Beaucoup apprécié lors de sa projection à Cannes, le film de Stéphane Brizé nous fait le plaisir d’être déjà dans nos salles, à défaut d’être en première de couv’ dans tous les bons papiers ciné. Il faut dire qu’il était attendu aux vues d’une bande-annonce très prometteuse. Bon, on ne va pas tergiverser plus, ce film est une véritable perle.
Stéphane Brizé dynamite son propre cinéma (Mademoiselle Chambon, Quelques heures de printemps) pour en garder ce qu’il sait le mieux faire : coller sa caméra auprès des acteurs pour en faire ressortir toute l’âme du personnage. Et le bougre ne s’y est pas tromper en choisissant d’arracher sa caméra du sol afin d’opter pour une caméra épaule et longue focale jouant habilement sur le brut et le flou si cher au genre documentaire. Documentaire vous avez dit ? Eric Dumont, le chef opérateur déniché par Brizé, est justement un fringant cinéaste de 31 ans qui n’a travaillé jusque là que pour le documentaire et a mis à contribution son talent pour pointer, cadrer et utiliser au mieux les lumières lui-même. Le résultat en est formidable, surtout qu’il se couple avec l’emploi du cinémascope, outil de la fiction par excellence. Et de la fiction, il y en a, n’en déplaise aux faiseurs de reproches un petit peu trop impatients de taper sur un cinéma français qu’ils disent dans les cordes depuis un moment.
Car oui, c’est un véritable film de cinéma que Stéphane Brizé nous propose là, et c’est même un cinéma sacrément puissant, engagé et intelligent. Le cinéma français lorgne depuis quelques temps vers le réalisme voire l’hyperréalisme pour s’inspirer et conter des histoires qui marquent un spectateur au plus profond. Entre les murs (palme d’or en 2008) fer de lance de ce mouvement bien français, puisant ses racines dans la Nouvelle vague, néoréalisme italien et réalité sociale, a fait des émules, et ça compte. Il n’y a qu’à voir les succès critiques et publics des récents Bande de filles, Party Girl ou du cinéma de Jean-Charles Hue (La BM du Seigneur, Mange tes morts).
LA LOI DU MARCHÉ vient compléter cette liste et rajouter encore quelques nuances, stylistique avec l’emploi de plans très longs liés par jump cuts, par l’emploi de comédiens non-professionnels jouant leur propres rôles (agents de banque et pôle emploi), et surtout le film propulse Vincent Lindon, qui interprète brillamment le rôle de Thierry, dans une réalité cinématographique au plus proche de la vérité sociale et sociétale. Le réalisateur profite d’ailleurs du magnétisme rocailleux de son acteur fétiche pour l’inscrire en plein milieu de cette machine cynique qu’est le monde du travail et de la crise financière.
Stéphane Brizé réalise un film absolument bouleversant et d’un cynisme tout aussi absolu.
Le film est d’ailleurs extrêmement politique tout en évitant de l’exposer à la surenchère qui aurait pu être attendue. Il se pose en révélateur d’une société malade, aliénée, dont les individus sont poussés à se monter les uns contre les autres dans une vertigineuse perte de la confiance en l’autre voire même de la suspicion en toute gratuité.
Et de tout ceci, il s’en dégage pourtant une finesse et une simplicité implacable, qu’elles soient dans la réalisation, dans les situations d’un cynisme (encore une fois) absolue, ou dans le traitement familial avec ce fils handicapé mettant surtout en valeur la force du combat que mène tous les jours le personnage de Thierry.
En somme, c’est un film bouleversant que nous propose Brizé. La justesse de son message, la force de son sujet à travers son cinéma et la magnifique interprétation de Vincent Lindon au sein d’un casting irréprochable, en font un film poignant et malheureusement le reflet impitoyable d’un système vicié que seul le cinéma peut rendre beau.