• Réalisation : Marco Bellocchio
• Acteurs principaux : Barbara Ronchi, Bérénice Bejo, Valerio Mastandrea
• Durée : 2h13
Cinquante ans se sont écoulés depuis son premier film, Les Poings dans les poches (1965), et pourtant Marco Bellocchio, grand homme du cinéma italien, est encore là. Avec FAIS DE BEAUX RÊVES, inspiré d’un livre de Massimo Gramellini, journaliste important du quotidien La Stampa, le cinéaste, âgé de 76 ans, réalise une œuvre remarquable, portée par une pureté des sentiments, où les secrets et les non-dits de l’enfance peuvent dicter une vie.
C’est l’histoire de Massimo, jeune garçon de 9 ans, qui perd sa mère de manière brutale et dans d’étranges circonstances. Cette question du deuil d’une mère par l’enfant évoque forcément le très beau film de Luigi Comencini, L’Incompris (1967). Comme dans celui-ci, Massimo se retrouve seul avec un père qui peine à gérer la situation. Mais si chez Comencini le jeune Andrea était un enfant incapable d’exprimer sa détresse et sa tristesse, et devenait alors incompris aux yeux de son père qui voyait là une forme de dédain, Massimo, lui, est surtout confronté au secret. On lui dit d’abord que sa mère est à l’hôpital, puis qu’elle s’est transformée en ange et a rejoint Dieu. Des explications qui montrent la difficulté pour les adultes à dire la vérité – et amèneront au passage Bellocchio à une critique de la religion –, et qui ne conviennent pas à Massimo. Au contraire, l’enfant se rebelle, tient tête au monde adulte avec une certaine maturité même (impressionnant Nicolo’ Cabras, son interprète) et devient encore plus difficile à contenir.
Pour traiter de ce sujet ô combien touchant, Bellocchio agit avec maîtrise, utilisant la caméra de la meilleure des manières. Dans FAIS DE BEAUX RÊVES, il privilégie les regards et les visages, ainsi que des silences, bien plus évocateurs pour exprimer les émotions et le caractère de ses personnages que n’importe quel dialogue – souvent vu dans le cinéma italien en général. Tout commence par une danse entre une mère et son fils. Un rock marqué par l’absence d’expression orale. Seul quelques rires à peine perceptibles, un grand sourire affiché sur le visage de la mère, et des yeux hypnotisés d’un fils plein d’amour. Un amour réciproque, une complicité sincère qui se ressentent profondément en nous. Et pourtant, Bellocchio n’a encore rien dit. Il lui a suffi de créer une atmosphère particulière, entre nostalgie et inquiétude (et un certain onirisme même) et de laisser ses personnages y évoluer en toute simplicité. Cette nostalgie et cette inquiétude sont au cœur de cette première partie, sur la jeunesse de Massimo. L’inquiétude ressentie devant le visage de la mère de Massimo (intrigante Barbara Ronchi) dont le regard suffit à faire comprendre la fragilité. Et bien que son décès soit, d’une certaine manière, attendu, il en reste une étrangeté.
”Une œuvre remarquable, portée par une pureté des sentiments, où les secrets et les non-dits de l’enfance peuvent dicter une vie. »
Car Bellocchio adopte le point de vue de son personnage principal. Celui d’un enfant qui ne comprend pas ce qui s’est passé. Qui du jour au lendemain se voit confronté à la pire tragédie et se réfugie dans ce qu’il peut. Ici, un ami imaginaire, prenant la forme de Belphégor, le fantôme du Louvre, dont Massimo regardait la série avec sa mère dans un moment de pure complicité. Un élément avec lequel Bellocchio joue à merveille, amenant une touche de fantastique, notamment via la composition musicale et son sublime thème principal. En parlant à ce Belphégor imaginé, en suivant ses instructions, l’enfant se cache la vérité et essaie de se délaisser de certaines responsabilités. Mais en réalité, il reste surtout hanté par cet abandon soudain et les souvenirs de sa mère qui le poursuivront une fois adulte.
Nous voilà ainsi alternant entre le Massimo jeune de la fin des année 1960, et le Massimo adulte (Valerio Mastandrea, tout simplement excellent) des années 1990, devenu successivement journaliste sportif puis reporter de guerre. Obligé de revenir dans l’appartement de son père qu’il doit désormais vendre, Massimo verra tous les souvenirs remonter. Et c’est en cela que la nostalgie ressentie dès les premiers instants de FAIS DE BEAUX RÊVES prend sens. Bellocchio ayant pris la peine d’insister sur ces émissions de variété italienne des années 1960, sur le club de football du Torino (ancien grand d’Italie jusqu’à la tragédie, évoquée, du 4 mai 1949 où l’avion transportant les joueurs s’écrasa), puis sur la découverte du rock étranger dans les années 1970… Le réalisateur mène ainsi son film vers sa propre sensibilité. Au-delà d’une adaptation, il fait de FAIS DE BEAUX RÊVES quelque chose d’extrêmement personnel qu’il parvient à transmettre au spectateur.
A vouloir évoquer autant de choses en l’espace de deux heures, on pourrait penser à un trop plein ; Massimo jeune, puis adolescent, et enfin adulte toujours en train de se construire. Mais il n’en est rien. Jouant de nombreuses et légères ellipses, Bellocchio laisse son spectateur travailler et lui apporte à chaque fois un nouvel élément sur la vie de son protagoniste. Notamment sa rencontre d’Elisa (merveilleuse Bérénice Béjo) après une soudaine crise d’angoisse. Sans trop s’embarrasser de l’évolution de leur relation – le cinéaste n’est pas du genre à mâcher le travail pour le spectateur – Bellocchio induit subtilement une note d’espoir pour cet homme devenu totalement opaque à l’émotion quelle qu’elle soit. Pas tellement insensible, bien que le charme de certaines femmes puisse le laisser de marbre, il apparaît hors du monde. Incapable de vivre sa vie, dont il est avant tout spectateur, marqué par ses peurs enfuies. Il lui faudra revenir sur son passé, se confier même à des inconnus – séquences d’une lettre publiée dans le journal d’une grande émotion, avant un contrepied humoristique génial comme Bellocchio en a le secret – avant de trouver une forme de délivrance (éprouvée alors par le spectateur au fil du film). En cela FAIS DE BEAUX RÊVES est évident et simple, mais n’en est pas moins d’une richesse merveilleuse. Une œuvre qui, même analysée de fond en comble, garderait encore des subtilités cachées. Une œuvre qui finalement ne peut être mieux appréciée et comprise qu’en étant vue.
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