Cela faisait huit ans que le projet trainait dans les tiroirs, après avoir changé plusieurs fois de comédiens pour interpréter le légendaire Freddie Mercury, les producteurs s’étaient fixés sur Rami Malek. Le tournage du film vire au quasi-fiasco, Bryan Singer est remplacé en cours de route par Dexter Fletcher. Puis en mai dernier c’est Bryan Fuller qui accuse le studio d’avoir masqué l’homosexualité du chanteur Britannique à des fins marketing.
Alors, ce biopic tant attendu sur l’une des plus grandes rock-star de tous les temps est-il ce ratage annoncé depuis des mois ?
Autant le dire tout de suite, BOHEMIAN RHAPSODY ne déborde jamais de la case biopic pour laquelle il est formaté. C’est là le plus grand défaut du film, prisonnier des codes d’un genre passablement usé. Difficile dans ce cas d’être autre chose qu’un produit marketing fagoté pour célébrer la carrière d’un groupe mythique et la vie d’une idole flamboyante. Il est fortement probable que le projet émane d’une volonté sincère d’un vibrant hommage à Freddie Mercury et sa musique.
Malheureusement l’enfer est, lui aussi, pavé des meilleures intentions. La forte implication de Brian May et Roger Taylor (membres fondateurs du groupe) à la production, empêche vraisemblablement l’émerge d’un véritable point de vue d’auteur. L’éviction de Bryan Singer est la parfaite illustration de l’impossibilité à donner au film le moindre parti-pris cinématographique. BOHEMIAN RHAPSODY est un excellent produit dérivé estampillé Queen, fabriqué pour raconter la légende à l’aide d’une iconographie grandiloquente.
Les biopic reposent sur des dynamiques dramaturgiques caractéristiques. Dans la majorité des cas il s’agit de retracer un itinéraire initiatique ou bien de mettre en lumière tout un pan méconnu de la biographie d’une personnalité marquante. Mais encore faut-il que la vie de l’artiste éclaire son œuvre. Le danger est bien souvent de tomber dans un romanesque sur-joué développé dans une structure narrative classique et interchangeable. Il faut croire qu’un biopic réussi est souvent un biopic qui se débarrasse des ses convenances.
À ce titre, le récent Barbara de Mathieu Amalric peut être vu comme le parfait antagoniste de BOHEMIAN RHAPSODY. Le réalisateur français parvenait à réutiliser les codes pour créer une expérience évocatrice basée sur une réflexion autour du genre. Mais le film de Bryan Singer ne s’embarrasse pas de tels questionnements, il fait confiance à son potentiel nostalgique pour galvaniser le public qui redécouvre la légende par les backstages. La scène d’introduction ne montre pas autre chose, avec le mythique Live Aid de 1985 en ligne de mire, le film nous invite à revisiter la mythologie Mercuryenne en passant de l’autre côté de la scène.
Il faut tout de même souligner l’incroyable prestation de Rami Malek qui offre une interprétation impressionnante de Freddie Mercury. Dès que les premières notes des morceaux de Queen retentissent et que la voix singulière de son iconique leader résonne, on oublie vite ces considérations cinématographiques pour se laisser porter par la vague d’émotion. Les séquences de compositions et d’enregistrements en studio forment un motif intéressant.
Dans la continuité de sa scène d’introduction, BOHEMIAN RHAPSODY nous invite à entrer en coulisse pour assister à la naissance des tubes légendaires. Dans une volonté de décortiquer le processus créatif du groupe, quelques moments jouissifs naissent de cette communion musicale et scénique.
Bien loin de reconstituer l’esprit de fête et de liberté sexuelle qui précède les années sida, le film aborde très timidement les relations homosexuelles de la rock-star. Pire encore elles servent à illustrer ses périodes d’errance et de misère affective.
La seule romance mise en avant dans le film est celle qu’il entretiendra avec Mary Austin tout au long de sa vie. Il y a d’un côté la relation hétérosexuelle platonique vertueuse et de l’autre le libertinage homosexuel décadent qui conduit au sida, le tout saupoudré d’un poncif à vomir sur la famille. BOHEMIAN RHAPSODY véhicule une vision moraliste navrante qui sent franchement le moisi.
Le biopic se refuse également de parler des excursions en solo de Freddie Mercury, traités comme de simples caprices de diva infructueux. Le film, bien qu’il prétende le contraire, enferme constamment Mercury dans un carcan artistique, celui de Queen. C’est le cas lorsque ce dernier est sans cesse ramené à son statut d’icône légendaire, réduit à une représentation fétichiste qui préfère concentrer le regard sur les symboles de la pop-culture plutôt que de creuser dans l’œuvre. La rock star est constamment essentialisée par ses attribues iconiques, la moustache, les ray-ban et le look castro-clone.
Mais entre 1985 et 1988, Freddie Mercury sort deux albums solo, dont le célèbre Barcelona en duo avec Montserrat Caballé. Bien loin d’une errance drama-queen, ces pérégrinations musicales témoignent davantage d’une recherche artistique manifeste. Une volonté d’émancipation à l’égard des frontières du rock que le groupe ne semble toujours pas vouloir lui accorder vingt-sept ans après sa mort.
Hadrien Salducci
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• Réalisation : Bryan Singer
• Scénario : Anthony McCarten
• Acteurs principaux : Rami Malek, Lucy Boynton, Aaron McCusker
• Date de sortie : 31 octobre 2018
• Durée : 2h15min