Le Dark Universe semble mal parti, et peut-être même déjà enterré par Universal. Pendant ce temps-là au Blog du Cinéma, on se met à rêver d’un autre monde, où le retour des Universal Monsters sur grand écran serait à la hauteur de nos attentes.
Universal a-t-il eu une fausse bonne idée en planifiant le Dark Universe ? On est tenté de le croire au vu des différentes annonces qui semblent contredire le plan conçu par Alex Kurtzman en 2014. Au départ le scénariste de Transformers et de Star Trek, avait envisagé de sortir les Universal Monsters de leur retraite pour créer une série de films appartenant au même univers fictionnel, et connectés les uns aux autres à la manière du Marvel Cinematic Universe de Disney, du DC Extended Universe et du MonsterVerse de Warner. Pour donner une nouvelle vie flamboyante sur grand écran à ces figures titulaires du cinéma d’horreur, qui avaient fait les belles heures d’Universal Studios dans les années trente et quarante, Kurtzman s’est entouré d’une équipe de scénaristes habitués à la catégorie des blockbusters tels que Chris Morgan (la franchise Fast and Furious), David Koepp (Jurassic Park, Spider-Man), Jon Spaihts (Prometheus, Doctor Strange) et Christopher McQuarrie (la franchise Mission Impossible).
Au vu des carrières de ces auteurs, on comprend que le studio les missionna pour mettre en chantier des films à grands spectacles, en suivant la recette miracle lancée par Marvel qui accumule depuis dix ans les succès au box-office. Rappelons que la méthode initiée par Kevin Feige pour dresser le plan de bataille du MCU était à la fin des années 2000 franchement novatrice dans l’industrie du divertissement hollywoodien. Jusqu’alors réservée au mode de production et à la temporalité de la télévision, cette méthode consiste à réunir un pool de scénaristes pour établir les grandes lignes d’une franchise, et prévoir ainsi un calendrier et une ligne directrice cohérente entre les films.C’est ainsi que Kurtzman et son pool ont pensé la nouvelle incarnation des Universal Monsters comme un univers étendu, et pour connecter les films entre eux, ont conçu l’équivalent du Shield dans le MCU, à savoir Prodigium, une organisation dédiée à la localisation, la protection, et si nécessaire, la destruction des monstres. Universal croyait certainement qu’en appliquant la formule Marvel à son Dark Universe, il ne pourrait qu’en résulter des triomphes au box office, d’autant plus que le studio avait débauché des acteurs célèbres comme Tom Cruise, Johnny Depp ou Russell Crowe comme garanties supplémentaires de prestige et de succès.
Mais il faut croire que le box-office n’est pas une science exacte, puisque La Momie, pierre fondatrice de cet univers étendu réalisé par Alex Kurtzman himself, fut loin d’être la poule aux œufs d’or tant attendue et espérée par Universal en 2017. 80 millions de dollars engrangés sur le sol américain, 409 millions dans le monde entier, si ces chiffres sont décevants, ils sont d’autant plus alarmants pour le studio, qu’ils sont accompagnés de réactions globalement négatives de la part du public. La plupart des spectateurs ont trouvé le cocktail action/fantastique/humour grossièrement calqué sur la formule MCU, et s’il s’agissait de calibrer le film pour en faire le parfait blockbuster estival, il est au final paradoxalement trop calibré pour laisser transparaître le charme et le frisson des Universal Monsters.
