Toute cette merde a sûrement commencé en 1978, avec le Superman de Richard Donner. C’était le premier blockbuster super-héroïque sous la forme à laquelle nous sommes aujourd’hui habitués. Depuis, ça ne s’est pas arrêté, et le phénomène semble même avoir connu une certaine recrudescence depuis le début du millénaire. Pendant que les Ricains adaptent à la pelle leurs comics et que les Japonais transforment quasi-systématiquement leurs mangas en série animée, la France et la Belgique semblent s’asseoir tranquillement sur leur patrimoine BD, pourtant loin d’être inintéressant. Au final, c’est Spielberg qui s’occupe de Tintin, et XIII a été une coproduction franco-canadienne sans acteur francophone… cherchez l’erreur.
Mais ces quelques dernières années, l’industrie frenchie s’est subitement réveillée et s’est décidé à imiter son grand frère, toujours avec un temps de retard, et toujours sans pleinement assumer sa nationalité : Blueberry et Lucky Luke sont des héros typiquement US et Adèle Blanc-Sec a été adapté par le plus américain des réalisateurs hexagonaux ; en fait, il ne reste a priori qu’Astérix qui puisse être considéré comme une adaptation 100% du terroir. Reste la question du positionnement de Largo Winch : si Jean Van Hamme est Belge et que la série est d’abord une suite de romans (mais qui le sait ?), Jérôme Salle est bel et bien français, tout comme la productrice Nathalie Gastaldo et Tomer Sisley, malgré une généalogie internationalement alambiquée.
Pourtant, et c’est bien là que ça devient tragique, Largo Winch II n’a rien de particulièrement français, et à vrai dire on y sent presque une envie de lisser les particularismes nationaux qui pourraient subsister, dans une volonté apparente de mondialisation à outrance. Il fut un temps où les futurs grands maîtres internationaux admiraient la France pour sa Nouvelle Vague ; aujourd’hui la french touch s’est transformée en french complex, et Jérôme Salle ne semble pas très préoccupé par l’idée de revendiquer une singularité éventuelle due au patrimoine culturel dont il pourrait être l’héritier. Le savoir-faire ricain en matière de blockbuster a déjà fait ses preuves, et, à condition de trouver un personnage avec assez de potentiel, il suffit de bien connaître sa leçon pour pouvoir obtenir les mêmes résultats en matière de popularité, non ? Largo Winch est un support d’exportation idéal : il est riche comme Bruce Wayne, classe comme James Bond, et voyage aux quatre coins du monde. Peu importe l’endroit où il est né ou par qui il a été créé, le personnage est international, une base rêvée pour un film qui se veut apatride.
Les ricains sont ceux qui dépensent le plus dans leurs films, mais aussi ceux qui se font le plus de thunes grâce à leurs films. Pour faire un film qui cartonne, il faut les imiter, se rapprocher d’eux. La présence de Sharon Stone au casting n’est donc pas anodine : les jambes écartées, elle fait le pont entre les USA et la France. On pourra toujours trouver ça un peu triste que les réalisateurs continuent de l’associer à Basic Instinct alors qu’elle ressemble de plus en plus à Michael Douglas, mais les maquilleuses font du bon boulot et elle reste un atout indéniable pour attirer l’attention sur le film hors de nos frontières. Mais si elle est l’américanisme le plus évident du film, elle est loin d’être la seule. Salle semble avoir complètement assimilé le B.A.-BA du blockbuster à succès, et applique à la lettre ce qu’il en a retenu, parfois en allant jusqu’à un excès qui frise le ridicule.
A un point crucial du film, on assiste à ce moment d’anthologie, tout droit sorti de ce que Rambo a pu inspirer de pire en matière de tropes visuels : Largo et sa nana courent et sautent au ralenti en plongeant vers la caméra tandis qu’un bâtiment explose à l’arrière-plan en projetant des débris partout autour. Evidemment il est venu la sauver au péril de sa vie, évidemment ils coucheront ensemble. Ce genre de scène est un cliché monstrueux (et c’est encore pire avec la musique), le genre de trucs qu’on a vu des centaines de fois et qu’on verra encore plus dans les années à venir, puisque le modèle, au lieu de s’essouffler, semble faire de plus en plus de thunes au niveau mondial. Il y a des gens que ça insupporte, il y a des gens que ça soûle, il y a des gens que ça laisse indifférent, et il y a aussi tout un tas de gens qui adorent ça, et qui ont toujours autant la chair de poule à chaque fois. Ces gens-là font tourner le business, et le fait qu’ils continuent de payer leurs places sont la raison même pour laquelle c’est difficile de vraiment reprocher à Jérôme Salle d’avoir cédé à une telle facilité dans son film : dur d’attaquer un type qui fournit au public ce qu’il veut voir.
Avec une aussi grosse production, Largo Winch se doit forcément de plaire au plus grand nombre de spectateurs possible, et son intrigue est étudiée dans ce sens-ci. Le scénar tourne autour d’histoires de rachat d’entreprises, de transactions boursières, de philanthropie et de crimes contre l’humanité. Des thèmes apparemment complexes, mais traités de manière ultra-simpliste pour ne pas embrouiller les plus jeunes, et toujours prétexte avec des scènes d’action qui reposent le cerveau et empêchent le spectateur de se lasser. On a donc un film qui a l’air vaguement intelligent sans être chiant, avec un peu d’humour (merci Olivier Bathélémy et Nicolas Vaude), un peu d’émotion (merci Mame Nakprasitte) et même une fin sombre pour donner un air grave et mature à l’ensemble. Le tout, évidemment, sans jamais que ça soit réellement violent, réellement profond, ambigu, polémique ou réellement glauque ; une fois encore, Salle connaît la leçon : être superficiel, c’est être populaire. James Cameron n’est pas loin.
Le pire, c’est que, si on réfléchit uniquement en terme d’objectifs et d’accomplissement, Largo Winch II est une putain de réussite. C’est un film d’action bien rythmé, avec son quota d’explosions, de combats à mains nues, de fusillades et de courses-poursuites en bagnoles qui se permet même une petite fantaisie en chute libre ; les personnages sont charismatiques et attachants, les scènes légères ne s’éternisent pas… Il plaira aux gosses, aux ados, à leurs parents et aux amateurs de sucreries cinématographiques en général, il s’exportera à merveille, se rentabilisera en un rien de temps et appellera tout naturellement un 3e volet avec un budget encore plus important. Largo Winch II n’est pas un film français, c’est un blockbuster international, et ses spectateurs se foutent sûrement pas mal des critiques : la bande-annonce les a déjà convaincus.