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[CRITIQUE] NOCTURNAL ANIMALS

NOCTURNAL ANIMALS
• Sortie : 4 janvier 2017
• Réalisation : Tom Ford
• Acteurs principaux : Jake Gyllenhaal, Amy Adams, Michael Shannon
• Durée : 1h57min
Note des lecteurs6 Notes
2
Note du rédacteur

Nocturnal Animals a été chroniqué par Antoine dans le cadre de la rubrique Réflexions Poétiques.

Avec son casting quatre étoiles et son style (apparemment) si singulier, le cinéaste Tom Ford (A Single Man) voulait, avec son deuxième long-métrage, frapper un « grand coup » cinématographique. Dès le générique – des femmes obèses et nues dansant sur scène au ralenti – NOCTURNAL ANIMALS (adapté d’un roman d’Austin Wright) s’invite très clairement du côté de David Lynch (Lost Highway), voire de John Waters (Pink Flamingos). Le freak show orchestré par Ford laisse à penser que son film naviguera en eaux troubles, entre visions oniriques « monstrueuses » et différents niveaux de réalité, à l’image de la métaphore visuelle des réseaux d’autoroutes qui s’entremêlent. Au final, il n’y aura qu’un double univers, chacun étant censé renvoyer vers l’autre par l’entremise d’un montage bien huilé, entre un réel décadent et son reflet fictionnel scandaleux.

Photo du film NOCTURNAL ANIMALS

Dans un premier temps, Ford s’amuse à caricaturer « son » propre univers, celui d’un milieu hypocrite bourgeois, et vaguement arty. À Los Angeles, la vie de Susan Morrow (Amy Adams) s’avère être une succession de lieux neurasthéniques : un lit où il est impossible de dormir, une baignoire ou une douche où elle médite longuement, des soirées interminables, des expositions mondaines à la laideur assumée. L’opulence et le luxe, c’est-à-dire tout l’arsenal matérialiste et superficiel de nos mœurs occidentales (sa grosse maison, ses belles robes, son mari qui la trompe), ne servent qu’à souligner sa très grande solitude. Mais comment en est-elle arrivée là ? Le film n’aura par la suite de cesse d’illustrer certains « choix de vie » sous la forme de flashbacks reconstituant et tissant les relations avec son ex-mari, l’écrivain Edward (Jake Gyllenhaal) et sa mère tyrannique (Laura Linney).

Le film évoque entre autres la pression familiale, les ambitions carriéristes de chacun, les rapports galvaudés entre la création artistique via la figure de l’écrivain romantique et l’art en tant qu’économie capitaliste, l’aspect éphémère des sentiments amoureux face à l’éternité des mots tapés sur un manuscrit, etc. De passionnants sujets que le film ne fait qu’esquisser, ou toucher du bout du doigt de peur de se « salir » les mains. Et lorsque l’on sait que le cinéaste a fait sa fortune dans le monde de la mode – cet univers factice qu’il tend à mépriser via une représentation outrancière du culte de la médiocrité – le film laisse poindre un cynisme quelque peu complaisant, voire dérangeant.

« Dans un second temps, le film quitte l’univers aseptisé et ultra-moderne d’un L.A. déshumanisé pour prendre la direction, toute aussi « chaleureuse », du Texas et de ses figures patibulaires et crasseuses via une judicieuse mise en abyme. »

Dans un second temps, le film quitte l’univers aseptisé et ultra-moderne d’un L.A déshumanisé pour prendre la direction, toute aussi « chaleureuse », du Texas et de ses figures patibulaires et crasseuses via une judicieuse mise en abyme. Edward, personnage ô combien spectral tant sa présence est disséminée avec parcimonie, envoie en exclusivité son dernier roman à Susan qui se plonge intensément dans sa lecture. Ford, quant à lui, nous jette littéralement dans cette allégorie macabre, très largement influencé par le cinéma d’horreur de Hooper (Massacre à la tronçonneuse) et de Craven (La Colline à des yeux). La dialectique fordienne prend alors ses marques : face à la bourgeoisie arty de L.A, les rednecks texans, emmené par un Aaron Taylor-Johnson infernal, vont faire vivre un véritable calvaire à la famille Hastings (le père fictionnel est également interprété par Gyllenhaal).

