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« C’est après avoir achevé L’Enfance d’Ivan [premier film de A. Tarkovski, 1962] que j’eus le pressentiment que le cinéma était à la portée de ma main […]. Un miracle avait eu lieu : le film était réussi. Quelque chose d’autre était maintenant exigé de moi : il me fallait comprendre ce qu’était le cinéma. C’est alors que me vint cette idée de temps scellé».
Désormais, Andrei Tarkovski, tout au long de son oeuvre cinématographique – Andrei Roublev, Solaris, Le Miroir, Stakler – rédigera des notes de travail, des réflexions sur son art, restituant dans le même mouvement son itinéraire d’homme et d’artiste.
Exilé en Italie où il réalise Nostalghia en 1983, puis en France, il rassemble ses écrits qui seront d’abord édités en Allemagne puis dans les pays d’Europe occidentale.
Il y aborde une large réflexion aussi bien sur l’art cinématographique, son ontologie et sa place parmi les autres arts, que sur la civilisation contemporaine ou des objets plus concrets comme le scénario, le montage, l’acteur, le son, la musique, la lumière, le cadrage… Il confère enfin une place particulière à son dernier film, Le Sacrifice, auquel il consacre toute la fin de l’ouvrage.
Note de l’Auteur
[rating:9/10]
• Date de parution : 5 février 2004
• Ecrit par Andreï Tarkovski
• Editeur Cahiers du Cinéma/ Collection Petite Bibliothèque
• Pages : 298
• EAN13 : 9782866423728
Après avoir terminé l’Enfance d’Ivan (1962), Tarkovski pousse sa réflexion au-delà de la simple forme de son art, et s’exige à la compréhension de cet art, lui vient alors cette idée du Temps Scellé.
Le Temps Scellé est la somme d’une œuvre qui réunit : des notes prises tout au long de ses réalisations cinématographiques (Stalker, Andrei Roublev, Solaris, Le Sacrifice…), des réflexions sur la place du cinéma dans la société contemporaine, son ontologie et une large part consacrée à l’étude des composantes d’un film, le scénario, le montage, l’acteur, le son, la musique. Les mots que couche le Démiurge sur le papier acquièrent une dimension philosophique, et illustrent un cheminement personnel, introspectif et créatif d’un homme qui s’est toujours porté garant d’un art jamais consumé, d’un art qui n’en est qu’à ses premiers balbutiements, avec comme seule arme de poing : l’humilité de l’âme et du cœur.
Auteur (créateur) avant tout, Tarkovski nous développe sa vision de l’art du cinéma, et propose une lecture subjective d’une puissance existentielle particulière, voire unique en son genre. Tarkovski explique comment l’art du cinéma – qu’il défend corps et âmes – s’est engoncé dans un format industriel qui dénature les fondements échafaudés des décennies durant au seul bénéfice du spectateur. Il n’hésite pas à parler d’abrutissement des masses, de normalisation d’un art qui trouve justement sa quintessence dans la diversité créative, en dehors de tout canevas consumériste. Visionnaire en son temps, la lutte est résolument entamée entre l’auteur et l’industrie !
Tarkovski souhaite que son art se dissocie des autres arts – principalement de la littérature – en avançant un postulat : rompre avec les conventions théâtrales, le naturalisme et toute forme de conceptualisme ou d’expressivité. Le cinéma doit trouver ses propres codes, indépendamment des influences extérieures. Le rythme, selon Tarkovski, constitue l’élément fondateur du cinéma, le temps devenant une composante incompressible. Il se désolidarise des cinéastes construisant leur film sur la seule matrice du montage (Eisenstein, Koulechov) «Je ne peux être d’accord avec ceux qui prétendent que le montage est l’élément central du film». Le montage, par sa technicité, expurge le film de sa temporalité, Tarkovski privilégie dès lors la fonction du plan, dans lequel tout cinéaste doit y inclure l’essence du temps, ce temps qui confère le rythme depuis l’intérieur de l’acte de création. Son dernier film, Le Sacrifice, est un parangon du genre : le plan séquence de la maison en feu, l’un des plus longs de l’histoire du cinéma, transpose cette incompressibilité du temps, laissant les choses se révéler librement.
Tarkovski fait partie de ces artisans mystiques à l’humilité singulière ayant consacré leur vie et leur art à la destinée de son prochain : «L’homme moderne se trouve à la croisée de deux chemins. Il a un dilemme à résoudre : soit continuer son existence de consommateur aveugle, soumis aux progrès impitoyables des technologies nouvelles et de l’accumulation des biens matériels, soit trouver la voie vers une responsabilité spirituelle, qui pourrait bien s’avérer à la fin une réalité salvatrice non seulement pour lui-même mais pour la société tout entière. Autrement dit, retourner à Dieu.»