Dotée d’un humour aussi léger qu’impertinent, cette comédie dresse un portrait passionnant de la Tunisie post-révolution, divisée entre le désir de partir et la lutte pour la reconstruction.
Selma plaque sa vie parisienne et retourne en Tunisie, son pays d’origine, pour y installer son cabinet de psychanalyse. Tatouée, célibataire convaincue, et une cigarette toujours flanquée entre les lèvres, la jeune femme détonne. Très vite, elle fait face au scepticisme des locaux, qui ne comprennent pas qu’une simple discussion mérite rémunération. « Nous on a Dieu, on n’a pas besoin de ces conneries », argue son oncle. Malgré la méfiance et les malentendus, Selma finit par attirer une ribambelle de patients, de la coiffeuse fantasque au paranoïaque martyrisé. Hélas, un problème administratif vient compromettre ses thérapies. Commence alors un parcours du combattant qui l’amènera à s’interroger sur le cœur de sa motivation.
Le charme de cette comédie provient tout d’abord de sa myriade de personnages secondaires, plus attachants les uns que les autres. La jeune cousine de Selma, qui porte le voile pour des raisons bien éloignées de la religion, un patient très collant, aux rêves érotiques peuplés de dictateurs, ou encore son voisin l’imam, mis au ban car sa femme l’a quitté et que sa barbe refuse de pousser. Tous finissent par se livrer à la thérapeute. Le besoin de parler jaillit d’un coup, comme si la parole avait été trop longtemps muselée.
Le spectre du régime de Ben Ali plane encore indéniablement sur la ville et ses habitants. L’euphorie de la révolution a vite laissé place à la montée de l’islamisme et au marasme économique. Loin de sombrer dans l’accablement, la réalisatrice Manele Labidi privilégie la dérision pour dénoncer savoureusement les absurdités de la situation. Lorsque Selma se fait contrôler au volant, point d’alcootest pour déterminer son niveau d’ébriété. En raison de coupes budgétaires, c’est à l’haleine que les policiers doivent décider, ou non, de verbaliser.
Beaucoup rêvent de fuir ce quotidien compliqué, de rejoindre la France pour des perspectives qu’ils imaginent plus prometteuses. Mais faute d’argent ou de visa, la plupart se retrouvent « coincés ». La population se divise alors en deux catégories d’individus. Ceux qui profitent du système, traquant les mœurs légères tout en étant prêts à abuser d’une prostituée, et ceux qui tentent coûte que coûte d’éviter « que ce pays n’aille droit dans le mur ». UN DIVAN À TUNIS échappe heureusement au piège du manichéisme et substitue aux jugements hâtifs des nuances habiles.
Au milieu de ce joyeux chaos trône l’irradiante Golshifteh Farahani, impeccable en psychanalyste éprise de liberté. Elle confère à son personnage la force et l’obstination, mais parvient dans chacun de ses gestes à laisser transparaître ses fragilités. Tout comme Selma, qui lutte contre une administration sclérosée pour prouver qu’elle mérite sa place, l’actrice semble chercher à nous démontrer qu’elle manie aussi bien le registre comique que les drames auxquels elle nous avait habitués. Un changement de cadre complètement réussi. Comme l’a affirmé « le patron » de Selma, Sigmund Freud, « En plaisantant on peut tout dire, même la vérité ».
Valentin Hamon-Beugin
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• Réalisation : Manele Labidi
• Scénario : Manele Labidi
• Acteurs principaux : Golshifteh Farahani, Majd Mastoura, Aicha Ben Miled
• Date de sortie : 12 février 2020
• Durée : 1h28min