Universal se serait donc trompé sur les attentes du public ? C’est ce que semble croire le producteur Jason Blum qui a annoncé sur twitter au mois d’août son intention de reprendre les rênes du Dark Universe via sa société Blumhouse. Rappelons que Blumhouse a enchaîné les succès depuis dix ans dans le domaine du cinéma d’horreur : Paranormal Activity, Insidious, American Nightmare, etc, avec des budgets bien plus modestes que La Momie. Se pose alors la question de la stratégie commerciale dont doit décider Universal : continuer à produire des blockbusters à plus de 100 millions de dollars, privilégiant l’action et le rythme aux pâles colorations fantastiques et horrifiques, ou se fier au savoir-faire de Blum dans ces deux genres, sachant qu’il s’est jusqu’ici cantonné à des enveloppes de 5 ou 10 millions de dollars ?Et cette question en appelle une autre concernant la manière de raisonner des décideurs hollywoodiens actuellement : doit-on forcement choisir entre ces deux options pour permettre aux Universal Monsters de trouver leur place dans le cinéma américain des années 2010 ? On ne peut pas nier le fossé qui sépare La Momie de Karl Freund (1932) et La Momie d’Alex Kurtzman (2017). Le premier oscillait entre le cauchemar et le rêve envoûtant, le second apparaît avant tout comme un véhicule pour l’action hero Tom Cruise, égaré entre deux opus de Mission Impossible. Le Dark Universe version Kurtzman était donc une fausse bonne idée dès le départ ? Et plus largement, envisager les Universal Monsters comme des films à grand spectacle mène fatalement à une impasse ?
On est en droit de se demander si le problème ne vient pas tout simplement de l’équipe recrutée par le studio pour créer l’univers étendu. En effet, si les arches narratives principales du Dark Universe ont été établies par des scénaristes aguerris en matière de blockbuster comme Kurtzman et Morgan, il n’est demeure pas moins que le choix de ces deux professionnels comme « showrunners » de la franchise a de quoi faire se lever plus d’un sourcil circonspect. En se fiant à leurs carrières respectives, on pouvait déjà deviner la tournure que prendrait La Momie, et effectivement à l’arrivée, le pool scénaristique a livré au studio le produit consensuel, aussi rapidement consommable que digérable, répondant au cahier de charges imposé par les producteurs.
Pourtant si Universal voulait placer des valeurs sûres à la tête du projet, il pouvait miser sur des réalisateurs emblématiques du genre fantastiques, au lieu de scénaristes contraints de composer avec les exigences du studio. Dans le processus créatif des blockbusters actuels, les décideurs se préoccupent de choisir des acteurs célèbres, des producteurs exécutifs et des directeurs artistiques chevronnés, et des scénaristes parés à exploiter une franchise, à triturer ses différentes composantes, comme des publicitaires triturant l’ADN d’une marque. On n’oublie pas un poste important dans le processus créatif ? On oublie le réalisateur, qui en principe doit donner une âme au film, et le Dark Universe a bien besoin d’une âme s’il veut se démarquer des autres univers étendus, ou tout simplement du tout-venant de la production hollywoodienne. Il y avait là une occasion parfaite pour Universal s’il avait voulu se rappeler et rappeler au public, qu’à la base c’est une major, et pas simplement un pourvoyeur de produits commerciaux. On peut ainsi s’imaginer à quoi aurait pu ressembler le Dark Universe s’il avait été confié à des cinéastes, qui non seulement ont gagné leurs galons en matière de cinéma à grand spectacle, mais ont également prouvé leur amour et leur maîtrise du fantastique au cours de leurs carrières respectives.
LA MOMIE d’ALEX PROYAS
Alex Proyas est australien mais il est né à Alexandrie, en Egypte. En 2016, il a prouvé au public qu’il s’intéressait à la mythologie de son pays natal avec Gods of Egypt, un blockbuster nanardesque certes, mais tellement généreux qu’il en devient sympathique. Si la carrière de Proyas a connu des hauts et des bas depuis, on peut dire qu’il bénéficiait une belle renommée dans les années 90, grâce à The Crow et Dark City, deux œuvres fantastiques aux atmosphères à la fois sombres et impressionnantes.
LA FIANCÉE DE FRANKENSTEIN de GUILLERMO DEL TORO
Depuis le début de sa carrière, Guillermo Del Toro a alterné les blockbusters (Hellboy, Pacific Rim) et les films fantastiques d’auteur (L’Échine du Diable, Le Labyrinthe de Pan). Parmi les nombreux projets inaboutis du cinéaste mexicain, on trouve Frankenstein, qu’il voulait adapter en restant fidèle à l’esprit du roman originel de Mary Shelley. Si ce projet prend la poussière depuis des années sur une étagère, Del Toro a déjà prouvé à maintes reprises son amour pour les récits de monstres qu’il traite avec un romantisme éperdu, notamment dans La Forme De L’Eau sorti cette année.
