Sur le papier, LA NAISSANCE DE NARCISSE se présentait comme un film de science-fiction. Mais le résultat contourne les questions scientifiques et morales du genre, au profit d’une ambiance déroutante de thriller fantastique.
Pour être totalement objectif, il faudrait critiquer les films auto-produits sans considérer leurs budgets, en partant du principe pour le moins illusoire, qu’il n’existe pas de degrés d’intensité cinématographique variables selon les moyens mis à disposition des esprits créatifs. Cependant, il faut reconnaître que certaines productions indépendantes engendrent, justement par leur place à part dans le tout-venant de la production annuelle, des expériences cinéphiliques inattendues. LA NAISSANCE DE NARCISSE fait partie de ces œuvres non conformes, non calibrées, avec lesquelles le spectateur ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre, et traverse ainsi la séance dans un état d’éveil particulier.
Réalisant, écrivant et produisant le film, Hugo Parthonnaud projette son désir de maîtrise totale de son œuvre, dans un personnage qui ne peut envisager de collaborer qu’avec une seule personne, lui-même, ou plus exactement un clone de lui-même. Un concept science-fictionnel que Parthonnaud traite de manière minimaliste, officiant ainsi dans une zone marginale du genre qui se dispense de toute surenchère spectaculaire. Entendons-nous bien, il n’est pas question pour le cinéaste de renoncer à installer une ambiance et un décorum genrifiques, bien au contraire. Malgré ses contraintes budgétaires, LA NAISSANCE DE NARCISSE n’est pas avare de plans soignés et réussit à tirer parti des décors à disposition pour manifester son appartenance à la science-fiction. Là où le caractère minimaliste du film transparaît davantage, c’est dans le traitement de l’argument science-fictionnel par le scénario.David a besoin d’un clone, il se rend dans un laboratoire de génétique et quelques semaines plus tard, Jeremy, le clone, est arrivé à maturité, prêt à emporter. Quelles sont les procédures administratives de cette société futuriste pour la création d’un clone ? Quel est le statut légal de l’être cloné ? A quel point le clonage est-il entré dans les mœurs ? Aucune de ses préoccupations n’est investie par le scénario, pas plus que le but des recherches scientifiques de David, qui restera un mystère comme si seule la paire de protagonistes était capable de le comprendre. David est mégalomane, point. Il possède un clone, point. Ensemble ils doivent effectuer une importante découverte physique, point. Condamnant les questionnements du public à des impasses, Parthonnaud semble vouloir se défaire de la nomenclature habituelle du genre pour atteindre une forme d’abstraction.
Un trouble s’installe alors dans l’esprit du spectateur qui se demande si le réalisateur a choisi le minimalisme et l’abstraction pour laisser place à une impression d’étrangeté constante, davantage apparentée au fantastique qu’à la science-fiction, ou bien si c’est justement cette forme abstraite qui provoque cette impression. Difficile d’évaluer clairement lequel de ces deux choix a motivé l’écriture des dialogues invraisemblables, tantôt interprétés avec des accents Rohmeriens, tantôt avec des intentions Lynchiennes. Ou pourrait croire de prime abord que l’étrangeté vient du caractère extraordinaire de la situation, et penser qu’il n’y a de toute façon rien de plus perturbant qu’un personnage qui converse avec un autre lui-même. Mais le malaise se poursuit dans des scènes où se posent d’autres enjeux, comme celle où Jeremy est éhontément dragué par Mira, une jeune femme blonde s’exprimant comme dans un film noir des années quarante. Du danger, de la gêne, de l’excitation, notre esprit ne sait pas vraiment ce qu’il doit ressentir, pas plus qu’il ne peut définir clairement à quel niveau de réalité il a affaire.
Focalisé sur la relation entre David et Jeremy et circonscrit la moitié du temps au décor de l’appartement du génie misanthrope, le récit adopte logiquement les contours d’un univers mental fonctionnant en huis clos par asociabilité et pensées obsessionnelles. Ce qui explique que la réalisation s’autorite quelques éclats baroques et habille fréquemment l’image de motifs symbolistes. Un symbolisme qui parfois laisse libre court à l’interprétation, comme lors de cette scène où David doit lutter pour retrouver sa place dans le cadre, alors que la caméra revient sans cesse vers une plante verte. Quelle était l’intention du réalisateur en créant cette rivalité entre David et la plante ? Ce plan annonce-t-il l’acte contre-nature du clonage ? Présage-t-il que la nature se vengera tôt ou tard ? La question reste ouverte.Si Parthonnaud profite de sa liberté de création pour tenter quelques expérimentations dans sa mise en scène, il semble néanmoins conscient que son projet repose avant tout sur la double-interprétation de son acteur principal, Sergeï Philippenko. La grande idée de LA NAISSANCE DE NARCISSE est d’avoir traité la relation entre le narcissique et son double par un jeu de tensions crypto-gay. Si David se montre froid, distant, s’imposant comme un dominant par sa voix basse qui ferait pâlir Grand Corps Malade ; Jeremy lui, dessine une autre vision du masculin quand l’acteur compose des gestes plus délicats et utilise sa voix de manière plus suave. David ne veut rien laisser paraître de sa vie affective et refuse de manière psychorigide de s’intéresser à tout ce qui est extérieur à son appartement ; Jeremy apparaît alors comme une incarnation d’une part refoulée de David, choisissant d’écouter ses sentiments et de découvrir l’autre. Dès lors, pas étonnant qu’une femme soit perçue comme objet de discorde par le mégalomane asocial.
Le premier long-métrage d’Hugo Parthonnaud n’est pas exempt de longueurs, ni de défauts techniques hélas. Mais avec les moyens modestes dont il dispose, LA NAISSANCE DE NARCISSE réussit à installer un trouble particulier dans l’esprit du spectateur, à défaut d’avoir su conduire un récit solide. Pour un film de genre, le contrat est donc déjà à moitié rempli.
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• Réalisation :Hugo Parthonnaud
• Scénario :Hugo Parthonnaud
• Acteurs principaux :Sergeï Philippenko, Laure Massard et Derek Robin
• Date de sortie :le 30 mai 2018
• Durée : 1h28min