[dropcap size=small]A[/dropcap] sa sortie en 1980, CRUISING – LA CHASSE (son titre anglais signifie plutôt le maraudage), dixième film de William Friedkin, a particulièrement choqué. Son sujet, une enquête policière dans les milieux sadomasochistes homosexuels à New York, est très délicat à l’époque. Mais surtout Friedkin s’y attaque de façon violente et crue. Le réalisateur devra couper et remonter en grande partie son film pour éviter d’être soumis à la classification X, interdit aux moins de 18 ans, qui aux Etats-Unis concerne des films considérés par la Commision de censure de la Motion Picture Association of America’s comme trop violents, avec l’abus de dialogues injurieux et grossiers et/ou contenant des scènes de sexe trop implicites – les films pornographiques sont eux classés XX ou XXX. CRUISING – LA CHASSE recevra pour sa sortie en salles une mention « R », interdit aux moins de 17 ans non accompagnés. Aujourd’hui, CRUISING – LA CHASSE marque toujours autant (à voir mais se rapproche davantage d’un chef d’œuvre qu’une œuvre à bannir. En dépit de certains défauts, on retient l’audace du réalisateur et sa maîtrise en terme d’ambiance dérangeante. Un polar qui reste en mémoire et surprend toujours autant, porté avec brio par le grand Al Pacino.
La police new-yorkaise enquête sur deux meurtres d’homosexuels appartenant à la tendance sado-masochiste, qu’elle pense être dus au même tueur. Le capitaine David Edelson, chargé de l’affaire, propose à un jeune policier en uniforme, Steve Burns – qui possède les caractéristiques physiques des victimes – d’infiltrer la communauté gay. Comme il ambitionne de devenir « enquêteur », Steve, voyant la possibilité d’une rapide promotion, accepte, en dépit du danger qu’il encourt. Installé dans un appartement de Greenwich Village, Steve fréquente toutes les nuits les lieux de rendez-vous homosexuels : bars, discothèques, boîtes de nuit, jardins publics. L’assassin, habillé d’un blouson de cuir à pièces métalliques cliquetantes, porteur d’une casquette de motocycliste et le visage dissimulé derrière des lunettes de soleil, frappe par deux fois encore..
Le scénario si particulier de CRUISING – LA CHASSE vient d’une série d’articles publiés dans l’hebdomadaire culturel new-yorkais The Village Voice. Le journaliste et activiste gay Arthur Bell y décrivait certains bars et clubs gay de la ville, faisant ressortir une atmosphère de cuir sadomasochiste. A cela s’ajoute des disparitions ayant eu lieu dans ces bars, relatées par la presse de l’époque. Friedkin avait déjà pris pour sujet la communauté homosexuelle en 1970 dans The Boys in The Band, traitant de la difficulté à vivre et à révéler l’attirance et la préférence d’hommes pour d’autres hommes à la fin des années 1960. Dix ans plus tard, Friedkin aborde une part plus sombre et souterraine du milieu homosexuel sous la forme d’un film policier. Comme dans French Connection, son premier grand succès en 1971, enquête policière sur un trafic de drogue, le réalisateur propose une fiction à partir de faits réels, filmés dans un style documentaire et de cinéma vérité. A la vue de ses plans il semble parcourir du regard un univers mystérieux. Sa caméra reste régulièrement à distance pour filmer de longue séquences sans coupure. Durant ces scène c’est la prestation des acteurs qui est privilégiée et il en ressort évidemment celle d’Al Pacino. Ce dernier, bien qu’ayant renié le film après des conflits avec Friedkin, crève l’écran. L’acteur fascine sur chaque plan et semble habité par un personnage dont le comportement change peu à peu.
« En dépit de certains défauts, on retient l’audace du réalisateur et sa maîtrise en terme d’ambiance dérangeante. »
En effet William Friedkin dirige lentement son film vers l’ambiguïté des personnages. Steve, le policier qu’incarne Pacino, chargé d’infiltrer le milieu, semble d’abord avoir été jeté dans la gueule du loup. Un monde étrange, inconnu, qui le déroute, puis l’attire. Face à lui un tueur particulièrement inquiétant. Ne laissant apparaître que des grosses lunettes noir et une casquette en cuir, et ne laissant entendre qu’en hors champ (du moins en grande partie) un voix presque irréelle. Cette façon si particulière de le présenter en fait un personnage cauchemardesque. D’autant plus que Friedkin plonge la majorité de son film dans une ambiance onirique en s’appuyant sur des teintes de bleu et de noir rappelant là L’Exorciste (1973). Surtout pour les séquences de nuit et en boîte de la première partie du film, la seconde se focalisant davantage sur l’enquête de manière plus classique. A cela se mêle la description de pratiques extrêmes, des images de cuir, de corps en sueur, complétée par des morceaux punk rock de l’époque. Dans l’ambiance globale du film le travail du directeur de la photographie, James A. Contner, pour qui il s’agissait du premier film, est à mettre à l’honneur.
Avec cette ambiance de rêve qui plane tout au long de CRUISING – LA CHASSE, mêlé à la peur de Steve de perdre le contrôle, de se perdre durant son enquête, le doute se pose sur l’identité réelle du tueur. En cela, la relation de Steve avec sa petite amie Nancy, interprétée par Karen Allen (Les Aventuriers de l’arche perdue) devient essentielle. Seul lieu de rare refuge mais où Steve ne peut se livrer. D’autant qu’en l’entourant de forces de l’ordre à la morale plus que douteuse (certains policiers profitant de leur « pouvoir » pour malmener la communauté gay), sujet qu’affectionne Friedkin – déjà le cas dans French Connection, et traité de nouveau en 1985 dans Police Fédérale, Los Angeles – rien n’est moins sûr à propos de Steve, si charismatique et ambigu devant son miroir. Friedkin réussi ainsi un véritable tour de force, laissant le spectateur dans l’expectative jusqu’à la fin.
CRUISING – LA CHASSE est chroniqué dans le cadre d’une rétrospective consacrée à WILLIAM FRIEDKIN, proposée par le Champs Élysées film Festival 2015 ! le film sera projeté le jeudi 11 juin – 22:00 à Publicis Cinémas.
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[column size=one_half position=last ]– CEFF 2015 : ATMOSPHÈRES URBAINES : DETROIT
– CEFF 2015 : IMAGINAIRES AMERICAINS : DESERT
– CEFF 2015 : RETROSPECTIVE FRIEDKIN
– CEFF 2015 : la programmation
• Réalisation : William Friedkin
• Scénario : William Friedkin d’après Gerald Walker
• Acteurs principaux : Al Pacino, Karen Allen, Paul Sorvino
• Pays d’origine : U.S.A
• Sortie : 24 septembre 1980 – Diffusion au CEFF le 11 juin 2015
• Durée : 1h40
• Distributeur : Action Cinémas / Théâtre du Temple
• Synopsis : La police new-yorkaise enquête sur deux meurtres d’homosexuels appartenant à la tendance sado-masochiste, qu’elle pense être dus au même tueur. Le capitaine David Edelson, chargé de l’affaire, propose à un jeune policier en uniforme, Steve Burns – qui possède les caractéristiques physiques des victimes – d’infiltrer la communauté gay. Comme il ambitionne de devenir « enquêteur », Steve, voyant la possibilité d’une rapide promotion, accepte, en dépit du danger qu’il encourt…
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https://www.youtube.com/watch?v=aFSHxerdlw0