L’HOMME INVISIBLE de SANG-HO YEON
Hollywood va régulier chercher du sang neuf du côté de l’Asie, et on ne saurait trop conseiller aux décideurs d’Universal de jeter un œil sur le cinéma sud-coréen. Le cas de Sang-Ho Yeon est très intéressant puisqu’il nous a offert un divertissement des plus ébouriffants avec Dernier Train pour Busan en 2016, et a enchaîné cette année avec Psychokinesis, l’histoire d’un homme des plus ordinaires se découvrant des pouvoirs extraordinaires. Après les zombies et la télékinésie, on serait curieux de voir ce que Yeon ferait de la thématique de l’invisibilité.
DRACULA de JUAN ANTONIO BAYONA
On peut dire que Juan Antonio Bayona sait faire rimer fantastique avec succès public, puisque L’Orphelinat fut le numéro 1 du box office espagnol en 2007. On peut ajouter qu’il a déjà fait ses preuves aux commandes d’un projet semblable au Dark Universe en réalisant les deux premiers épisodes de Penny Dreadful, la série gothique et victorienne réunissant les illustres créatures de la littérature anglo-saxonne. Un terreau culturel qui semble le hanter, au point que de nombreux spectateurs ont vu dans la réalisation de Jurassic World : Fallen Kingdom, des effets d’épouvante empruntés aux films de vampires.
LE LOUP-GAROU de CHRISTOPHE GANS
Et pourquoi pas un français ? En piochant dans les différents pays qui ont vu naître des cinéastes ambitieux, Universal pourrait s’intéresser à Christophe Gans, un réalisateur atypique dans la production hexagonale. À la différence de ses compatriotes qui doivent se contenter de maigres budgets pour réaliser leurs films de genre(s), Gans a déjà réussi par deux fois à bénéficier de moyens conséquents pour Le Pacte des Loups et La Belle et La Bête. L’ancien rédacteur en chef de Starfix utilise sa prodigieuse cinéphilie pour élaborer de grands films populaires, et affiche qui plus est, un attrait particulier pour les créatures poilues.
L’ÉTRANGE CRÉATURE DU LAC NOIR de ANDRÉS MUSCHIETTI
Fort du succès phénoménal de Ça, Gabriele Muschetti est aujourd’hui considéré comme une valeur sûre du cinéma d’horreur. Avec Mama, il démontrait déjà qu’il s’avait manipuler des récits fantastiques à l’esthétique léchée et à la qualité technique indéniable. Muschetti alterne les scènes horrifiques spectaculaires avec les moments de malaise, n’hésitant pas à placer ses jeunes protagonistes dans des situations franchement glauques. On pourrait ainsi imaginer le réalisateur argentin aux commandes du film le plus effrayant du Dark Universe.
LE FANTÔME DE L’OPERA de TIM BURTON
Symptôme du temps qui passe, on oublierait presque que dans les années 80 et 90, Tim Burton était l’une des figures majeures du cinéma fantastique. Depuis, le cinéaste américain s’est enlisé dans des projets visant un large public comme Alice au pays des merveilles ou Miss Peregrine et les enfants particuliers, mais renouant rarement avec sa magie d’autrefois. Il pourrait trouver un écrin idéal pour son esthétique macabre dans une œuvre comme Le Fantôme de L’Opéra, y plaçant ce qu’il y avait de plus beau et de plus cruel dans Sweeney Todd, en évitant cette fois les fautes de goût rédhibitoires.
Alors certes, cette liste ne règle pas la question de l’univers étendu, et on peut imaginer la difficulté à créer des connexions entre les films, s’ils présentent chacun un univers différent, reflet de la psyché de chaque cinéaste. Il serait peut-être plus judicieux d’envisager le Dark Universe comme un label, une collection de films fantastiques spectaculaires. En tout cas, en faisant un tour d’horizon mondial des cinéastes étiquetés « cinéma de genre », on peut s’amuser à constituer la dream team que Universal devrait engager pour faire honneur à l’héritage fantastique et horrifique des Universal Monsters.
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