la vie est belle

LA VIE EST BELLE (1946), une réconciliation de l’humanité avec elle-même – Critique

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Pour ce cinquième jour du Calendrier de l’Avent, nous vous proposons un film capable de sauver le monde par sa bonté. Petit miracle ou immense cadeau ? Immanquable des fêtes de fin d’année, bijou d’humanisme et de merveilleux, réchauffant les cœurs avec son hymne à la vie.

Il est des réveillons où la solitude nous emporte. Comme une légère brise de mélancolie qui viendrait nous caresser le cou à la recherche de quelques regrets. Noël nous aurait-il quitté ? La question s’est déjà posée. Pourtant, chaque année, le même rituel s’impose : celui d’un film qui ravive l’innocence et d’une œuvre si proche de notre cœur qu’elle en vient à se calquer sur ses pulsations. Posez la main sur le vôtre, vous y entendrez peut-être une résonance, une prière, un tintement ou un cri. Des vœux à faire, d’autres à exaucer. Ouvrez les yeux, vous y verrez peut-être Bedford Falls. Car voir LA VIE EST BELLE, c’est un peu comme faire tomber les premiers pleurs de l’hiver. Un passage obligé avant les cartes de vœux et les baisers sous le gui. C’est un film où il fait bon de s’y lover ; enveloppé dans une couverture bien chaude, un chocolat chaud entre les mains. Foutaises sentimentales ? Que nenni. Chez Frank Capra, on ne fait pas dans la guimauve avariée. Plus qu’un conte de Noël, LA VIE EST BELLE est une œuvre sur le miracle de l’existence, tombée du ciel pour nous murmurer à l’oreille que la vie vaut la peine d’être vécue. Et de peines, il en sera autant question que d’esprit de Noël.

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1945. Une chose est sûre : plus rien ne sera comme avant. Et si la guerre a mis à mal les âmes innocentes, Hollywood a plus que jamais besoin de rêves pour pouvoir relever ce beau monde, lui redonner quelques couleurs et surtout quelques lueurs d’espoir. Désillusionné mais en quête de renouveau, Frank Capra répond présent. Désormais indépendant, président de sa propre compagnie Liberty Films en dehors de la toute-puissance des majors, il cherche l’Histoire, la seule, l’unique, celle avec un grand H comme Humanité, celle qui lui permettra de redonner un sens à son engagement cinématographique, à ce fameux Pourquoi nous combattons qu’il prônait pendant la guerre. Il trouvera sa réponse dans une nouvelle de Philip Van Doren SternThe greatest Gift, l’histoire d’un homme suicidaire sauvé par son ange gardien qui lui révèlera l’impact de ses (bonnes) actions sur la vie des gens. 

Si Capra fût emporté par cette histoire, c’est sans doute pour sa face sombre, pour ce désespoir et ces tourments si humains qui donnaient toute la force dramatique à l’intrigue. Capra ne ratera pas son coup. Avec LA VIE EST BELLE, c’est un véritable manifeste de candeur et d’humanisme que nous offre le cinéaste. Si bien qu’il pourrait forniquer avec Les plus belles années de notre vie (1946) de William Wyler afin de constituer un sublime double programme sur des « retours à la vie ». Puisque LA VIE EST BELLE – comme le film de Wyler – s’impose comme une œuvre de « reconstruction » où la fiction nous guérit d’une réalité encore meurtrie et où le cinéma s’applique à panser toutes ces blessures par l’enchantement d’un baume au cœur. Au fond, le plan Marshall ne serait-il pas d’abord le plan Clarence ?

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Pourquoi a-t-on l’impression de se sentir si vivant face à ce conte populaire ? Passer à côté de LA VIE EST BELLE, serait-ce passer à côté de sa vie ? C’est un film qui vous tombe dessus comme une pomme heurta Newton. LA VIE EST BELLE, c’est un face à face entre un film et ses spectateurs ; un film si réconfortant, si humain, qu’il en viendrait à unir les inconnus d’une salle ou d’un même canapé autour d’un sourire partagé. Mais si le film a gagné une telle popularité au fil des années, c’est sans doute sur la base d’une erreur : l’expiration du droit d’auteur autour du film – au milieu des années 1970 – qui a permis aux chaines de télévision américaines de diffuser le film gratuitement pendant plus de 20 ans. La tradition a perduré ; le film est devenu un classique au même titre qu’un cantique que l’on chanterait à la gloire d’un divin enfant ou d’un beau sapin.

