Huit ans après Lebanon, Samuel Maoz revient avec son deuxième long métrage, FOXTROT, un drame antimilitariste lauréat du lion d’argent à la Mostra de Venise 2017.
Michael et Dafna reçoivent la visite de militaires qui leur annoncent la mort de leur fils Yonatan, parti effectuer son service militaire sur un poste frontière. Tandis que Lebanon nous parlait du choc de la guerre, nourri par son expérience militaire lors de la guerre du Liban, Samuel Maoz nous parle ici du choc de l’après-guerre. Et si son premier film se concentrait sur l’individu, ce dernier long-métrage élargit son spectre pour observer la société israélienne à travers un regard sans concession.
FOXTROT est construit sur une structure narrative en trois actes, à la manière d’une tragédie grecque, chacun centré sur un personnage : Michael (Lior Ashkenazi), Yonatan (Yonatan Shiray) et Dafna (Sarah Adler). Les trois séquences ont chacune leur unité de lieu rappelant, encore une fois, une scénographie théâtrale. L’utilisation du huis clos devient une composante essentielle du cinéma de Samuel Maoz qui crée un rapport sémantique entre espace et personnage. Michael et Dafna sont enfermés dans leur appartement et Yonatan est coincé, en plein désert, sur son poste frontière. L’intrigue s’articule autour de ces protagonistes qui avancent inexorablement vers leur destin funeste. Le film s’ouvre sur un plan d’une vue subjective, à l’intérieur d’une voiture, qui avance le long d’une route désertique dont on n’aperçoit pas la fin. Il s’agit là d’un motif récurrent censé rappeler cette marche immuable du destin dont on ne distingue jamais les finalités.Cette métaphore revient plusieurs fois au cours du film, sur les tableaux accrochés aux murs de l’appartement ou lors de la séquence de l’hospice dans laquelle Michael déambule dans des couloirs à la perspective infinie. La menace latente est tapie dans l’ombre des travellings mais aussi dans l’étirement de la durée des plans. La notion de tragédie transparaît dans la mise en scène avec ces lents mouvements de caméra tournés dans une extrême plongée rappelant la présence d’un Deus Ex Machina, le destin qui contemple ses pions. Samuel Maoz cite alors volontiers Einstein lorsqu’il déclare que « le hasard, c’est le pseudonyme que prend Dieu quand il veut passer incognito ».
La première séquence installe un rythme alangui imposé par le sentiment de sidération du personnage. Les plans sont fixés sur Michael et leur durée s’étire jusqu’à créer une sensation de malaise propice à l’émergence de fines touches comiques. Dès lors, un humour presque surréaliste s’immisce dans le film venant pondérer la charge dramatique de la situation. FOXTROT oscille entre la tragédie et la comédie dans un équilibre minutieusement orchestré. Le comique permet de désamorcer une certaine lourdeur tout en creusant la complexité des émotions. Rien n’est jamais unilatéral, tout est à la fois triste et drôle et le rire peut laisser place aux pleurs au sein d’un même plan. Samuel Maoz joue sur une expérience de la durée pour tantôt laisser l’émotion se déployer, tantôt laisser le comique émerger.
Cette dualité, ou plutôt cette complémentarité, tragi-comique s’exprime dans la mise en scène qui alterne entre plans fixes et longs mouvements de caméra, contrepoints humanistes à l’allégorie de la tragique destinée. Insuffler de la vie par les silences, voilà l’ambition du réalisateur qui parvient à crée une véritable communication non verbale. Certaines scènes totalement muettes réussissent pourtant à nous faire passer des idées complexes, parfois ambivalentes, par la seule force d’une mise en scène millimétrée. Un langage silencieux s’installe à travers les jeux de regards, la longueur maîtrisée des plans et une science infaillible du contre-champ. Les plans fixes ne sont jamais figés, le réalisateur sait comment les réinventer constamment en créant une surenchère d’effets comiques qui frôle parfois la leçon de burlesque.Tous ces outils cinématographiques servent avec finesse un discours critique de la société israélienne. Car à travers FOXTROT, Samuel Maoz nous parle des notions d’héritage et de transmission. Tout d’abord le poids de la Shoah qui pèse sur le film, l’auteur observe la manière dont ce traumatisme originel conditionne les individus. Chaque génération hérite de cette blessure qu’elle assimile puis transmet à la génération suivante. Avec la mémoire, ce sont aussi les angoisses qui se diffusent dans l’inconscient collectif. Samuel Maoz porte un regard sévère sur l’occupation militaire qui, selon lui, enracine l’idée d’une menace permanente, faisant reposer sur les épaules d’une jeunesse inexpérimentée toute la souffrance d’un peuple blessé. Le réalisateur israélien décompose un mécanisme insidieux pouvant conduire à des situations explosives qui soulèvent des questions d’ordre morale et éthique.
FOXTROT décrit cet étrange mouvement cyclique dans lequel la société israélienne semble être prisonnière.
Les trois générations portent en elles les marques de leurs guerres respectives. Pour la première, celle des fondateurs de l’Etat, il s’agit de l’holocauste ; pour la deuxième, celle de Michael il y a les souvenirs de la guerre du Liban et pour la troisième, celle de Yonatan, c’est cette guerre invisible contre un ennemi qui n’existe pas. La séquence du poste frontière est mise en scène dans une esthétique surréaliste, avec ces militaires qui attendent désespérément au milieu d’un no man’s land onirique, soulignant l’absurdité de la situation dans un tableau qui n’est pas sans rappeler la célèbre pièce de Beckett, En attendant Godot. Le discours antimilitariste que porte Samuel Maoz a provoqué une vive polémique en Israël où la ministre de la culture n’a pas hésité à qualifier le film d’ « indigne », affirmant qu’il donnait une mauvaise image de l’armée. Une crispation qui révèle l’importance des questionnements soulevés par Samuel Maoz : Que signifie être israélien aujourd’hui ? Comment porter l’héritage de la Shoah ? Quel avenir donner aux nouvelles générations ?
FOXTROT décrit cet étrange mouvement cyclique dans lequel la société israélienne semble être prisonnière. Un retour perpétuel au traumatisme fondateur qui plonge chaque nouvelle génération dans une injonction sacrificielle.
Hadrien Salducci
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• Réalisation : Samuel Maoz
• Scénario : Samuel Maoz
• Acteurs principaux : Lior Ashkénazi, Sarah Adler, Yonatan Shiray
• Date de sortie : 25 avril 2018
• Durée : 1h53min