La voix (en off) douce d’Emily Browning nous guide dans Londres des années 1960 où les Kray, deux frères jumeaux, sont les rois de la pègre.
Reggie, le plus malin d’entre eux, sort de chez lui confiant, passe le bonjour aux policiers postés devant son domicile et va tranquillement à ses affaires. Ambiance élégante des sixties et musique entraînante – mais à la longue trop omniprésente jusqu’à devenir étouffante – pour rythmer les mouvements de caméra. Il n’en faut pas davantage à Brian Helgeland pour nous plonger dans un film de gangsters digne des meilleurs réalisations de Scorsese (Casino, Les Affranchis). De Niro est remplacé par deux Tom Hardy (Ronald et Reggie) tandis que l’Amérique laisse la place à l’Angleterre.
Avec LEGEND, c’est encore un nouveau genre et style pour Helgeland après le film d’action Payback (1999), le sympathique Chevalier (2001), le thriller Le Purificateur (2003) et 42 (2013), biopic se déroulant dans l’univers du baseball. Aucun ne s’étant distingué en chef-d’œuvre de mise en scène. Helgeland s’est davantage fait remarquer par ses travaux scénaristiques ; pour Clint Eastwood avec Créance de sang et Mystic River ou sur le L.A. Confidential de Curtis Hanson. Chose étonnante, avec LEGEND le réalisateur s’affirme justement davantage dans sa mise en scène que dans la richesse de son scénario. Car bien qu’offrant des subtilités notables et une approche fascinante de la relation fraternelle, le film manque malheureusement, sur la longueur, de contenu.
En plus de 40 ans de métier Martin Scorsese a marqué le cinéma et influencé bon nombre de réalisateurs. Mais c’est davantage appréciable lorsque ces derniers reprennent son héritage avec aisance et maîtrise. Il faut dire que tout a déjà été fait lorsqu’il s’agit d’un film de gangsters, donc autant l’assumer et se lancer. Avec LEGEND, Brian Helgeland suit ainsi l’empreinte laissée par Scorsese en lui rendant hommage. Il suffit d’un plan séquence virtuose pour qu’on accepte de lui faire confiance. Une scène dans un pub, où Reggie se déplace d’une table à une autre, discute avec les gens autour de lui et va régler de manière musclée une petite affaire avant de retourner avec Frances (Emily Browning) pour leur premier rendez-vous. Sans broncher, on se laisse emporter dans cette histoire classique de gangsters pour qui la sympathie est inévitable. D’autant plus agréable avec cette direction artistique très à l’anglaise donnée au film. Brian Helgeland maîtrise son œuvre, ne force jamais le trait, ne cherche pas à faire plus qu’il ne pourrait et finalement reste humble.
Toute la puissance de LEGEND tient entre les mains d’un Tom Hardy légendaire.
Derrière sa réalisation convaincante, le cinéaste s’appuie sur une histoire de gangsters somme toute classique – les petits truands devenus chefs de la pègre voient la perte de leur empire au fur et à mesure de problèmes internes, de paranoïa et d’envie de posséder plus. Classique mais vraie. Helgeland adaptant lui-même l’histoire des jumeaux Kray à partir des œuvres que l’écrivain John Pearson leur a consacré, Les Jumeaux de la violence, Londres dans la nuit et C’est rapé, frangin, Londres dans la nuit. Avec LEGEND il cherche alors avant tout à comprendre les liens qui unissent les deux frères. Deux inséparables, liés par le sang et qui s’aiment autant qu’ils se détestent. Car face à la folie de Ronald (atteint de schizophrénie paranoïde) et à sa violence démesurée qui détruira à petit feu leur empire, Reggie sera bien incapable de garder le contrôle. Toute la puissance de LEGEND tient ainsi entre les mains d’un Tom Hardy de légendaire. L’acteur interprétant les deux rôles avec brio nous fascine toujours autant par ses transformations physiques (mais également vocales). On oublie vite qu’il s’agit du même interprète tant il parvient à se plonger dans la personnalité propre aux deux hommes. Face à lui (eux) on retrouve avec plaisir Emily Browning, petite chose délicate semblant sortir tout droit des années 1960 – c’était le même ressenti dans God Help The Girl. Sa fragilité offre le contraste parfait avec la force brute de Ronald et à la dureté de Reggie. L’utilisation de sa voix en off allant d’autant plus dans ce sens.
Bien que porté par l’ensemble de sa distribution de rêve made in UK (Christopher Eccleston, David Thewlis, Paul Bettany…), LEGEND peine malheureusement sur la durée. En effet, au-delà de la fascination qu’on porte aux Kray, à la violence mêlée à une forme d’humour, le scénario d’Helgeland s’essouffle aux deux tiers du film, nous laissant dans l’attente des derniers rebondissements. Les 2 heures et quart se ressentant, le temps passe, de manière agréable pour les yeux, un peu moins pour les oreilles – musique bien trop présente. Passé ce creux, LEGEND reprend un certain élan pour nous laisser avec un film de gangsters de bonne facture, avant tout pour sa forme, et avec un fond plus inattendu que prévu.