Les oppositions et contrastes qu’agence Ford via ces deux univers antinomiques sont extrêmement basiques tant dans leur esthétique élémentaire à base de filtre (chaud vs. froid, jaune vs. bleue, sale vs. propre) que dans leur ornement allégorique, disons radical, pour ne pas dire gratuit. À l’inverse, Ford n’utilise jamais cette figure du double incarnée par Gyllenhaal pour insuffler la moindre anomalie ou incongruité dans notre rapport entre le réel, théâtralisé et soumis à nos codes de représentation, et le roman, lieu de fantasmes et autres pulsions régressives.

Photo du film NOCTURNAL ANIMALS

Sa partie film d’horreur, passant du slaher movie au vigilent movie avec un Michael Shannon en policier cancéreux absolument génial, respecte les codes du genre mais ne les dépasse jamais. Seule l’allégorie, qui n’est pourtant pas l’essentiel de la fable, semble posséder un réel intérêt aux yeux de Ford. C’est elle qui doit ressortir de cette rêverie dirty, non une quelconque expression de la folie humaine ou d’un mal immanent à l’être humain. Le montage parallèle qu’instaure alors Ford pour rendre compte de celle-ci s’avère laborieux et bien trop démonstratif. Entre surimpressions et sonorités symétriques, le film déploie ces effets visuels comme autant d’artifices virtuoses censés confirmer la toute-puissance de la mise en scène faussement subtile de son réalisateur. Ce recours à l’allégorie enrichit certes l’idée – celle de la destruction d’un couple et de la perte d’un enfant avorté – et facilite également sa réception en la rendant ostensiblement sensible. Mais le style fordien, ici totalement au service d’une lecture allégorique censée démultiplier tout en cachant son sens, semble parfois plus proche de la stéréotypie que de l’émotion inédite.

« Si la fable de Ford délivre un message pessimiste sur le vide existentiel qu’est la vie de Susan, il doit aussi comprendre que le spectateur aura bien du mal à s’apitoyer sur le sort de cette femme, aussi glaciale que la blancheur immaculée de sa peau. »

Si la racine traumatique finit par être clairement identifiée comme telle et que la plaie qui en résulte est encore à vif, le dénouement accouche d’un non-événement, une « vengeance » presque ironique qui condamne le personnage de Susan à une tristesse infinie, perdue entre toutes ses robes de grands couturiers et le gigantisme de sa villa californienne. Et ce n’est pas parce que Susan enlève deux ou trois bijoux avant d’aller à son dernier rendez-vous qu’elle peut « acheter » le pardon d’Edward. Si la fable de Ford délivre un message pessimiste sur le vide existentiel qu’est la vie de Susan, le cinéaste doit aussi comprendre que le spectateur aura bien du mal à s’apitoyer sur le sort de cette femme, aussi glaciale que la blancheur immaculée de sa peau. Le thème de la solitude et du vide, conséquence des choix et des mœurs décadentes de notre société de consommation, sont des idées qui ne sont cependant jamais travaillées par le corps du film, c’est-à-dire que ni la forme du monde « réel », ni celle de la fiction issue du roman, ne participent à un changement de nature et ne sont solidaires et opératrices de réflexivité. Le style de l’esthéticien Ford, toute cette ornementation allégorique (à la logique « verticale » plus qu »horizontale » hélas), ne procède finalement d’aucun mouvement, d’aucune dynamique au sein des personnages, tous figés dans leur apparence première comme l’est la pensée réductrice de son cinéaste. L’allégorie a fini par domestiquer le sens des images.

Antoine Gaudé

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