LE VOYAGE DE FANNY est un vibrant hommage rendu à l’action pendant la seconde guerre mondiale de l’OSE, l’Œuvre de Secours aux Enfants.
Les bénévoles ont sauvé, au péril de leurs vies, des milliers d’enfants juifs que leur avaient confiés leurs parents. Des parents dont nous savons aujourd’hui que bien peu sont revenus des camps de la mort. Nous ne verrons rien de ces horreurs commises, mais le drame est suggéré, au loin, et nous aurons bien cela présent en tête à la vision du film. Lola Doillon livre un émouvant troisième long-métrage, inspiré de la vie de Fanny Ben-Ami qui a raconté son incroyable aventure dans son livre « Le Journal de Fanny ». Elle s’attache au parcours en 1943 de Fanny accompagnée de ses deux petites sœurs Erika et Georgette. Quittant un premier foyer, suite à une dénonciation faite aux allemands, puis réfugiées à Megève, elles doivent fuir à nouveau pour tenter de rejoindre la Suisse. Les circonstances les privant d’adultes, Fanny se voit confier la mission de convoyer ce groupe d’enfants et de les guider comme un petit chef.
La véritable force du film est de proposer au spectateur de vivre à hauteur d’enfant cette histoire dans la Grande Histoire. En effet, comment un enfant pourrait-il être en mesure de contextualiser, de comprendre ce qui se passe ? LE VOYAGE DE FANNY permet de très bien saisir la tourmente de la guerre et de ce qu’elle engendre. Il décrit cette angoisse qui broie le cœur des enfants, liée à l’absence insupportable des parents et de leur protection naturelle, et à l’incertitude quant à leur sort malgré quelques lettres reçues. Effleurent parfois les souvenirs familiaux grâce à l’objectif de l’appareil photo dans lequel se replonge Fanny, la jolie trouvaille de la réalisatrice est d’également montrer l’antisémitisme auquel les enfants sont confrontés, parfois violemment de la part des autorités imposant leurs uniformes. La question de la judéité est d’ailleurs posée de façon subtile lorsque les enfants s’interrogent sur ce qu’elle représente pour eux-mêmes et pour les autres.
« LE VOYAGE DE FANNY est une œuvre nécessaire, qui nous embarque dans une aventure humaine extraordinaire et bouleversante. »
Les événements incitent de même les enfants à rester en éveil, à décupler leurs sens, les émotions à fleur de peau. Le froid, la faim, la fatigue mais surtout la peur, la panique même, celle qui glace le sang, qui tantôt sidère, tantôt donne un courage proche de la folie. Une folie qui seule permet de commettre des actes auxquels l’instinct de survie commande de ne pas réfléchir. Cette peur que l’exigeante, mais malgré tout encourageante, Madame Forman (Cécile de France) a conseillé à Fanny de braver et de ne pas montrer à ses petits camarades. Livrés à eux-mêmes, les enfants s’en sortiront par leur courage, leur audace et leur solidarité. Lola Doillon alterne avec bonheur ces scènes de la dure réalité des responsabilités avec de jolies scènes de jeux d’enfant. Car malgré tout, à portée d’un ballon ou les pieds dans un ruisseau, reviennent les rires, la joie innocente, les saynètes de théâtre improvisées, de celles qui font clamer « on dirait qu’on serait ».
LE VOYAGE DE FANNY nous cueille, nous touche parce qu’il nous met en situation de retrouver ce matériau caché dans nos cœurs, notre propre part d’enfance. Emprunts de compassion et en empathie naturelle et absolue, tel un membre du groupe de ces petits, nous nous imaginons, ou imaginons nos propres enfants, confrontés à ces situations saisissantes d’effroi. Evidemment, le casting des enfants, pour la plupart novices dans l’art de jouer, y est pour beaucoup : Léonie Souchaud interprétant avec grâce la petite Fanny, petite bonne femme charge d’âmes.
La force et le traitement du sujet du film ne l’exemptent cependant pas de certains défauts, dus à des maladresses et incongruences dans le scénario et la mise en scène. Telles que les retrouvailles avec Diane ou la scène finale un peu trop grandiloquente. Les personnages des enfants sont également un peu trop clichés et univoques : il y la courageuse, la peureuse, le pessimiste, l’audacieux… Et certains dialogues s’avèrent redondants – on a en effet bien compris qu’ « ils n’ont pas le choix » !
Nous aurions aimé savoir en toute fin du film ce que sont devenus les jeunes qui ont réussi à atteindre la Suisse, même si se devinent en filigrane l’absence de retrouvailles avec certains parents et l’incertitude qui se transforme en certitude du pire. Reste une bouleversante aventure humaine initiatique, portée par une musique qui sublime l’émotion. LE VOYAGE DE FANNY est une œuvre nécessaire à voir avec des enfants à partir d’une dizaine d’années, qui demandera néanmoins quelques explications contextuelles.
Sylvie-Noëlle