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Nous commençons le dossier UNIVERSAL MONSTERS (notre rétrospective: ICI) par un retour sur le premier film de cette série initiée en 1923. Fondé par Carl Laemmle en 1912, Universal Pictures ne fait pas à sa naissance partie des Big Fives, c’est à dire des plus gros studios américains possédant leurs propres salles. Alors que la Warner s’oriente vers les films de gangster, que la MGM produit les grands mélodrames et films historiques, que Paramount monopolise le genre des westerns, il est nécessaire pour les autres studios de tirer leur épingle du jeu en créant ce qui fera leur spécificité ; Universal se tourne vers le fantastique et l’épouvante. C’est dans ce contexte que sont nés les films UNIVERSAL MONSTERS, dont Notre-Dame de Paris réalisé par Wallace Worsley est le premier représentant. Avant toute chose, je tiens à préciser avec honte et embarras que je n’ai pas lu le roman original de Victor Hugo, et que je ne connaissais que grossièrement l’histoire de Notre-Dame de Paris avant de voir cette adaptation. Il me sera donc impossible de juger de la fidélité et du rapport cinéma-littérature dans le cas de ce film.
Dès les premiers plans, le ton est donné ; nous sommes dans une grosse production. Une reconstitution parfaite de la cathédrale de Paris, des centaines de figurants, la présence de Lon Chaney, star reconnue à l’époque, au générique, tout cela témoigne de la volonté d’Universal de marquer le coup pour le début de sa série. Le récit se veut ambitieux, et le film nous présente très vite de nombreux personnages, de façon un peu expéditive. On s’embrouille assez vite entre les protagonistes, et il est parfois gênant de constater que leur écriture n’est pas approfondie. Cela nous amène directement au premier défaut du film, la caractérisation. Phoebus, Clopin, Gringoire, le roi Louis XI, autant de stéréotypes dont on ne sait rien et dont le sort final ne parvient pas à nous captiver tant ils semblent être de véritables coquilles vides. A vrai dire, ils peuvent être définis par un mot, que ce soit « pieux », « tyrannique », « séducteur », etc. Il n’y aura aucune nuance, aucun effort pour creuser ce caractère en profondeur. Cette faiblesse dans le traitement des personnages peut cependant s’expliquer comme étant un procédé pour mettre en valeur le couple Esmeralda-Quasimodo, pour mettre en scène leur différence au milieu d’autres personnages fades et inexistants. Ce défaut est peut-être un parti pris, certes, et je le comprends mais je n’ai pas spécialement adhéré à ce choix. Surtout que d’autres personnages bénéficient de flash-back ou d’explications quant à leur état actuel, et dès lors la compréhension voire l’attachement se fait naturellement. Si les acteurs sont dans l’ensemble convaincants sans être extraordinaires, tenant leur rôle du mieux qu’ils le peuvent sans parvenir à transcender les lacunes d’écritures, Patsy Ruh Miller et Lon Chaney offrent une très grande performance dans la peau d’Esméralda et Quasimodo. La pureté et le charme naturel qui se dégagent de l’actrice provoquent une affection immédiate pour elle, chacune de ses scènes relance l’intérêt pour le film. Sa première rencontre avec le bossu, par exemple, est véritablement touchante car simple et juste. Pas de succession de gros plans, l’actrice n’en a pas besoin. Sa prestance est très surprenante et le réalisateur l’a bien compris, en n’usant pas de procédés simplistes utilisés généralement pour créer un attachement artificiel. Quand à Lon Chaney, son maquillage fait des merveilles et son jeu flirte délicieusement avec le grotesque. Il y a dans ce côté surjoué quelque chose d’hypnotisant, et il sera très intéressant de voir si l’acteur persiste dans ce style. Nous le saurons dès la prochaine partie du dossier, consacrée au Fantôme de l’Opéra dans lequel il tient encore le rôle principal.
