Avec six épisodes étalés sur deux saisons en 2011 et 2013, la série Black Mirror est apparue comme un ovni dans le paysage audiovisuel. Faisant une critique acerbe de la société et du monde qui nous entoure, la série parvenait à nous saisir à chaque épisode, tous indépendant les uns des autres. C’était une de ces séries britanniques comme on les aime, qui fonctionne parfaitement avec un format plutôt court (une poignée d’épisodes), car elle nécessite d’être digérée après chaque épisode. Et puis Netflix est arrivé. Reprenant le bijou de Channel 4 pour produire, d’un coup, une troisième saison de six épisodes. Certains en sont ravis, on émet malgré tout quelques réserves.
Netflix, une grande recyclerie
Déjà parce que lorsqu’il s’agit de reprendre un matériel préconçu, Netflix n’a pas toujours convaincu. Cela avait commencé avec The Killing. Arrêtée après trois saisons par AMC, la série se voyait offrir par Netflix en 2014 une ultime saison de six épisodes, pour pouvoir conclure la série comme il se doit. Seulement, au-delà de cette fameuse fin, offerte en cadeau pour les fans, cette saison 4 reste marquée par la perte de l’ambiance originale de la série – la pluie interminable de Seattle et les innombrables séquences de nuit, laissant place à une imagerie d’ensemble trop éclairée avec des teintes de blanc, qui rappellent même le logo du groupe américain. Depuis, Netflix est même devenu la plus grande recyclerie en matière de séries – tel un Hollywood de la télévision -, offrant, toujours pour les fans (ou simplement pour profiter d’une machine qui a déjà fait ses preuves), des dernières saisons que personne ne réclame. C’est le cas de Arrested Development (Fox), La Fête à la maison : 20 ans après (ABC) ou encore Gilmore Girls (The WB puis The CW). Et dire que le groupe américain présente tout ça comme des « séries originales Netflix« … Pour Black Mirror, on est d’autant plus méfiant tant l’atmosphère y tient une part importante. Que cela soit au niveau de l’écriture, comme de la mise en scène. On s’inquiète en effet que l’une comme l’autre se révèle trop « lisse ». Ce qui fascinait autant avec Black Mirror, c’était bien la radicalité des propos et la réalisation à l’image « imparfaite », mais tout de même maîtrisée, pour un ensemble particulièrement sombre. C’était cette impression parfois cheap qui rendait le tout aussi viscéral, renforçant cette impression d’être face au monde réel. Parfois même de participer indirectement, dès lors que nous nous retrouvions seul devant notre propre « miroir noir ». Celui d’un ordinateur, d’une télévision ou d’un téléphone…
Un casting trop brillant ?
Mais cette sensation de réel provenait également du choix des comédiens. Sur ses deux premières saisons, Black Mirror a vu défiler des acteurs de talent. La majorité des interprètes n’était alors pas très connus en 2011 et 2013, autant à l’international que sur le territoire britannique. Ayant souvent à leur actif des pièces de théâtres ou des apparitions dans des films et des séries, ils n’étaient pas encore des visages reconnaissables du grand public, à l’image de Daniel Kaluuya et Jessica Brown Findlay qui portent presque seul le deuxième épisode de la première saison. D’autres, ont justement obtenue une certaine reconnaissance après coup : Hayley Atwell est devenue le personnage principal d’Agent Carter en 2014, Jodie Whittaker a été vu dans Broadchurch en 2013, Rory Kinnear est devenu l’un des visages de Penny Dreadfull et même Domhnall Gleeson n’a vraiment été révélé qu’après Ex Machina, tandis que Toby Kebbell est un habitué des seconds rôles. Ce choix d’acteur s’est révélé des plus pertinents pour la série car il permettait de nous confronter toujours davantage à une certaine réalité. Ce ne sont pas les acteurs que l’on voit, mais les hommes et les femmes. Des « monsieur tout le monde », auxquels on s’identifie. C’était par exemple le cas dans le premier épisode de la saison 2, avec le duo formé par Hayley Atwell et Domhnall Gleeson. Tout deux criant de vérité et auxquels on s’associait immédiatement tant ils nous semblaient proches.
Pour cette saison 3, on note la volonté de passer un cran au-dessus. Avec Bryce Dallas Howard qui vient d’enchaîner des grosses productions comme Jurassic World ou Peter et Eliott le dragon, ou Mackenzie Davis qui est tout de même au premier plan de la série Halt and Catch Fire depuis trois ans, et a déjà un pied au cinéma (avec Seul sur Mars et prochainement Blade Runner). De même, Alice Eve est un visage qu’on a souvent vu, sans parler de Michael Kelly (House of Cards) ou de Jerome Flynn (Game of Thrones). Evidemment il ne s’agit pas d’acteurs avec une reconnaissance mondiale. En France, la plupart seront certainement connus uniquement des cinéphiles. Mais sur le territoire américain, voire davantage, il est indéniable qu’il s’agit là d’acteurs confirmés que les spectateurs reconnaîtront sans difficulté. En dépit de tout le talent de ces acteurs, il pourrait être difficile alors de voir en chacun d’eux des hommes et des femmes ordinaires. Et donc de maintenir cette sensation de réalisme si chère à la série.
L’effet binge watching
Enfin, depuis son apparition, en mettant à disposition l’intégralité des épisodes de ses nouvelles saisons, Netflix incite clairement au binge watching. C’est-à-dire à s’enfiler d’une traite les épisodes, les saisons ou les séries disponibles sur la plateformes VOD. Plutôt ironique, tant ce principe de gavage peut justement rappeler ce que critique, entre autres, la série. D’autant qu’ici, sur cette série en particulier, chaque épisode qui apparaît comme une sorte de court-métrage, nécessite un temps de réflexion après visionnage. Bien sûr chacun reste libre de son mode de lecture. Mais il reste probable que cet élément pourrait avoir une influence négative sur cette troisième saison. Pas directement en termes de qualité de la série, mais plutôt de la réception du spectateur, qui risquerait de passer outre certains messages. De plus, on peut se demander si la série peut réellement s’étirer sur un trop grand nombre d’épisodes. En six épisodes, la série avait offert de nombreux questionnements sur le monde, évoquant déjà le rapport aux autres, l’importance que l’on donne à son image, l’influence des médias, de la télévision, des téléphones, d’internet… Cet ajout de six nouveaux épisodes ne risque-t-il pas de détériorer la série avec des thématiques, soit déjà vues, soit bien moins pertinentes ?
Evidemment on ne peut pas dire pour l’instant si la saison 3 de Black Mirror sera ratée ou non (elle sera disponible à partir du 21 octobre 2016). Et si elle l’est, on ne s’étonnera même pas si elle reçoit des louanges des spectateurs et de la presse. Comme ces dernières productions Netflix (Strangers Things ou les super-héros Jessica Jones et Luke Cage), pourtant très imparfaites mais dont on semble se satisfaire uniquement de ce qu’il y a en surface. Netflix serait-il un effet de mode ? C’est possible. On espère tout de même être dans l’erreur, et que cette saison, toujours sous la direction du showrunner Charlie Brooker, se tiendra au niveau de ce qui la précède, au moins dans son cynisme et sa vision si terriblement juste du monde.
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