dans un langage générationnel, révolutionnerait l’approche classique du medium cinéma.
Un grand merci au Cinéma Comoedia et à Hallucinations Collectives qui nous ont permis de découvrir le film en avant première !
D’ACCORD ? PAS D’ACCORD ?
[divider]INFORMATIONS[/divider]
• Titre original : Hardcore Henry• Réalisation : Ilya Naishuller
• Scénario : Ilya Naishuller, Will Stewart
• Acteurs principaux : Haley Bennett, Sharlto Copley…
• Pays d’origine : Russie, U.S.A.
• Sortie : 13 avril 2016
• Durée : 1h30min
• Distributeur : Metropolitan FilmExport
• Synopsis : Attachez votre ceinture. Hardcore Henry est certainement l’expérience la plus intense et la plus originale à vivre au cinéma depuis bien longtemps ! Vous ne vous souvenez de rien. Votre femme vient de vous ramener à la vie. Elle vous apprend votre nom : Henry. Cinq minutes plus tard, vous êtes la cible d’une armée de mercenaires menée par un puissant chef militaire en quête de domination du monde. Vous parvenez à vous échapper mais votre femme se fait kidnapper. Vous voilà perdu dans un Moscou hostile. Ici tout le monde semble vouloir votre mort. Vous ne pouvez compter sur personne. Sauf peut-être sur le mystérieux Jimmy. Pouvez-vous lui faire confiance ? Arriverez-vous à survivre à ce chaos, sauver votre femme et à faire la lumière sur votre véritable identité ? Bonne chance Henry, vous allez en avoir besoin.
[/column][divider]BANDE ANNONCE[/divider]
PNJ = Personnages Non Joueurs
FPS = First Person Shooter = Jeu de tir en vue à la première personne
AAA = nom du blockbuster dans le milieu du jeu vidéo
GAMEPLAY = variété des actions à réaliser dans un jeu vidéo = jouabilité