Mais Notre-Dame de Paris surprend surtout par sa modernité, que ce soit dans sa réalisation ou dans ses compositions. Son statut de film muet n’est en rien une entrave tant les intertitres sont bien gérés, suffisamment rares pour ne pas être envahissants et apparaissant toujours aux bons moments. Le réalisateur excelle également dans la suggestion de la violence, et parvient à ne pas montrer les coups de fouet ou les meurtres tout en accentuant leur brutalité. La photographie du film est sobre, très efficace, et les cadres rendent justice aux décors et à la démesure du film. Quand à la mise en scène de Wallace Worsley, elle est assez étonnante et très intéressante car elle allie deux styles et deux époques. Dans un premier temps, le découpage du film est résolument moderne, basé sur des règles cinématographiques encore très utilisées actuellement. Le réalisateur se permet même des inserts et un jeu sur le montage, utilisant la métaphore de l’insecte et de l’araignée, pour mettre en image le piège se refermant sur Quasimodo. Pour ceux qui auraient vu le Lucy de Luc Besson, il est assez étonnant de se dire qu’un procédé utilisé dans un film de 1923 se retrouve dans une œuvre encore exploitée dans les salles obscures. Mais le film est également un reflet de l’époque muette, et cela se voit dans sa mise en scène très marquée et sa direction d’acteurs typique de cette période. Tout est très visuel, muet oblige, et parfois les séquences semblent s’enchaîner en ayant pour seul lien les intertitres. Certaines réactions ou grimaces des acteurs, la façon de filmer Esméralda, les longs fondus au noir, rappellent que nous sommes devant un film de 1923, mais la réalisation des scènes de dialogues et les cadrages sur les visages, en plus de certaines expérimentations visuelles, sont encore d’actualité et cela témoigne d’un grand sens de la mise en scène.
”le film de Wallace Worsley est une excellente manière pour Universal de s’imposer comme un studio majeur”
Notre-Dame de Paris n’est sans doute pas le premier film auquel on pense lorsqu’on parle d’UNIVERSAL MONSTERS. Et concrètement, je n’ai pas réussi à trouver dans ce film de signes distinctifs qui pourraient le rattacher à une série particulière ; peut-être cela s’éclaircira-t-il avec les autres visionnages. Actuellement, l’appartenance du film à ce genre me semble étonnante tant le réalisateur s’attarde plutôt sur Esméralda que sur Quasimodo. De plus, Lon Chaney est dirigé et filmé de manière à ce que la monstruosité de son personnage soit effacée plutôt que mise en valeur, et ce malgré son maquillage très réussi. Alors, drame historique, grand film muet, œuvre à la mise en scène très intéressante, superproduction Universal, Notre-Dame de Paris l’est assurément. L’aspect « film de monstre » est autrement plus difficile à percevoir. Cependant, le film de Wallace Worsley est une excellente manière pour Universal de s’imposer comme un studio majeur, et le succès public et critique confirmera cet essai. Les vingt dernières minutes du film semblent d’ailleurs avoir été créés dans le but de montrer la puissance du studio et sa capacité à produire des réalisations à haut budget. Cela explique sans doute la scène de bataille finale, trop longue et assez mal rythmée, mais qui contient des centaines de figurants dirigés d’une main de maître et qui reflète une production fort ambitieuse. Heureusement, le très beau plan final et la réussite globale de l’œuvre rattrapent ses quelques défauts, dont cette happy end fort dispensable, et il me tarde de poursuivre la découverte de la série !
Louis
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Le Festival Lumière, aura lieu du 8 au 16 octobre 2016, dans tous les cinémas du grand Lyon.
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1923 – Notre dame de Paris (★★★★☆)
« une excellente manière pour Universal de s’imposer comme un studio majeur »
1925 – Le fantôme de l’opéra (★★★★☆)
« une pépite visuelle et augure encore de belles choses pour la suite de la série »
1928 – L’homme qui rit (★★★☆☆)
« pas un mauvais film, mais il aurait pu être bien plus »
1931 – Dracula (★★★★★)
« Tod Browning réalise une œuvre majeure, que ce soit sur le plan cinématographique pur ou sur la représentation de Dracula sur grand écran »
1931 – Frankenstein (★★★★★)
« un classique instantané réalisé à la perfection »
1932 – La momie (★★★★☆)
« un premier film imparfait, maladroit, mais qui se laisse visionner avec plaisir et se paye même le luxe d’émouvoir son spectateur »
1933 – L’homme invisible (★★★★☆)
« le metteur en scène s’attaque aux thèmes du pouvoir et de l’avidité sans concession et multiplie les séquences éprouvantes moralement »
1935 – La fiancée de Frankenstein (★★★★★)
« L’œuvre de James Whale s’impose comme le joyau ultime d’une série absolument fascinante »
1941 – Le Loup-garou (★★★☆☆)
« LE LOUP-GAROU reste un film à voir, s’inscrivant visuellement et thématiquement dans la continuité des Universal Monsters, et qui saura vous captiver le temps d’une heure »
1954 – L’étrange créature du lac noir (★★★★★)
« Jack Arnolds réalise un film d’une grande intelligence et d’une audace faisant tout à fait honneur aux premiers chefs d’œuvres de la série, tout en créant son propre mythe »
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