EUX
Crédits : Amazon Prime Video

EUX – Saison 1 : horreur, racisme et surenchère de la violence

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Située dans les années 50, la série créée par Little Marvin relate les dix premiers jours d’une famille noire dans une banlieue blanche de Los Angeles. Utilisant le genre de l’horreur pour dépeindre une période sombre des États-Unis, EUX nous plonge dans un récit glaçant, décousu, saupoudré de surnaturel et difficilement supportable.

1953. Une famille afro-américaine, les Emory, profite de la « grande migration » pour fuir le Sud ségrégationniste et s’installer dans un petit pavillon propret de la Californie. Un contexte que partageaient plus de 7 millions d’Afro-Américains entre les années 1910 et 1960 : fuyant le racisme, ils trouvent refuge dans les États du nord, jugés plus accueillants. Loin de faire l’unanimité auprès des communautés blanches, cette migration fut, très souvent, accueillie avec violence et injures raciales. Aidé par sa coproductrice Lena Waithe (Master of None), Little Marvin s’inspire de cette triste époque comme cadre pour la première saison de cette anthologie horrifique, diffusée sur Prime Video.

À peine arrivés dans un lotissement où ne résident que les Blancs, les Emory sont confrontés à un barrage de menaces, de harcèlements et sont poussés à plier bagage. Ajouté à cela la présence d’êtres maléfiques hantant leur maison, l’atmosphère de la série se veut pesante. Balancée entre l’hostilité de leurs voisins et les apparitions surnaturelles, la famille n’a jamais le temps de respirer. Un choix clairement assumé par les créateurs. En totale immersion et forcé d’adopter le point de vue des Emory, le public étouffe face à la cascade d’attaques subies par les personnages principaux. Attaques qui ne cessent de s’intensifier. Sur les dix épisodes, aucun répit ni trait d’humour n’est toléré. La violence est telle qu’on en vient parfois à suspendre le visionnage. C’est notamment le cas pour les épisodes 5 et 9, difficiles à terminer.

Photo de la série EUX
Crédits : Amazon Prime Video

On est enfermé dans une perpétuelle angoisse, accentuée par la musique stridente, les cadrages incongrus et l’excès de gros plans sur les visages. On retrouve ici tous les classiques du genre. Inscrit dans la lignée des œuvres d’horreur afro-américaines à dimension politique, EUX rappelle les formules utilisées par Tales from the Hood (1995), Get Out (2017), Watchmen (2019) ou encore Lovecraft Country (2020). Des formules qui usent d’hyperboles et de sensationnalisme pour brosser l’ampleur des injustices raciales aux États-Unis. Mais contrairement à ses prédécesseurs, la série peine à trouver ses marques.

Sur le papier, cette série a tout pour réussir : une belle imagerie, un décor pastellisé, des acteurs phénoménaux et un discours progressiste dans l’ère du temps. On salue également la bande-son magistrale, tirée des classiques des années 50 et 70, qui habille les drames abjects de la série et donne un certain rythme à l’ensemble. Des extraits de musique iconiques viennent même, très souvent, remplacer les dialogues, leur offrant une nouvelle perspective. Malheureusement, ses qualités s’arrêtent là. Dans un but d’impacter les esprits, les cinéastes surjouent les codes issus du folklore suprémaciste et tentent de tous les regrouper en une saison : blackface, poupées pendues, lynchages et autres joyeuseries grimaçantes. Et à trop vouloir en faire, l’histoire finit par perdre en saveur. Si bien que les performances remarquables du couple Ashley Thomas (Henry Emory) et de Deborah Ayorinde (Lucky Emory) ne peuvent masquer l’indéniable : la trame manque cruellement de profondeur. Les personnages n’ont aucune dimension et tout repose sur un manichéisme exagéré. Le racisme caricatural des Blancs et la survictimisation des personnages noirs finissent même par lasser. Rien ne semble progresser et les mêmes schémas reprennent épisode sur épisode. Les Emory, bien que personnages principaux, semblent n’exister qu’à travers les attaques de leurs ennemis : EUX ne nous apprend quasiment rien sur leur personnalité, leurs passions ni leurs aspirations. Résultat, le public peine à s’attacher à cette famille au quotidien cauchemardesque.

Photo de la série EUX
Crédits : Amazon Prime Video

Autre faiblesse de cette fiction : la désorganisation ambiante. Les cinéastes jonglent avec de multiples intrigues et échouent à bien les développer. Les déboires de Ruby Emory (Shahady Wright Joseph), l’adolescente marginalisée au lycée ; les problèmes professionnels du père, humilié par son employeur ; le deuil récent et douloureux de la famille ; le laitier psychopathe ou encore le quotidien de Betty (Alison Pill), voisine et antagoniste détestable, toutes les intrigues se chevauchent pour créer un patchwork bancal et indigeste par moment. On en ressort avec un sentiment de confusion sur l’objectif réel de la série. À l’instar de Misha Green et de Jordan Peele, Little Marvin utilise l’horreur et le fantastique pour illustrer le caractère extrême du racisme aux États-Unis. Mais force est de constater que les maladresses scénaristiques et l’ambiance chaotique desservent le message porté par cette série.

Finalement, si l’objectif de EUX était de nous choquer et de nous traumatiser, le pari est réussi. L’enchaînement des événements sordides ne laisse personne indifférent. Mais bien qu’elle ne manque pas d’audace, la série perd en authenticité à force de vouloir secouer à tout prix son public. À travers ses scènes sensibles, glauques et gratuites, on peine à en comprendre le but, autre que celui de montrer de manière perverse et proche du voyeurisme le chagrin d’une famille noire. Qui en est la cible ? Était-ce réellement utile de présenter un tel niveau de brutalité ? Qu’apporte cette œuvre au black horror ? Les réponses se trouvent peut-être dans la prochaine saison de cette fiction anthologique. Espérons qu’une nouvelle trame permettra aux créateurs de la série d’en combler les faiblesses.

Carole Rasoan

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Titre original : Them
Créateur.rice.s : Little Marvin
Acteurs : Deborah Ayorinde, Ashley Thomas, Alison Pill
Date de sortie : 2021
Durée des épisodes : 52 minutes
2.5

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