Réalisateur s’aventurant de genre en genre, Christopher Nolan s’attaque cette fois au film de guerre en relatant l’évacuation des troupes bloquées à Dunkerque.
Qualifiable, à raison, de cinéaste sophistiqué mais froid, Christopher Nolan a franchit un cap essentiel avec Interstellar en faisant entrer dans son cinéma une dose d’émotion qui propulsait son ambition formelle vers d’autres cieux. A l’heure de son nouveau projet gargantuesque, DUNKERQUE, les attentes sont aussi grandes que les craintes. Car le cinéma de Nolan, bien que globalement efficace depuis le début, peut parfois boitiller lorsqu’il se retrouve enseveli sous un déluge d’ambitions – en résumé, il n’a jamais été un scénariste formidable (malgré un sens affuté du concept) et démontre quelques lacunes en terme de mise en scène.
D’ambition, DUNKERQUE en manque résolument pas. Ni de sophistication. Parachuté en plein milieu d’une guerre, le spectateur entre dans le film sans aucun repères. Collé au basque d’un jeune soldat réussissant à s’échapper d’une embuscade durant laquelle tous ses camarades meurent, on vagabonde sans arriver à définir un objectif précis outre la notion de survie. Et c’est exactement ça que le film veut mettre en scène : la survie de soldats en terrain hostile, à la merci de l’ennemi. Un ennemi que l’on connaît tous mais que jamais on ne verra. En se dispensant d’une ligne scénaristique traditionnelle, Christopher Nolan s’évite déjà bon nombre de problèmes mais réduit ses angles d’approches. Asséché de dialogues et dénué d’ossature écrite, le long-métrage s’impose un défi majeur : tout faire passer par l’image et le son. Dès lors, cette forme d’épure narrative fait de DUNKERQUE une expérience sensorielle haletante, vous saisissant à la gorge pour ne pas desserrer l’étreinte durant 1h47.
Sous la musique omniprésente d’un Hans Zimmer flamboyant, Christopher Nolan s’empare de plusieurs destins pour mettre en scène ce sinistre enfer. Mais loin de l’avalanche de tripes proposée par Mel Gibson, DUNKERQUE serait en quelque sorte le versant sensitif de Tu Ne Tueras Point. Plus grand public de ce point de vue, le film n’en oublie pas d’être exigeant dans sa forme, mettant en avant la combinaison image/son pour permettre à chacun, sur son siège, de ressentir intensément des sensations. Et la puissance du montage – Nolan adore jouer avec la temporalité – trouve ici un merveilleux écrin puisque le film jongle entre 3 personnages, entre passé et présent, tout en s’abstenant d’explications en bonne et due forme jusqu’à ce que le spectateur comprenne par lui-même le petit manège imposé. On décompte bon nombre de raccords brillants dont l’apothéose est ce final, où tout se rejoint et qu’uniquement le présent prime. Pensée avec précision folle pour permettre une immersion maximale, la mise en scène multiplie les coups de génie et fait émerger au sein d’horizons dépeuplés (terre, ciel et mer) des questionnements profondément humains. C’est ce qui est remarquable ! La complexité des procédés n’obstrue en rien l’émergence d’émotions. Et vice-versa.
C’est un paradoxe : le cinéma de Nolan touche à une forme de plénitude impressionnante en reniant les plages verbeuses explicatives et les concepts au profit d’une forme d’abstraction quasi-inédite dans son travail. Quel plaisir de le voir abandonner les grands barnums dépassant les 2 heures au profit d’un cinéma tout aussi pointilleux mais plus direct. Comme si Inception avait été désossé et que demeure présente uniquement la virtuosité visuelle (et sonore). Les mouvements de la caméra, des personnages, du montage tiennent en une ligne droite épurée et franche tracée par un Nolan déterminé à refuser les sinuosités superflues. A l’image de l’avion de Farrier (Tom Hardy), élancé chargé d’une mission précise dont il ne déviera pas durant tout le film. Ce véhicule est une métaphore mouvante de tout DUNKERQUE, filant droit au milieu de l’action avant de s’offrir un atterrissage apaisé.
A l’opposé, sur mer, Dawcett et son bateau permettent à Nolan de continuer son élan humaniste d’Interstellar. Pas étonnant qu’il soit incarné par un acteur comme Mark Rylance, ressuscité par Spielberg dernièrement dans une veine similaire (Le BGG, Le Pont des Espions) et dont la bonhommie physique le fait exceller dans des rôles de personnages profondément braves. A force de courir derrière un cinéma kubrickien (on y pense durant toute la projo), Christopher Nolan réussit surtout à se rapprocher de tout un pan de la filmographie de tonton Steven, dans le dernier tiers, où l’humain est mis en avant. Devant les envolées filmiques, devant le montage alterné, devant la musique. Il touche à ce sentiment si fin, proche de la naïveté, où une petite flamme jaillit grâce à la force d’âme de l’Homme. Et ce, sans sur-écriture, juste par un agencement de péripéties. Dans l’exercice connu du film de guerre et plus globalement du blockbuster, rares sont ceux qui peuvent se targuer d’offrir une telle sensibilité formelle mixant grand spectacle et « manœuvres auteurisantes » – on savoure d’autant plus que chaque année nous sommes bombardés de dérivés Marvel aux schémas convenus. Avec DUNKERQUE, Christopher Nolan vient de le réussir à un degré qui confine au vertige.
Maxime Bedini
• Réalisation : Christopher Nolan
• Scénario : Christopher Nolan
• Acteurs principaux : Fionn Whitehead, Tom Hardy, Mark Rylance
• Date de sortie : 19 juillet 2017
• Durée : 1h47min