Incipit banal n’est point bancal : il est différents types de réalisateurs.
Certains sont des conteurs d’histoire suspendant notre incrédulité durant des heures, des maitres du divertissement et du spectacle dans ce que cela compte de plus noble. D’autres, grâce à un indéfinissable rien, flottent parmi la race des géants. Ils propulsent le film dans des couches stratosphériques dont la profondeur demeure insondable malgré les décennies passées. Cette distinction bien qu’artificielle et un peu bornée a l’avantage de cliver ces deux amis cinéastes, Steven Spielberg et Stanley Kubrick.
A.I. est l’adaptation du roman de Brian Aldiss, Supertoys last all summer long. Le projet a longtemps été entre les mains de Kubrick qui a d’ailleurs rédigé un scénario. Refusant finalement la réalisation, il refile le bébé à son copain Spielberg. Lorsque Stanley Kubrick décède en 1999, Spielberg ambitionne de réaliser le « dernier Kubrick ». Durant 45 minutes, Steven Spielberg y parvient avec génie. Que ce soit la forme ou le fond, tout est kubrickien sous nos yeux. Nos sens comme notre intellect sont tout entier mobilisés. Les jalons sont posés minutieusement, tout porte à croire qu’un chef d’œuvre se dessine sur la toile. Malheureusement Spielberg n’a conservé que les 80 premières pages du scénario du maitre, lorsqu’il reprend la main, patatras, tout bascule !
Le film est pourtant doté d’un pitch génial : le réchauffement climatique a provoqué l’ensevelissement d’une partie du globe sous les eaux. Contraints à réguler la population mondiale, les hommes délivrent avec parcimonie des permis de naissance. Afin de satisfaire aux besoins humains sans gaspiller les ressources, la recherche sur la robotique s’est largement développée. Le monde est peuplé d’humanoïdes et la population se divisent entre « orga » et « mécha ». Un couple dont l’enfant est dans le coma va expérimenter un nouveau modèle de robot, ce dernier est capable d’un amour véritable, éternel et irréversible.
L’ombre portée de Kubrick a eu raison du film, nous n’avons pas assisté au « dernier Kubrick », mais à un mauvais Spielberg.
Répétons-le, les premiers temps du film touchent à la perfection. Les portées du scénario sont immenses. Les questionnements sont ceux que nous croisons habituellement chez le réalisateur de 2001, l’essence de l’homme, sa spécificité, sa quête métaphysique, le rapport homme/machine, … Plus particulièrement, le film interroge l’amour parental. Idole intouchable, il est ici réduit au déni parental de sa propre mort. Le robot à la mémoire et l’amour éternels serait alors la réponse aux angoisses existentielles de l’homme. La trivialité du sentiment et son égoïsme inhérent sont autant de thèmes passionnants que Spielberg ne traite pas. Un certain regard désabusé est indispensable, tout du moins une pensée qui a le courage de ses questions. Spielberg choisit simplement de ne pas accoucher le film kubrickien et plonge dans un sentimentalisme asphyxiant.
Le Steven Spielberg des mauvais jours réapparait et le voilà qu’il creuse son thème de prédilection (il serait surement mieux senti de parler d’obsession) l’enfance et ses rêves/illusions. Le réalisateur de La liste de Schindler se confond en mièvrerie. La fin laborieuse est déroutante car elle ne fait aucunement écho aux questionnements liminaires, elle est une version balourde et doucereuse de E.T.
Finalement, l’ombre portée de Kubrick a eu raison du film. Après l’extase des trois premiers quarts d’heure, le film se réduit en une longue plainte que le maitre n’ait pas commandé à bord. Nous n’avons pas assisté au « dernier Kubrick » mais à un mauvais Spielberg.
Maxime