Une pièce de Shakespeare, le drame d’une famille couronnée, Timothée Chalamet… LE ROI avait tout pour séduire et pourtant, il n’en ressort malheureusement que des longueurs et une performance inattendue de la part de Robert Pattinson.
En plein festival de Cannes 2019, Jeanne de Bruno Dumont a déchaîné la colère de certains historiens qui ont souligné les incohérences historiques de ce nouveau long-métrage consacré à la jeune pucelle d’Orléans. Quelques mois plus tard, à la Mostra de Venise, c’est au tour du ROI de David Michôd, de décevoir autant les spécialistes que les aficionados du cinéma historique. Pourtant, depuis que Joel Edgerton avait évoqué ce projet en 2016 comme étant le résultat de la rencontre entre Game of Thrones et Shakespeare, le film semblait avoir tout pour plaire. L’histoire, adaptée des deux pièces Henri IV et Henri V du dramaturge anglais, revient de façon intéressante sur le couronnement d’Henri V et sur son engagement dans la guerre de Cent Ans. Brillamment conçu, le long-métrage éblouit malheureusement par sa lenteur un spectateur qui ne demande qu’à en voir la fin.
D’un point de vue purement esthétique, LE ROI est un chef-d’œuvre. Les différents plans du film sont le fruit d’une harmonie délicate entre les jeux de lumière, les paysages et l’urbanisme moyenâgeux comme en témoigne l’extrait ci-dessous. Si les guerres déchirent le royaume d’Angleterre, elles réjouissent néanmoins le spectateur qui ne peut nier la qualité visuelle du film. C’est par ailleurs dans ce contexte de lutte pour le pouvoir que Timothée Chalamet confirme son épatant jeu d’acteur dont il avait déjà été possible d’apercevoir des fragments dans Call Me By your Name de Luca Guadagnino et My Beautiful Boy de Felix Von Groeningen. Du rôle d’héritier déchu du pouvoir jusqu’à son discours devant les troupes à l’aube de la bataille d’Azincourt, l’acteur ressuscite le roi anglais dont l’héritage n’est aujourd’hui qu’un lointain fantôme. Héritant d’un royaume rongé par les luttes intestines de son père, Henri V se démarque par sa force et sa ardeur au combat. Dans cette même mesure, Timothée Chalamet confirme avec ce rôle être l’un des meilleurs acteurs de sa générations, corroborant la comparaison qui avait déjà été établie entre lui et Leonardo DiCaprio.
Mais malheureusement, si LE ROI brille par l’interprétation à la fois étourdissante et sensible de Timothée Chalamet, il est clairement assombri par les nombreuses longueurs qui le rythment. Avec une fresque historique de cette démesure, il était normal de s’attendre à des manipulations politiques captivantes et à des combats aux proportions démesurées, mais il n’en est rien. Le premier duel du film est comparable à une lutte d’élèves de maternelle dans un bac à sable — l’aspect attendrissant en moins — alors que le point culminant du long-métrage consiste en réalité à une bataille déplorable accentuée par la mise à mort pitoyable du dauphin de France (Robert Pattinson).
Si Timothée Chalamet annonce à ses subalternes qu’ils souffriront désormais le supplice de le servir, le spectateur endure difficilement le tournant indolent du long-métrage.
Néanmoins, une performance se détache également de la torpeur du film de David Michôd. Évidemment, il n’est pas question ici de la prestation simple et efficace de Lily-Rose Depp qui a seulement droit à quelques minutes sur le devant de la scène, et ce, malgré son apport considérable à l’intrigue politique du film. Il s’agit plutôt désormais d’évoquer l’interprétation inattendue de Robert Pattinson qui incarne le dauphin de France, c’est-à-dire l’héritier de la couronne de Charles VI, qui provoque subtilement Henri V.
Dans une interview accordée à la chaîne de télévision MTV, le réalisateur évoque par ailleurs ce personnage plutôt déroutant : « Il fallait qu’il soit exubérant et qu’il aille loin. C’est ce qu’il a fait et il a pris beaucoup de plaisir à jouer ce rôle.Le risque était de tomber dans une vulgaire imitation des Monty Python mais je l’adore dans le film. Notre récit avait besoin d’un tel personnage. » Robert Pattinson, dont la réputation d’acteur indépendant n’est plus à faire, redonne ainsi un peu de vie à ce long-métrage avec une interprétation sur laquelle il est finalement difficile de se faire réellement un avis. Il est néanmoins certain que beaucoup partagent l’opinion qu’une apparition plus précoce dans le film aurait peut-être pu rendre les soixante-sept minutes précédant son arrivée plus intéressantes.
Au final, LE ROI, certes magnifiquement conçu, n’en est pas moins royalement assommant. Malgré le sujet d’une fresque historique incroyable, le réalisateur a fait le choix préjudiciable de s’éloigner de l’œuvre originale de Shakespeare pour en réaliser une épopée aussi engourdie que les soldats de l’armée française — s’attirant au passage les foudres des historiens français. Ainsi, si la guerre est « sanglante et sans âme (bloody and soulless) », le film l’est tout autant. On en retiendra seulement les performances des trois jeunes acteurs (Timothée Chalamet, Robert Pattinson et Lily-Rose Depp) ou seulement leurs prodigieuses coupes de cheveux qui semblent annoncer des tendances capillaires douteuses pour 2020.
Sarah Cerange
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• Réalisation :David Michôd
• Scénario :David Michôd, Joel Edgerton
• Acteurs principaux : Timothée Chalamet, Joel Edgerton, Robert Pattison, Sean Harris, Lily-Rose Depp
• Date de sortie : 1er novembre 2019
• Durée : 140 min