Annoncé comme le film coup de poing de ce début d’année, SCANDALE nous plonge dans le labyrinthe anxiogène des locaux de Fox News, au risque de s’y perdre.
SCANDALE se posait d’emblée comme le long-métrage symbole de l’ère post-Weinstein où les révélations avaient nettoyé le monde du cinéma, de la musique ou encore du journalisme. En choisissant d’adapter sur grand écran la chute du magnat de Fox News, Roger Ailes, accusé de harcèlement sexuel, il est certain que le réalisateur Jay Roach a choisi le moment idéal pour diffuser ce film pourtant en préparation depuis 2017. Le film utilise comme point d’ancrage deux journalistes phares de la chaîne américaine : Megyn Kelly (l’incroyable Charlize Theron) et Gretchen Carlson (Nicole Kidman). Alors que cette dernière a décidé de poursuivre son patron pour harcèlement sexuel, le spectateur plonge avec elle dans les coulisses du scandale pendant que les employées de Fox News doivent choisir leur camp. Néanmoins, des premières étincelles à l’explosion médiatique, le cœur du film se réduit finalement à la décision de Megyn Kelly de rejoindre, ou non, le bord de Gretchen Carlson.
Pourtant, les éléments ne manquent pas pour convaincre la journaliste puisque le film fait alterner avec un rythme assez particulier les manifestations et les témoignages de femmes sexuellement harcelées par les puissants de Fox News. Avec l’utilisation de portraits d’anciennes employées de la chaîne sur fond de voix off à la scène de Rudi Bakhtiar lors de sa « promotion canapé » en 2006, l’accent est mis sur la difficulté des femmes à faire face à ce genre de situations lors desquelles elles doivent choisir entre leur carrière et le sexe. Ainsi, si la narration met en avant ce type de dilemme cornélien, elle ne prend pas réellement en compte les combats menés comme en témoigne la pauvreté du fil narratif de Gretchen Carlson, dont l’histoire est tout juste évoquée. De même, SCANDALE aborde très peu la psychologie de ces femmes qui ont décidé de mettre en péril leur carrière et leur mode de vie pour faire éclater la vérité. Ce sont donc au final les personnages masculins qui semblent prendre un malin plaisir à rappeler à ces jeunes écervelées qu’il faut « penser un peu aux conséquences« .
Le dilemme entre l’ambition et la soumission est donc abordée assez platement et les trois personnages féminins perdent rapidement de leur consistance à l’exception de Megyn Kelly, aussi féroce à l’écran que dans la réalité. Les héroïnes se réduisent à n’être que les rouages d’un mécanisme beaucoup plus grand qu’elles, en marche pour faire éclater la vérité. Cette approche quelconque se ressent particulièrement à travers le personnage de Margot Robbie, Kayla Pospisil, qui aurait très bien pu ne pas exister, d’autant plus qu’il a été créé de toutes pièces par le scénariste Charles Randolph : « L’histoire de Kayla est celle que l’on entend le moins souvent ; celle de la femme qui cède à un harceleur, c’est à travers elle que l’on voit ce que cela signifie dans une vie. Je ne voulais pas faire porter ce fardeau à une vraie personne, j’en ai donc fait un personnage fictif. »
Si son histoire est nourrie des témoignages d’anciennes employées de Fox News, le personnage de Margot Robbie n’en est pas moins plat et totalement insignifiant pour l’intrigue. La protagoniste ne semble avoir été créée que pour montrer l’évolution stylistique de la jeune femme qui évolue d’une femme ambitieuse en pantalon et chemisier à une bimbo dont la garde-robe se résume à des robes moulantes et extrêmement courtes.
En dépit d’une courte scène avec Roger Ailes, tout semble avoir été lissé et ce n’est pas tant les actes ou le système qui sont dénoncés mais la possibilité que la parole se libère dans les locaux de Fox News. La réflexion est donc malheureusement faible puisqu’elle se concentre sur les conséquences de l’ère #MeToo et non pas sur la mise en place de ces systèmes aujourd’hui déchus dont le spectateur aurait aimé connaître les mécanismes et les origines.
Au final, le réalisateur montre à l’écran ce qui s’est déjà produit, à savoir l’effondrement d’un empire médiatique, mais ne suggère à aucun moment d’en étudier les coulisses tant et si bien que finalement ce ne sont pas les bourreaux qui se retrouvent sur la table d’opération mais les victimes.
Ainsi, on se demande s’il est normal que ce film soit si accrocheur. Un film sur le harcèlement sexuel dans un des plus grands empires médiatiques des États-Unis devrait avoir quelque chose en plus. Après avoir visionné le long-métrage, il semblerait que les cinéastes pensent que la seule chose intéressante à propos de cette histoire n’est pas la société anxiogène et néfaste qu’ils représentent mais les ragots de l’industrie américaine. Il suffit de songer aux nombreux accents mis sur les cheveux blonds des journalistes et des correspondantes de presse de Fox News ou sur leurs robes dévoilant des jambes interminables à l’écran pour captiver l’audience… SCANDALE n’est finalement pas le film coup de poing de l’année mais se révèle au contraire être une lecture bien cynique du mouvement #MeToo.
D’autant plus que malgré les nombreuses critiques qui peuvent être émises envers la diabolique chaîne Fox News adorée par le président Donald Trump, il n’y a finalement que très peu de reproches qui sont fait. Certes, on assiste à certaines blagues et taquineries comme le dossier « Trump et les femmes » mais la chaîne n’est finalement pas plus blâmée que ça, que ce soit donc dans son contenu ou dans son fonctionnement sous Roger Ailes. Pourtant, l’image conservatrice (voire tout simplement raciste, sexiste et misogyne) de la chaîne serait la raison pour laquelle Disney a récemment choisi de changer le nom du studio 20th Century Fox pour 20th Century Studios. En effet, si Disney n’a jamais donné suite à cette décision, beaucoup de médias américains pointent du doigt la réputation de la chaîne Fox News et de son propriétaire, Rupert Murdoch. Encore une fois, l’angle d’approche superficiel de SCANDALE nous refuse malheureusement une analyse psychologique et politique beaucoup plus poussée.
Au final, SCANDALE réalise un portrait très peu glorieux du mouvement #MeToo et se concentre sur ses trois héroïnes au point d’en oublier le mécanisme dont elles faisaient partie. Le long-métrage se révèle être une critique superficielle et anesthésiée des coulisses médiatiques américains. Seul souvenir à conserver de ce film, la performance de Charlize Theron nommée en tant que meilleure actrice aux Oscars 2020 pour avoir interprété avec brio la journaliste controversée Megyn Kelly tant et si bien que l’on oublierait que ce n’est pas cette dernière qui évolue devant nos yeux.
Sarah Cerange
• Réalisation :Jay Roach
• Acteurs principaux : Charlize Theron, Nicole Kidman, Margot Robbie, John Lithgow
• Production : Denver and Delilah Productions, Lighthouse Management & Media, Bron Studios, Everyman Pictures
• • Date de sortie : 22 janvier 2020
• Durée : 109 min