Et à ce titre, LA VIE EST BELLE doit sans doute beaucoup au conte de Dickens, Un Chant de Noël. Pourtant, point de Scrooge, de repentir ou de fantômes ici, seulement l’histoire d’un homme bon poussé vers l’obscurité dans une suite de désillusions. Ce n’est pas l’histoire d’une rédemption, seulement celle d’un sauvetage angélique et de la portée d’une main tendue vers l’autre. Loin des platitudes mélodramatiques, Capra échappe à toute infantilisation de son récit et parvient au contraire à lui insuffler un universalisme revigorant. Si revigorant qu’il parvient à nous enfermer dans un cocon de bonhomie le temps d’un film. Car sa force émotionnelle n’a d’égale que sa bonté intérieure. Chaque rire, chaque réplique, chaque sanglot, tout se veut empreint d’une magie restée intacte. En somme, un condensé de merveilleux dans un monde qui ne demande qu’à l’être.

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« You are Now in Bedford Falls ». Dans la poudreuse et l’obscurité, l’ouverture parsème quelques prières qui parviennent à résonner dans l’univers. C’est ainsi par la foi que nous entrons dans LA VIE EST BELLE et c’est avec la foi que nous en sortirons. La foi dans le vivre-ensemble, dans la possibilité d’une bonté communautaire, d’une démocratie qui fonctionnerait sur une redistribution des richesses. Pour Capra, toute société qui se respecte devrait être fondée sur le partage. Propagande socialiste ou communiste ? La question s’est posée pour le FBI en 1947. Comme quoi, même la bonté est suspecte quand l’on désacralise ce précieux Capital. Mais si Capra affirme que l’argent ne fait pas l’homme, c’est aussi pour faire de l’humain le sel de son cinéma. La recherche du profit n’intéresse pas le cinéaste. Il préfère déconstruire un modèle américain en montrant que les rêves ne trouvent pas toujours un accomplissement. Car la vie n’est qu’un rêve qu’on ne cesse de reporter.

Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir curateur de LA VIE EST BELLE. Car si Noël n’existait pas, Capra l’aurait sûrement inventé.

Mais pourquoi grandir devrait-il signifier abandonner ses rêves ? LA VIE EST BELLE est aussi une œuvre sur le sacrifice, sur l’idéalisme à l’épreuve du monde. Et il faut voir ce Georges Bailey vivre pour sa communauté, renoncer à ses rêves pour construire ceux des autres, se débattre avec une telle ardeur qu’il perd quelques aspirations en chemin. Du bonheur au désespoir – et non l’inverse –, sa trajectoire est celle d’un idéaliste sacrifié, d’un altruiste malmené par un système qui ne permet pas la bonté. Face à la colère – si humaine – du personnage, face à cette fragilité, impossible de ne pas s’identifier. Georges Bailey, c’est nous. Ou du moins, nous aimerions le croire. Le voir si fragile face à lui-même, priant pour ne pas succomber au désespoir alors que tout l’y pousse, rien ne pourrait être plus déchirant que ce visage larmoyant d’un père enlaçant son enfant pour noyer sa détresse. Mais non Mr Potter, vous ne l’emporterez pas avec vous notre humanité.

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Luttes contre des institutions puissantes, contre des despotes et des capitalistes, contre des injustices et des systèmes aux effets pervers, les films de Capra – de Monsieur Smith au Sénat à L’Homme de la Rue – font de la politique comme l’on dégusterait une fournée de cookies. Puisque Capra est un « lutteur » qui ne se laisse pas abattre par le pessimisme. Et même si LA VIE EST BELLE distille un désespoir croissant et se construit sur un « assombrissement », l’optimisme se doit de triompher, toujours. L’épilogue – lumineux au possible – est une parfaite synthèse de cette mentalité : face au vide terrible laissé par une inexistence, Capra répond par la chaleur d’un foyer, par la tendresse d’un rassemblement et d’une étreinte familiale. « C’est étrange, non ? La vie de chaque homme touche tant d’autres vies que lorsqu’il n’est plus là, il laisse un trou affreux, n’est-ce pas ? » Dans le film de Capra, les rêves s’accrochent au blizzard comme l’on s’accroche l’un à l’autre pour ne pas rester seul. Le lien, ce fameux lien, cette action de l’individu sur l’individu, voilà ce qui fonde toute vie sociale. Avec la foi d’un enfant, Capra – comme son George Bailey – empêche autrui de céder au désespoir. Puisqu’au fond, LA VIE EST BELLE invite à une réconciliation de l’humanité avec elle-même.  

