Un village de pêcheurs dans la grande banlieue de Dakar, d’où partent de nombreuses pirogues. Au terme d’une traversée souvent meurtrière, elles vont rejoindre les îles Canaries en territoire espagnol. Baye Laye est capitaine d’une pirogue de pêche, il connaît la mer. Il ne veut pas partir, mais il n’a pas le choix. Il devra conduire 30 hommes en Espagne. Ils ne se comprennent pas tous, certains n’ont jamais vu la mer et personne ne sait ce qui l’attend.
Note de l’Auteur
[rating:7/10]
• Date de sortie : 17 octobre 2012
• Réalisé par Moussa Toure
• Film Français, sénégalais, allemand
• Avec Souleyman Seye Ndiaye, Malamine Drame, Laïty Fall, Balla Diara, Babacar Oualy, Saikou Lo
• Durée : 1h27min
• Bande-Annonce :
Sortie DVD de ce 19 février, la Pirogue tient en son nom toute la promesse d’un beau voyage… Et pourtant ce n’est pas d’un voyage de plaisance dont il est question puisque le sujet traite de l’immigration africaine. Bien que le film sublime quelque peu la réalité, on découvre là une vérité touchante, à fleur de peau, pleine d’espoir et de désillusions, mais aussi de mysticisme et de fraternité : des ingrédients qui se marient joliment pour former un film aux allures de conte initiatique ou de docu-fiction doucereusement acidulé, enjolivé par la musique locale et captant le visage d’une Afrique en exil. On en ressort plus averti sur un sujet plutôt lourd et qui aurait pu tomber rapidement dans le pathos. Film à la mémoire des naufragés de ces expéditions illégales menées par ces africains de l’ouest embarquant à bord de pirogues pour un voyage de 7 jours afin d’échapper à la misère de leur pays et trouver argent et conditions de vie meilleures, il est une belle manière de voyager tout en s’informant sur un phénomène de masse et d’actualité.
Le bonus du DVD possède un réel intérêt puisqu’on y retrouve la voix de vrais capitaines venant faire écho aux personnages du film.
La Pirogue essaie de coller au plus proche de la réalité. Malgré quelques différences avec le réel, comme le nombre de passagers (les pirogues embarquent parfois jusqu’à cent passagers contre seulement trente dans le film), le réalisateur montre un échantillon de ces populations et analyse ces personnages à l’échelle d’un microcosme bien défini avec des figures existantes : le capitaine, le convoyeur, ou encore les clients qui payent pour partir. Le film met en évidence l’existence d’une liste de passagers et montre son importance dans la préparation du voyage. Les protagonistes attendent, subissent les caprices de la météo et les déconvenues liées au départ. Puis, au cours de la traversée, le spectateur assiste à la conduite de la pirogue, à la fragilité de ces traversées (panne de moteur, tempête, perte d’hommes…) et à l’organisation qu’elles induisent (gestion de la nourriture, des horaires, des morts…). Tout ceci semble nous être rendu fidèlement, même si on doit se l’avouer le film enjolive les choses. La Pirogue signe assurément un parti-pris esthétique.
L’aspect mystique est largement mis en évidence dans le film. La religion, très forte chez ces peuples d’Afrique, a une place prépondérante lors de ces traversées et est bien rendue à l’écran. Au début du film, il nous est montré deux tribus qui vont devoir se côtoyer dans la pirogue. La vie à bord est rythmée par la prière et on voit bien que le capitaine et les passagers s’en remettent à Dieu. L’immensité de la mer qui accroît la petitesse de l’homme, sa fragilité et son impuissance face aux déchaînements des éléments naturels, intensifient cette part de mystère, la présence d’une force supérieure, une idée de fatalité, d’un homme laissé à son destin, très présents dans le film. L’impuissance de l’homme, sa détermination à sauver sa peau, à atteindre son but, l’acceptation de cette fatalité qui laisse certains à la mer, est bien montrée, notamment lors de scène de sauvetage ou pendant la tempête. Cette approche de la mort en tant que fatalité n’est jamais morbide, toujours peut-être avec l’idée d’un film qui veut transcender l’horreur par la beauté : des plans bien nets, bien lisses, ou tout est finalement ramené au calme, à la sérénité. Le film possède en effet ses moments de répits montrant une traversée inconstante liée aux caprices de la météo, avec une première moitié de traversée sereine et la seconde plus périlleuse, faisant qu’à mi-parcours rien n’est encore acquis et que le plus dur reste à faire : tenir et résister, se dépasser et aller au bout de soi et de ses forces, garder sa foi intacte, sont les attitudes qui animent les visages de ce film qui font ainsi figures de vrais combattants.
Les coups durs liés à la traversée sont aussi prétexte à montrer la solidarité entre les êtres. Cette fraternité qui existe entre les hommes au-delà de leurs origines tribales, de leur âge, de leur croyance et de leur caractère, est très présente. Face à la mort, chacun est ici montré sur le même pied d’égalité que son voisin. Plus aucun critère de différenciation n’entre en compte si ce n’est un même statut d’humain, de frère « terrestre ». La vie sur la pirogue, qui exige rationnement et partage, se calque sur un modèle communautaire : on se consulte en cas de problème, le temps est réparti entre prière, jeux, et repos, dans une atmosphère quasi-monacale. Cette fraternité partagée n’exclue pas la présence de sentiments. Chacun amène sa part d’émotion : un mélange de doutes, de craintes et d’espoirs, selon l’âge, la foi ou l’ambition. Dans l’espace réduit de cette pirogue, les sentiments sont exacerbés et chacun se soutient comme il peut ou se supporte parfois. Plus que des frères, ces hommes rescapés apparaissent à la fin comme de véritables héros sauvés des eaux.
Le réalisateur, Moussa Toure, offre ainsi une belle leçon d’humanité et un doux tableau de cette Afrique à la fois désespérée et espérant un avenir meilleur. Entre lumière et ténèbres, il porte un regard contrasté sur un phénomène d’exil qu’on ne considèrera plus de la même façon.
Tout ceci semble nous être rendu fidèlement, même si on doit se l’avouer le film enjolive les choses.