Critique réalisée à l’occasion du 68ème Festival de Cannes.
À la veille du Festival, parmi les films qu’on était impatients de découvrir, se trouvait forcément le nouveau Gus Van Sant. Un habitué du festival ayant remporté, il ne faut pas l’oublier, la Palme d’Or pour Elephant. On a commencé à avoir peur lorsque la presse, dans un élan collectif, s’est mis à attaquer le film suite à sa projection; il a même été question de huées… Oui oui, des huées. Rien n’est pardonné à Cannes, même pour les grands noms du cinéma. Alors disons directement ce qu’il en est. Non le film ne mérite pas cet accueil. Mais, oui, NOS SOUVENIRS est, dans la filmographie de Gus Van Sant, un film mineur.
Ce qui a pu interpeller, et nous le comprenons, c’est la relative naïveté du film. Surtout dans ses derniers instants où il plonge sans retenue dans une mièvrerie dont on se serait passée, et qui n’est pas habituelle dans le cinéma du bonhomme. Il suffisait d’arrêter le film deux minutes avant pour perdre en lourdeur et éviter la tentative de prise d’otage émotionnelle à base de voix-off. C’est d’autant plus regrettable que l’émotion marchait bien tout le long, notamment dans les scènes de flashbacks. NOS SOUVENIRS se décompose en deux parties qui s’entremêlent : la trame dans la forêt des songes, où ceux qui s’y aventurent ont pour objectif de se suicider, et les flashbacks dévoilant pourquoi Arthur a décidé de s’y rendre. La partie dans la forêt fonctionne grâce à une belle gestion de la mise en scène, installant une ambiance pesante à la lisière du fantastique. Van Sant sait quoi faire de son décors et l’exploite à merveille, lui conférant presque une personnalité à part entière. Comme les personnages on en voit plus la fin et cette partie du film lorgne carrément vers le survival. On s’est mis le doigt dans l’œil en pensant que ces scènes allaient jouer la carte de la contemplation, de la lenteur exacerbée qui est une marque de fabrique du cinéma de Gus Van Sant et plonge certains de ces films dans une froideur monolithique dénuées d’émotions. Ce qui peut faire qu’on a parfois du mal en regardant ses films, obligés de se maintenir à des intentions de mise en scène. Aussi brillantes soient-elles.
NOS SOUVENIRS se rapproche plus du mignon Restless que d’Elephant ou Gerry. Van Sant se déleste de toute réflexion poétique ou politique, pour embrasser un cinéma qui lui convient bien moins : du cinéma d’émotions. On serait de mauvaise foi de dire que le film rate tout ce qu’il entreprend. Oui, il lui arrive d’être démonstratif et bourrin comme la scène autour du feu de camp où Matthew McConaughey nous sort à nouveau son jeu made in Interstellar à base de grosses larmes et de morves. Ou dans le final. Par contre toutes les scènes de flashbacks fonctionnent bien, autant avec les phases de disputes que celles plus situées dans le drame. Elles éclipseraient presque la partie dans la forêt, bien filmée au demeurant, mais simple récit de survie dénué d’un enjeu en capacité de maintenir en haleine (va-t-il mourir ou pas ? Mouais…). On ne peut pas dire que tout soit brodé avec une intense subtilité, mais on est forcé de remarquer que ces scènes sont efficaces. On est ému tout en remarquant que les artifices pour nous faire chialer sont un poil trop présents. La musique omniprésente et pompeuse vient toutefois gâcher des scènes où justement, une gestion du silence aurait été intéressante.
« De la lumière à la mise en scène, la personnalité de Gus Van Sant n’apparaît que trop épisodiquement. »
Bizarre de voir Gus Van Sant céder à d’aussi grosses facilités, lui qui nous avait habitué à utiliser le silence comme peu d’autres réalisateurs savent le faire. NOS SOUVENIRS a le souci de ne jamais faire confiance aux spectateurs et de souvent essayer de lui imposer par la force, des émotions. Lorsque ça marche, comme dans la scène avec le pasteur, on se laisse prendre au jeu sans broncher. Par contre quand ça coince, on sent la pilule passer.
D’une inégalité flagrante, NOS SOUVENIRS nous captive que de temps à autre. De la lumière à la mise en scène, la personnalité de Gus Van Sant n’apparaît que trop épisodiquement. Il faut dire que les vagues de critiques incendiaires ont fait craindre une immondice et ont surtout, au final, rendu le film attachant. Bon, ne nous mentons pas, si le film n’avait pas été signé par lui, il n’aurait probablement jamais eu les faveurs de la Sélection Officielle. Mais c’est des choses qui arrivent… De là à le descendre, on a vu bien pire à Cannes les années précédentes sans autant s’indigner. On l’aura très vite oublié passer le remue-ménage au Festival. Reste que Matthew McConaughey est bon, pour ne pas changer, dans le rôle d’un homme au couple défaillant qui, même dans l’adversité, reste aux côtés de « celle qu’il n’a jamais connu« .
Maxime Bedini
D’ACCORD ? PAS D’ACCORD ?
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• Titre original : The Sea of Trees
• Réalisation : Gus Van Sant
• Scénario : Chris Sparling
• Acteurs principaux : Matthew McConaughey, Ken Watanabe, Naomi Watts
• Pays d’origine : U.S.A.
• Sortie : 27 avrill 2016
• Durée : 1h50min
• Distributeur : SND
• Synopsis : Dans la forêt d’Aokigahara, au pied du Mont Fuji, Arthur Brennan est venu mettre fin à ses jours, comme beaucoup avant lui en ces lieux. Alors qu’il a trouvé l’endroit qui lui semble idéal, il aperçoit soudain un homme blessé et perdu. Assailli par un sentiment d’humanité irrépressible, Arthur se porte à son secours.
Alors qu’il s’était décidé à mourir, il va devoir aider un homme à survivre.
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