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Venant au secours des cœurs perdus, de ces gens déchirés par la vie, LA VIE EST BELLE nous prend au lasso comme l’on offrirait une lune pour un premier rendez-vous. Et parce que rien n’est trop beau, Capra parsème son œuvre de grandes scènes faites de petits riens : une conversation téléphonique chargée d’une tension romantique, un bal si euphorisant qu’il se transforme en jeu aquatique, une nuit de noces où l’amour rayonne même dans la ruine, etc. Rien ne pouvait prévoir que Capra aurait rassemblé toute la bonté du monde en un seul film, et ce, sans jamais tomber une seule seconde de la mièvrerie. Mais si le film est si intense, c’est sans doute grâce à ce casting si juste et gracieux. Georges Bailey n’aurait pu rêver meilleur corps que celui de James Stewart : sa voix, sa gestuelle, sa fragilité, sa grandeur naturelle, tout concoure à une « incarnation » du héros capraïen dans ce qu’il a de plus éclatant et de plus humain. Mais c’est dans le regard de Donna Reed que Stewart trouve son écrin. Et ce, avant que Kim Novak ne s’offre Stewart pour Noël dans L’Adorable Voisine de Richard Quine. Mais le regard de Reed est si intense, si chargé en émotions, que le spectateur lui-même ne peut rester indifférent. Le reste du casting, de Lionel Barrymore à Henry Travers, de Thomas Mitchell à Ward Bond, est semblable à un orchestre sans fausse note. Incarné, LA VIE EST BELLE impose surtout la pureté de son noir et blanc – et non de sa version colorisée – et de cette mise en scène si « simple » qu’elle empêche toute morosité de contaminer les images.

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Dans ses fabuleuses mémoires Hollywood Story, Capra soulignait l’importance du message que porte LA VIE EST BELLE au point de le considérer comme son meilleur film. Et à raison. Puisque « c’était un film qui disait à ceux qui avaient perdu le goût de vivre, à ceux qui avaient perdu courage, à ceux qui avaient perdu leurs illusions, au pochard, au drogué, à la prostituée, à ceux qui étaient derrière des barreaux de prison et à ceux qui étaient derrière des rideaux de fer qu’aucun homme n’est un raté. » L’individu sauvé du désespoir, cette vie humaine au contact d’autres vies humaines, voilà peut-être la seule chose qui intéresse Capra.

Et si LA VIE EST BELLE affirme que « chaque fois qu’une cloche sonne, un ange obtient ses ailes » alors entendre la cloche sonner, c’est peut-être encore croire à la magie de l’existence. C’est croire que seul le cinéma serait capable de redonner espoir. C’est espérer retrouver quelques pétales de rose dans une poche. Ou simplement espérer d’une réunion, d’une étreinte, d’une accolade de bienveillance. A l’image d’un dénouement à l’intensité inégalée et de cette bonne vieille mélodie qui continue – encore et toujours – de résonner dans nos cœurs. Should auld acquaintance be forgot / And never brought to mind? Should auld acquaintance be forgot / And days of auld lang syne? Faut-il oublier les amis ? Jamais. Et même si le monde ne se calque pas sur cet humanisme, Capra nous aura au moins donné l’occasion d’y croire ; voire peut-être même de le vivre l’espace d’un instant. Puisque chaque année, des anges continuent de gagner leurs ailes. Peut-être ont-ils sauvé d’autres Georges Bailey ? A moins que ce ne soit encore Capra qui leur ait facilité le boulot. Que voulez-vous ? Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir curateur de LA VIE EST BELLE. Car si Noël n’existait pas, Capra l’aurait sûrement inventé.

Fabian JESTIN

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Titre original : It's a Wonderful Life
Réalisation : Frank Capra
Scénario : Frances Goodrich, Albert Hackett, Frank Capra et Jo Swerling, d'après la nouvelle de Philip Van Doren Stern "The Greatest Gift"
Acteurs principaux : James Stewart, Donna Reed, Lionel Barrymore, Thomas Mitchell, Henry Travers, Beulah Bondi, Frank Faylen, Ward Bond, Gloria Grahame, H. B. Warner
Date de sortie USA : 7 janvier 1947
Date de sortie France : 28 juillet 1948
Durée : 2h10
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