DIVINES bouscule, secoue, énerve et galvanise comme une boule de flipper ! En tous cas, le film ne laisse pas indifférent, et divise même au sein de la rédaction du Blog du Cinéma (nos critiques ICI). On a pu rencontrer pendant leur tournée à Bordeaux l’équipe du film qui a répondu cash aux feux croisés de nos questions. La réalisatrice Houda Benyamina et les trois formidables actrices Oulaya Amamra (Dounia), Déborah Lukumuena (Maïmouna) et Jiska Kalvanda (Rebecca) avaient toujours autant la patate près de trois mois après la Caméra d’Or de la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. On est évidemment revenu sur le fameux discours de la réalisatrice engagée, qui verrait bien son film postuler pour représenter la France aux Golden Globes et aux Oscars.
D’où vous est venue cette idée de scénario ?
– Houda Benyamina : le projet a été déclenché par deux éléments : l’amitié, que je considère essentielle dans ma vie et les émeutes de 2005. J’avais vu un documentaire dans lequel des gamins en cellule exprimaient la colère qui s’en est suivie, j’aurais pu être l’une d’entre eux. J’ai voulu faire un film sur cette jeunesse en colère, un état des lieux de la tragédie dans laquelle on se trouve aujourd’hui. On doit regarder la société comme elle est.
Parlez-nous de votre cinéma ?
– H B : Le cinéma est un exutoire pour moi, une nécessité. Je n’ai pas peur, je n’ai rien à perdre. J’ai toujours eu une grande gueule. Je préfère faire un film raté plutôt qu’un film moyen. J’essaie, je m’en fous de me planter. Je fais du cinéma d’auteur populaire. Mon travail, c’est de poser des questions à travers le film. Je n’ai pas de message, je déteste les films à messages. J’adore le film La Haine sur la forme mais pas sur le fond. On a trop diabolisé le flic. On est tous aujourd’hui dans le même bateau. C’est la crise pour tout le monde, mais de là d’où je viens ça a toujours été la crise. Il y a juste des gens plus miséreux, comme les Roms.
Parlez-nous des actrices qui incarnent vos personnages ?
– H B: Ce qui m’intéresse chez les acteurs, c’est le corps, le mouvement. Les acteurs c’est souvent dans la tête et pas dans l’action. C’est important pour moi que les acteurs aient l’intelligence humaine. Ce que je voulais c’est que les acteurs puissent incarner mes personnages sans les juger. Je suis garante du sens et de l’intention et leur travail à eux, c’est de transcender ce sens. Les actrices sont allées encore plus loin que ce que je leur avais demandé, elles se sont plus qu’investi, elles se sont oubliées. Le cinéma, c’est comme un sport collectif.
Avez-vous éprouvé des difficultés à incarner vos personnages?
– Oulaya Amamra : On s’est préparées pendant 9 mois ! C’était difficile d’exprimer la violence et la rage de Dounia, parce que dans la vie je suis très peureuse. Pour incarner au mieux Douania, j’ai été en immersion dans un camp de roms, il fallait qu’on devienne comme eux ! Houda voulait que je me nourrisse de personnages de films, j’avais une liste de films à voir, comme Scarface, Taxi Driver, Do the right thing, Mean Streets, des films avec des guerrières, des Samouraï, mais aussi des documentaires sur les animaux prédateurs, les félins. Le film m’a rendue plus forte !
– Déborah Lukumuena : Ce qui m’a séduit dans DIVINES, c’est les choix audacieux : le casting, le scénario, les choix artistiques. Je sentais un renversement dès le début, une espèce d’insolence dans ces codes non respectés, des choix politiques, loin des clichés. J’ai essayé de ne pas être moraliste avec le personnage de Maimouna, même si je trouvais la majorité de ses choix discutables. J’ai 21 ans et j’incarne une jeune de 15 ans, c’était mon devoir de la comprendre. J’étais en fusion avec elle, tout en veillant à garder une distance saine.
– Jiska Kalvanda : Il fallait aller vers quelque chose de concret. On a beaucoup travaillé sur les costumes, le maquillage, la coiffure, les cicatrices, le bracelet électronique. Il fallait trouver ce qui pouvait me durcir. Mais je savais que ça allait être difficile, qu’il faudrait aller puiser des choses bien profondes. Je trouvais le personnage de Rebecca vraiment méchante, je la jugeais beaucoup. Et puis j’ai lâché et compris ce que voulait Houda.
Vous pensez qu’il faut aimer son personnage pour l’incarner du mieux possible ?
Réponse en cœur : Oui !
Vous n’hésitez pas à aborder le rapport à la religion ?
– H B : C’est tout l’enjeu thématique du film ! Plus précisément le sacré, qui m’intéresse plus. Dounia, ça signifie « La vie d’ici bas » et le combat pour accéder à la spiritualité, la vie intérieure. L’art est aussi une forme de religion, on y cherche le beau. Je dis souvent que je cherche Dieu dans tous les plans ! Il n’y a pas de frontières dans les religions, comme la scène de l’Eglise dans laquelle Dounia invoque son Dieu.
Vous avez choisi des musiques plutôt classiques dans votre film, loin du rap auquel on aurait pu s’attendre ?
– H B : Mozart n’est pas que pour les bourgeois, il m’appartient aussi ! J’ai intégré beaucoup de musiques classiques arabes. La musique est un langage universel, qui permet d’incarner l’émotion et mes enjeux thématiques de façon plus subtile. « Lacrymosa » est annonciateur de la tragédie, ouvrant les portes de la culpabilité.
Que répondrez-vous à ceux qui pourraient trouver votre film désespérant ?
– H B : Au contraire ! Je trouve qu’il y a plein d’espoir, dans le rire de Maimouna, dans la lune que Dounia regarde, dans la danse et la grâce de Djigui ! Je crois à la destruction avant la renaissance, à la tragédie qui amène toujours à quelque chose de bon ! Bien sûr, il n’y a pas de Happy End, ma fin est plutôt douce-amère. Ce qui m’importe c’est le point de vue de chacun de mes personnages, de comprendre leurs actions mais sans jugement. Dounia a raison, mais le pompier aussi ! Le film est évidemment en résonance avec ce qui s’est passé le 14 juillet à Nice. Moi je crois à la responsabilité individuelle, à l’intelligence de l’être, à notre rôle de citoyen. C’est ce que j’essaie de faire avec mon association 1000 VISAGES, qui permet d‘aider les jeunes à retrouver leur estime de soi. Je fais comme on a fait pour moi. Un film, un livre, ça peut changer la vie.
Parlez-nous de Cannes ?
– H B: Quand j’ai monté mon film, je n’en avais rien à foutre de Cannes. D’ailleurs j’étais encore en mixage quand il a été présenté. C’était surtout l’avis de mes comédiennes qui m’importait le plus. Quant aux remarques qui ont suivi mon discours, je n’ai pas regardé, je me suis protégée. Maintenant, je peux lire les critiques négatives, ça ne me fait rien.
– O A: On était émues, j’ai pleuré, il y a une telle palette d’émotions dans le film ! C’est comme un passeport pour moi !
– J K: C’était un truc de dingue, j’en ai pleuré pendant des semaines !
Propos recueillis par Sylvie-Noëlle
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