Un grand studio peut désormais se trouver avec une présidente et pas un président à sa tête, et lors des très regardées cérémonies des Oscars, le public voit des réalisatrices récompensées. Le cinéma, un secteur dont la visibilité et le pouvoir d’influence ne fait plus débat, est-il en train de nous envoyer le message que le plafond de verre se brise ?
En 2021, deux des cinq personnes nommées pour l’Oscar de la meilleure réalisation étaient des femmes : du jamais vu à Hollywood. Cette année-là (Chloé Zhao), comme en 2022 (Jane Campion), c’est une femme qui a triomphé dans cette catégorie prestigieuse. Un tournant pour une industrie qui joue un rôle clé dans notre perception du monde ? Pas si vite. Lors des derniers Oscars en mars 2023, aucune femme n’a été nommée dans cette catégorie.
Il faut dire qu’en ce qui concerne la place des femmes, le cinéma américain, comme la plupart des secteurs, revient de loin. En revanche, les hommes n’ont pas toujours été les rois d’Hollywood. À une époque, la production des films aux Etats-Unis était plus égalitaire. On pourrait même dire que Hollywood montrait une autre voie possible aux entreprises des Etats-Unis.
A l’aube du 20e siècle, au tout début du cinéma américain, on comptait plus de 100 réalisatrices dans le pays. En 1930, il n’en restait plus que deux. Hollywood était devenu l’usine à rêves et les hommes rêvaient d’y faire fortune. Comme souvent dans des secteurs porteurs, ils se sont appropriés les postes de pouvoir, reléguant les femmes aux tâches moins glorieuses. Résultat : quasiment plus de place pour celles qui ont pourtant aidé à bâtir le cinéma américain.
Prenez, par exemple, Lois Weber. Aujourd’hui oubliée, cette réalisatrice de l’époque du cinéma muet tournait des films à grand succès, et, de 1914 à 1917, était propriétaire de son propre studio. Bien avant l’arrivée du son en 1927 (un procédé que Weber avait expérimenté dès 1913), elle appartenait déjà au passé.
Ce chapitre féminin de Hollywood, dont on parle rarement aujourd’hui, est-il en train de redevenir d’actualité ?
Dans l’époque post-Harvey Weinstein et pro #MeToo, les femmes de l’industrie hollywoodienne semblent tenir plus de rênes que depuis un siècle. Comme pour les personnes de couleur dans ce secteur si influent, il serait toutefois naïf de penser que les femmes peuvent déjà crier victoire, mais l’industrie change.
En 2017, deux événements hautement symboliques ont lieu dans le cinéma américain : Wonder Woman sort en salles – le premier film de superhéros à gros budget réalisé par une femme (Patty Jenkins) – et Stacey Snider devient présidente de Fox Films. Puis, en 2019, Ann Sarnoff accède au poste de PDG à Warner Bros.. En 2021, Chloé Zhao gagne l’Oscar de la meilleure réalisation pour Nomadland, et un an plus tard, Jane Campion répète l’exploit pour The Power of The Dog.
Hollywood semble donc avoir chassé ses démons par rapport à la domination des hommes. En tout cas, c’est l’image que cette industrie spécialisée dans la production des images souhaite nous donner. Des milliards de téléspectateurs voient une réalisatrice gagner un Oscar – tout va bien pour l’égalité des sexes.
Le fait est que Hollywood reste un monde bien masculin. Pendant leur âge d’or, avant, pendant et après la Deuxième Guerre mondiale, les studios, tout comme la plupart des entreprises, étaient gérés par des hommes. Le cinéma américain faisait vraiment figure de mauvais élève. Propriété des self-made men, les studios pratiquaient généralement une version peu éthique des ressources humaines. Des stars appartenaient aux studios, leurs vies privées étaient souvent contrôlées par leur employeur et il était monnaie courante d’exiger des faveurs sexuelles auprès des actrices.
Avec la chute de ces empereurs et le démembrement de plusieurs studios à partir des années 1960, une opportunité pour un vrai changement s’est présentée. Pourtant, la première femme ne gagne l’Oscar pour la meilleure réalisation qu’en 2010 (Kathryn Bigelow pour Démineurs) et en 2017, l’affaire Harvey Weinstein montre combien un homme du cinéma américain peut toujours exploiter et abuser des femmes.
Six ans plus tard, malgré des gestes bien visibles comme ces Oscars au féminin, on peut se demander si la place des femmes dans cette industrie a réellement évolué.
Selon le Centre for the Study of Women in Television and Film qui récolte depuis 25 ans des données sur les femmes devant et derrière la caméra, la parité n’est pas pour demain. Ce centre dévoile que de 1998 à 2022, le nombre de femmes réalisatrices, scénaristes, productrices, productrices exécutives, monteuses et cheffes opératrices n’a augmenté que de 7% (17% en 1998, 24% en 2022). Qui plus est, le chiffre de 24% en 2022 représente une perte d’un pour cent par rapport au résultat de 2021…
Une industrie qui, à travers ses films et ses grandes messes, exporte des idéologies partout dans le monde peut, évidemment, impacter notre vision de la situation réelle de l’égalité hommes-femmes. Est-ce qu’une présidente par-ci et une réalisatrice par-là suffit pour briser ce que certains qualifient du plafond de celluloïd ?
Andrew Taylor est professeur de culture et de civilisation américaine à l’école de management Audencia. Ses enseignements couvrent des sujets tels que l’aspect géopolitique des films et séries, l’histoire de l’industrie hollywoodienne, et les divers genres de cinéma.