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[critique] L’Esprit De La Ruche

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Espagne, 1940 ; peu après la fin de la guerre civile. Un cinéma itinérant projette Frankenstein dans un petit village perdu du plateau castillan. Les enfants sont fascinés par le monstre et, parmi eux, la petite Ana, 8 ans, se pose mille et une questions sur ce personnage terrifiant. Sa grande soeur, Isabel, a beau lui expliquer que ce n’est qu’un « truc » de cinéma, elle prétend pourtant avoir rencontré l’esprit de Frankenstein rôdant non loin du village.
Les filles partagent leur solitude dans une grande maison obscure. Leurs parents sont rarement présents, pris chacun dans des rituels adultes incompréhensibles : le père, insomniaque, passe ses journées à étudier les abeilles, arrangeant la maison familiale comme si c’était une ruche ; la mère, quant à elle, s’est réfugiée dans une nostalgie stérile, rédigeant des lettres à un prétendu amant qui demeure invisible et silencieux. Pour fuir ce monde mort, Ana et Isabel s’inventent un univers parallèle.
Ensemble, les deux soeurs partent explorer les alentours du village, découvrant une vieille maison abandonnée au pied d’une colline, avoisinant un puits mystérieux. Les filles découvrent, par leurs jeux et les histoires qu’elles se racontent, un monde sombre, merveilleux, hanté par des figures imaginaires que seuls les enfants peuvent apercevoir. Un beau jour, Ana trouve un homme blessé qui s’est réfugié dans la maison abandonnée…

Note de l’Auteur

[rating:10/10]

Date de sortie : 5 janvier 1977
Réalisé par Victor Erice
Film espagnol
Avec Ana Torrent, Isabel Telleria, Fernando Fernán Gómez
Durée : 1h38min
Titre original : El Espíritu De La Colmena
Bande-Annonce (VOSTEN) :

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L’intrigue se déroule en 1940, soit un an après la fin de la guerre civile qui opposa les Franquistes et les Républicains, soit un an après le début d’une dictature qui durera 35 ans…
Il est réalisé en 1973, toujours sous l’ère Franco, le cinéma est soumis à la censure terrible d’un Régime non moins terrible, le producteur va jusqu’à falsifier le scenario original pour passer l’écueil des censeurs, tout en sachant que Victor Erice, le réalisateur, tournera LE scenario original ! Le subterfuge fonctionne…
Victor Erice pose avec ce film les prélats du renouveau du cinéma espagnol, il livre plus qu’un film, un authentique poème initiatique, une ode au Monde onirique de l’enfance…

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Ana et Isabel sont deux sœurs vivant dans un village isolé (référence certaine au régime franquiste !) avec pour seul divertissement la projection publique d’un film chaque mois. La scène d’ouverture met en scène l’arrivée du camion véhiculant le film au village, plan serré sur Ana et Isabel. Le film projeté, Frankenstein, sera l’élément déclencheur de toutes les scènes du film…
Victor Erice nous immerge dans le monde d’Ana et Isabel, réveille en nous (pour les adultes que nous sommes !) les fantômes d’un passé lointain en divulguant des instants de vie simples, des instant de vie volés, comme la scène entre Ana et Isabel qui chuchotent les dialogues en évoquant Frankenstein le soir même dans leur lit ; cette scène est absolument singulière de poésie, les images deviennent des mots, les dialogues deviennent un poème, l’essence même de notre enfance jaillit en pleine tronche ; une candeur indicible se dégage de ces plans filmés dans la mi-pénombre des lueurs de bougies se consumant au rythme des confessions d’Ana et Isabel.

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Victor Erice, à partir d’un scenario sans grande surprise, offre une mise en scène magistrale, parce que c’est de cela qu’il s’agit, tourner un film sous l’ère Franco en 1973, c’est avant tout poser son regard sur les gens, et quoi de plus noble que de poser son regard sur le monde de l’enfance qui par défaut ne décode pas le régime dictatorial, cela se ressent dans la façon de filmer les plans serrés adultes-enfants.
Victor Erice
donne très peu de repères quant aux protagonistes, quant aux lieux, filmant simplement les reliquats d’un contexte dans lequel plus rien ne semble vivre… sauf les enfants.

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Visionner ce film dans une version autre qu’originale constituerait une trahison sans commune mesure pour l’auteur et les acteurs ; les dialogues sont souvent chuchotés, murmurés, parabole d’un univers où l’on vit caché, meurtri et sans espérance !
Un plan vaut tous les scenarii du monde, celui du regard d’Ana lorsqu’elle voit Frankenstein la première fois à l’écran, ce plan est unique, tourné sur le vif, sans répétition, et le réalisateur ne lui avait pas dit ce qu’elle allait voir à l’écran, plan tourné une seule fois avec la camera à l’épaule : ce plan est assurément cultissime pour tout cinéphile, un instantané dans la plus pure définition ; ce regard est d’une pureté sans nom, un écrin de virginité, ce regard incarne la quintessence originelle que seule la magie du cinéma peut nous offrir.

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L’Esprit De La Ruche fait irrémédiablement penser, par son thème et son approche filmique, au délicat et somptueux Fanny Et Alexandre d’Ingmar Bergman. L’enfance torturée dans un climat totalitaire, religieux (pour Bergman) ou politique (pour Erice), dont les seuls soubresauts d’espérance vivotent au travers du prisme du spectacle (le manège de marionnettes chez Bergman, le cinéma chez Erice).
Victor Erice, à l’instar de Ingmar Bergman, signe une œuvre intemporelle, aux confins de l’émotion la plus originelle, usant de l’affect comme un guide spirituel dont seule une certaine frange de cinéastes peut s’enorgueillir.

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L’Esprit De La Ruche est bien plus qu’un film, il va bien au-delà du simple plan séquence, la vie est mise en scène, la vie est racontée, la vie s’offre comme un témoignage abrupt de ce que NOUS les humains recelons de meilleur et de pire, ce film est un rappel à l’ordre, et nous intime de regarder au plus profond de notre Âme et de notre Être pour se remémorer d’où nous venons et à jamais s’en souvenir.

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