Nous consacrons une minuscule rétrospective à Juan Antonio Bayona à l’occasion de la sortie de son prochain film Quelques minutes après minuit le 4 janvier 2017.
Au menu, les critiques des films réalisés par l’auteur : L’orphelinat (2007), The Impossible (2012), et enfin celle de Quelques minutes après minuit. Puis, en marge des chroniques cinématographiques, celle de l’oeuvre littéraire de Patrick Ness : Quelques minutes après minuit, ainsi qu’une extrapolation des promesses de son adaptation cinématographique par Juan Antonio Bayona – dans notre rubrique #ADAPTATION.
Dans le roman Quelques minutes après minuit, il est question d’un adolescent, Conor, qu’un monstre à l’allure végétale (un if) vient visiter, à minuit-sept précises.
Pourquoi vient-il ? Quelle est l’histoire de Conor ? Qu’est ce qui lie ces deux là ? Nous découvrons tout cela petit à petit, au fil des rencontres avec les personnages peuplant l’univers de Conor. Sa mère, sa grand-mère, quelques camarades de classe, son père… Puis le fameux monstre, et ce qu’il a à dire. Le style particulier de Ness, faisant de chaque information une révélation, nous incite à ne pas recopier texto le synopsis officiel sous peine de – selon nous -, déflorer le plaisir lié à la découverte de l’histoire. Cela dit, le fantastique est dans cette histoire, une métaphore du réel. Un réel tragique qui s’ancre néanmoins dans l’intime le plus pur et le plus naïf, celui d’un adolescent en pleine construction de son identité et de son futur.
« Quelques minutes après minuit met au service d’une fantastique émotion, une science du récit tout à fait Spielberg-ienne »
Pour aller plus loin, on voit en Patrick Ness, un auteur… Spielberg-ien.
Sous ce terme, clairement lié à une certaine éducation et des films clés en termes de divertissement et d’émotions (Les Dents de la mer, Rencontres du 3ème Type, E.T., Jurassic Park, La Liste de Schindler, Soldat Ryan, La Guerre des Mondes), il s’agit de mettre en exergue ces œuvres qui traitent d’un passage à l’age adulte. Ces œuvres où il s’agit de construire un personnage dans l’empathie, et de générer du suspense à partir de cela. Ces œuvres où l’action et sa mise en place découlent des points précédents, occasionnant d’extraordinaires moments de tensions pure, de spectacle, d’émotions.
Chez Ness cela s’additionne au fait que ses protagonistes, des adolescents, sont forcés de se fier à eux mêmes, à leurs instincts, et à leur compréhension imparfaite du monde alentours. Les adultes, sont quant à eux une espèce totalement différente, dont les motivations et actions apparaissent cryptiques, complexifiant toutes sortes d’interactions. Problème: les protagonistes adolescents sont les héros de l’histoire. Ce qui implique qu’ils sont malgré eux des centre de gravité, et que leurs choix – qu’ils le veulent ou non -, sont cruciaux. Or, leur vision non-exhaustive du monde est toujours la seule chose sur laquelle ils peuvent se reposer, ce qui est synonyme d’erreurs, d’imprévisibilité – et donc de suspense.
Dans l’ensemble, Quelques minutes après minuit est une histoire qui puise toute l’émotion qui viendra nous frapper à la lecture des toutes dernières lignes (où s’effectue une subite prise de conscience de la réalité, ainsi qu’une évolution intérieure capitale chez le protagoniste), sur une puissante empathie envers Conor ainsi que ceux qui accompagnent son aventure. Une empathie née du détail et de l’identification, du caractère anti-manichéen du comportement des personnages, de la proximité de ce drame. Mais… Cette finalité émotionnelle commence avant tout, par un conte. Un vrai, avec des histoires et des créatures extraordinaires. Introduit presque avant Conor lui même, ce fantastique est loin d’être superficiel; il fait partie intégrante de Quelques minutes après minuit et mieux encore, de Conor lui-même. Ness a conçu son roman comme une intelligente et psychologique interaction entre allégorie et réel, générant une sorte de poésie mélancolique exprimant et soulignant à merveille, cet indicible érodant le réel. Fascinant.
Spielberg, que nous citions plus haut pour définir le style de Patrick Ness, nous sert également à faire le lien avec le cinéma. Juan Antonio Bayona, que nous voyons comme l’un des fils spirituels du réalisateur d’E.T. au même titre que d’autres auteurs récents – Alfonso Cuaron (HP3, Les Fils de l’Homme, Gravity), ou encore Jeff Nichols (Midnight Special, Mud) – nous propose ce type d’œuvres de genre où le fantastique sert de métaphore aux parcours initiatiques, où l’empathie sert le suspense, et où la mise en scène et la réalisation servent de liant à tout cela. Si le génial mais impersonnel L’Orphelinat était encore le film de la quête identitaire pour J.A. Bayona, il embrasse pleinement cette voie Spielberg-ienne avec The Impossible, où le réalisme de l’extraordinaire (un tsunami spectaculairement dévastateur) traduisait par l’allégorie ces bouleversements qui construisent un Homme. Bayona y faisait preuve d’une sensibilité indépendante de toute influence, mature tout autant qu’à fleur de peau, alliant constamment réalisme, spectacle et émotion.
« Juan Antonio Bayona poursuit avec Quelques minutes après minuit, sa démarche d’auteur tournée vers l’allégorie du passage à l’age adulte »
Quelques minutes après minuit permet à Bayona d’aller encore plus loin, en s’attaquant pleinement aux domaines de l’imaginaire et de l’intime. Une sorte de retour au sources renvoyant à son fameux parrain Guillermo Del Toro, qui avec L’échine du Diable ou Le Labyrinthe de Pan, se servait de son imaginaire pour traduire la cruauté du réel (l’Espagne franquiste). Mais là encore, Bayona se distingue largement de cette influence en termes de sensibilité et d’émotion, cherchant moins quelque chose de contradictoire (chez Del Toro, imaginaire riche + poésie macabre + violence graphique + peurs et fantasmes + contexte politique = ???), qu’à toucher durablement le spectateur, au cœur. Quelques minutes après minuit apparaît ainsi comme une étape parfaitement cohérente au sein de cette démarche d’auteur.
En bref, J.A. Bayona nous semblait l’un des choix les plus logiques pour adapter le livre de Patrick Ness. Si l’aura de Steven Spielberg plane sur l’oeuvre de ces deux artistes, ils n’en ont pas moins parfaitement transcendé leurs influences pour développer une démarche d’auteur unique, centrée autour de l’émotion, se servant du fantastique comme métaphore du réel, et de la précision de leur mise en scène ou de leur structure narrative pour construire patiemment des personnages, ainsi qu’une histoire extraordinaire.
Georgeslechameau
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- #ADAPTATION n°5: Quelques minutes après minuit de Patrick Ness