M. Night Shyamalan est un réalisateur courageux. Considéré à ses débuts comme le Hitchcock moderne et le Spielberg imberbe, un sérieux revers de fortune entâche son renom depuis quelques années.
Si jadis, les critiques ne tarissaient pas d’éloges sur son immanquable sens du suspense et sa science du fantastique, aujourd’hui elles s’abattent sur lui comme des vautours sur un lion froid. « La catastrophe de l’année n’est pas la marée noire mais le dernier Shyamalan » peut-on lire sur la toile, au milieu d’un championnat du jugement le plus sévère. Enchanté par le Sixième Sens, la majorité du public n’a pas renoué avec un tel sentiment depuis lors. La déflagration daterait de La Jeune Fille De L’Eau de 2005, selon les spécialistes.
Ce conte moderne qualifié de « suicide artistique » par TéléCinéObs aurait signé un arrêt. Cinq ans après la sentence, Shyamalan revient sur le devant de l’écran non pas avec un film mais une saga de trois films tirée d’un dessin animé à succès. A la reconquista de son public d’origine, Night veut ajouter les nombreux fans de la série d’animation. Louons son courage.
Aux Etats-Unis, le premier opus de la saga essuie déjà la violence des détracteurs.
Aang est un garçon d’une dizaine d’année, élevé dans un monastère d’inspiration bouddhiste. Sa réussite à une importante épreuve spirituelle lève le voile sur son identité: il est la réincarnantion du Bodhidharma local, capable de maîtriser les quatre éléments vitaux et d’apporter l’équilibre dans un monde déchiré. La gravité de la tâche fait reculer le jeune moine qui fuit la communauté de l’Air à laquelle il appartient.
Cent ans plus tard, son corps intact est retrouvé dans les glaces du pôle sud par deux jeunes maître de l’Eau, Sokka et Katara, le frère et la soeur. Aang ne peut plus échapper à son rôle d’exception: dompter la belliqueuse nation du Feu. Commence alors pour lui la longue découverte de ses propres ressources…
Le ton est donné. Nous voilà détournés des mythologies grecques et scandinaves dont sont fait les récits initiatiques connus; nous plongeons ici dans le merveilleux asiatique. Un déplacement culturel dépayse et rafraîchit à condition dêtre assumé. Le Dernier Maître De L’Air n’assume pas ce déplacement. Le recours parfaitement inutile à la 3D est un cache-misère dont nous ne sommes pas les dupes. On sent une malheureuse et tenace volonté à ne pas désarçonner le public dans ses habitudes.
Le film empreinte à Star Wars sa garde-robe, ses décors, sa musique, ses créatures fabuleuses. Ses jeunes héros ont un langage chiche, plat. C’est là un triste essai d’identification avec le parlé de certains adolescents modernes. Le rythme de l’histoire est précipité, les grandes révélations surviennent en se bousculant, Aang mûrit sans heurts et sans travaux. Il se fait les dents sur du vide. Rien de substantiel ne lui arrive jamais. Patience, abnégation, volonté, les principales vertus de la philosophie d’Extrême-Orient n’ont aucune utilité dans cette histoire ambitieuse mais épouvantablement innocente. Même l’humour n’y est pas.
On en vient à croire que le courage de Shyamalan ne suffit pas pour la reconquista et qu’il lui faudrait, en plus d’une bonne lecture du Singe Pèlerin de Wu Cheng, cesser de vouloir être prudent.