Jacques et Martine ont invité un ami qu’ils n’ont pas vu depuis dix ans et qui est devenu célèbre. Parmi les convives, il y a Georges, le copain hébergé, Fred, le frère de Martine et sa petite amie Marylin, et bien sur l’Invité et sa femme Charlotte. Prétextant des embouteillages, ces deux derniers arrivent avec deux heures de retard…
Note de l’Auteur
[rating:8/10]
• Date de sortie : 07 avril 1993
• Réalisé par Philippe Muyl
• Film français
• Avec Zabou Breitman, Sam Karmann, Jean-Pierre Darroussin, Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri
• Durée : 1h36min
• Meilleurs moments du film :
[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=e8JLxXPA7v4[/youtube]
Le duo Bacri–Jaoui est connu et reconnu depuis des années pour leurs films traitant des détails de la vie de chacun, des méchancetés quotidiennes aux marques d’amour en passant par les vexations, frustrations, espoirs et désillusions de Monsieur tout le monde.
Cuisine et dépendances est le premier film adapté d’une de leurs pièces de théâtre, ce que Cédric Klapisch réitèrera avec Un Air de Famille par la suite.
Si le fond du sujet reste semblable à leurs autres créations, la forme de cette adaptation possède l’originalité de décrire les comportements et psychologies de cinq personnages à travers leurs dialogues dans une cuisine, parlant, se disputant, épiloguant sur ce qu’il se passe loin de nos yeux, dans le salon.
Martine et Jacques forment un couple classique : amour solide, routine, beaux enfants et soucis quotidiens conventionnels. Ils hébergent temporairement Georges, un ami de Jacques dont la récente rupture sentimentale l’a contraint à se retrouver sans toit. Martine et Jacques ne sont pas dans leur état normal ce soir : ils reçoivent chez eux un ancien ami d’enfance, perdu de vue et rencontré par hasard quelques jours auparavant, qui est devenu entre-temps une grande célébrité du petit écran.
Ce statut populaire n’enchante guère Georges, peu enclin à suivre les modes et se méfiant des dangers de la réussite sociale, et le fait que cet ancien ami ait depuis épousé Charlotte, ancienne amante de Georges, ne le calme guère. Se rajoute à ce dîner Fred, le frère de Martine, dont l’amour pour les jeux d’argent a détruit le compte en banque mais pas pour autant la fièvre du poker.
Nous ne verrons de cette soirée que les bribes que les personnages voudront bien nous offrir au hasard de leurs détours par la cuisine. Georges râle, Martine est surexcitée, Fred reste incorrigible, Charlotte cache ses sentiments et Jacques veut que tout se passe bien pour tout le monde.
La célébrité en question, nous ne la verrons jamais à l’écran. Pas plus que Marilyn, la compagne de Fred, dont on ne pourra imaginer le corps de rêve qu’à travers les mots flatteurs des hommes discutant entre eux dans la cuisine. Et évidemment, rien dans cette soirée ne se passe comme prévu…
Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui sont des amoureux de la nature humaine. Seules des personnes profondément passionnées et observatrices de leurs congénères dans ses belles qualités comme dans ses insupportables défauts peuvent écrire des dialogues si justes.
Si la démonstration souffre d’un certain manichéisme dans le point de vue général sur la célébrité et le culte de l’argent, la qualité exceptionnelle de l’écriture réside dans le fait que les personnages, eux, ne sont justement ni « bons » ni « méchants ». Ils ont tous une raison, une motivation, une blessure qui demande au spectateur à la fois sévérité et indulgence sur leurs attitudes.
C’est la vraie et périlleuse difficulté que surmontent systématiquement le duo d’auteurs.
Point de vue mise en scène, sa sobriété flirte trop souvent avec la frontière cinéma/pièce de théâtre filmée, mais se permet par moments de glisser quelques belles idées originales. Les acteurs sont tous parfaits, et si Zabou vous paraît insupportable par moments demandez-vous une chose : vous agace-t-elle parce qu’elle joue mal ou plutôt parce qu’elle vous rappelle certains de vos proches qui ont les mêmes défauts ? Bacri, dans le rôle qu’on lui connaît de râleur invétéré campe un personnage plus subtil qu’il n’y paraît, Darroussin, Karmann et Jaoui sont tous convaincants. A noter une scène jubilatoire pendant laquelle Jean-Pierre Bacri se démène au téléphone avec un réceptionniste d’hôtel, d’une drôlerie et d’une qualité de jeu exceptionnelles. Un film indispensable aux amateurs d’étude de mœurs subtiles, décrivant entre cynisme et compassion l’âme humaine contemporaine.