Pour son premier long métrage, SLALOM, Charlène Favier s’attaque avec audace au sujet tabou de l’abus sexuel dans le sport.
SLALOM, le premier film de la réalisatrice Charlène Favier, donne au spectateur l’opportunité glaçante de vivre au plus près l’abus sexuel d’une jeune athlète par son entraîneur. Le sujet renvoie avec justesse à l’actualité récente de la libération de la parole dans le milieu sportif, et on pense ainsi aux révélations de Sarah Abitbol dans le patinage artistique ou aux scandales à plus grande échelle, notamment dénoncés dans l’excellent documentaire Team USA : Scandale dans le monde de la gymnastique sur Netflix.
Lyz (Noée Abita, autant remarquable que dans Ava) a 15 ans et vient donc d’entrer dans la prestigieuse section ski-études du lycée de Bourg-Saint-Maurice, dont l’ex-champion Fred (Jérémie Renier) est l’entraîneur et sa compagne Lilou (Marie Denarnaud) est chargée du côté éducatif. Lyz, passionnée et battante, fait tout pour s’intégrer au groupe et rattraper son retard avec Justine (Maïra Schmitt) ou Max (Axel Auriant), tout en subissant leurs moqueries et remarques.
Mais celui qu’elle doit le plus convaincre de la légitimité de sa présence, c’est évidemment Fred, qui vise pour ses athlètes les qualifications aux Jeux Olympiques. C’est aussi pour lui la possibilité d’atteindre par procuration son but ultime, lui qu’une blessure au genou a empêché d’aller jusqu’au bout. SLALOM donne très bien à voir les entraînements, la souffrance, la détermination, les remontrances, les blessures, les déceptions puis les compétitions et les succès. Les scènes de ski sont filmées avec justesse, pas de doute, on est sur les pistes aux côtés de Lyz.
Grâce à une mise en scène efficace, SLALOM donne brillamment à voir le piège de l’emprise qui se referme sur une jeune championne.
Mais ce que montre aussi parfaitement SLALOM, c’est le chaud et le froid soufflé en permanence par Fred, capable de féliciter Lyz comme de l’insulter en public, de l’ignorer ou de décider de lui consacrer tout son temps. Des méthodes pour mener des champions au sommet, mais des méthodes perverses et caractéristiques de l’emprise d’un adulte qui a autorité sur un mineur. La réalisatrice, qui a coécrit SLALOM avec Marie Talon, interroge parfaitement sur le moment de bascule, à partir duquel la question sur la masse musculaire se mue en question intime sur les règles, le regard de fierté se transforme en regard enamouré et le geste sportif pour réchauffer devient un attouchement. Car, la promiscuité aidant, les limites sont floues.
D’autant que la réalisatrice a choisi deux options dont on sait aujourd’hui, depuis les multiples révélations sur le sujet et les études faites par des psychologues, qu’elles ne sont pas absolument nécessaires pour le passage à l’acte. Si elle émet l’idée crédible que Lyz, en pleine construction psychologique et d’éveil à la sexualité, peut aisément tomber amoureuse de Fred, personnage aussi beau que charismatique, elle prend aussi le parti ambigu de presque susciter l’empathie envers lui, le montrant pas loin de tomber amoureux de la jeune fille, comme si tout se faisait à son corps défendant.
Mais surtout, la réalisatrice force le trait quant à l’isolement dans lequel se retrouve Liz, en l’absence progressive de garde-fous autour d’elle et de pertes de repères qui laissent le champ libre à l’abus. Ainsi Catherine (Muriel Combeau), la mère de Liz est séparée de son mari qui ne prend jamais de nouvelles de sa fille. Elle est montrée comme défaillante dans son rôle de mère, peu concernée par la passion de sa fille, lui reprochant les sacrifices financiers qu’elle doit faire pour lui payer ses études et son matériel. Plutôt que d’être aux côtés de sa fille, elle travaille à Marseille, passe des vacances avec son nouvel ami et laisse Liz se débrouiller seule. Et quand une solution sera trouvée pour pallier ces manques, l’ultime garde-fou qu’est Lilou sautera également.
On peut aussi s’étonner que personne, ni un membre de la fédération française de ski, ni le sponsor que lui a trouvé Fred, ne rencontre jamais la jeune fille ou ne se pose de questions à propos de celui à qui on donnerait le bon dieu sans confession. Ils sont absents, comme le proviseur que l’on entend symboliquement sans le voir lors d’une réunion. Grâce à une mise en scène efficace, le film donne pourtant brillamment à voir le piège qui se referme sur Lyz, et ne cache aucun des détails bruts du premier abus jusqu’au viol, ni la terreur et la sidération dans les yeux de Lyz, ni aucune des émotions qui la traversent. Malgré quelques réserves sur la fin, SLALOM se révèle donc un film ô combien utile qui dénonce et incite à la réflexion et à la prudence.
Sylvie-Noëlle
• Réalisation : Charlène Favier
• Scénario : Charlène Favier, Marie Talon
• Acteurs principaux : Jérémie Renier, Noée Abita, Marie Denarnaud, Muriel Combeau
• Date de sortie : 4 novembre 2020
• Durée : 1h32min