Il y avait possibilité d’interroger à travers le personnage d’Omalu, le sacro saint American Dream. Sa perception naïve par le non-américain (Omalu est nigerian), l’immémoriale immigration de masse qu’il génère (la quête de reconnaissance et de naturalisation d’Omalu), les comportements déviants et intéressés qu’il peut causer (Omalu ne s’implique-t-il pas autant uniquement par orgueil ?), ou encore la place de l’étranger et plus particulièrement du noir, dans la société américaine…
Pourtant, SEUL CONTRE TOUS ne s’embarrasse pas vraiment de telles questions. Il préfère nous raconter une vraie fiction de cinéma, à travers un vrai personnage de fiction tous deux paradoxalement issus d’une histoire vraie. Omalu, à l’instar d’un Stephen Hawking ou d’un Alan Turing, représente l’altruiste absolu qui se dissimule dans le corps d’un génie autiste et/ou solitaire, l’unique à pouvoir développer cette découverte majeure qui servira le bien commun. Exactement le genre de personnage dont le cinéma raffole (et plus particulièrement les Oscars), qui peut devenir le centre d’un film occultant passablement l’importance de ses découvertes au profit d’une success story montrant ces fameuses étapes menant de l’anonymat à la reconnaissance par tous.
Ainsi, comment ne pas voir un choix opportuniste de la part Will Smith, à travers ce qui apparaît comme un film de commande entièrement tourné vers l’iconisation de son protagoniste ? L’écriture transforme ainsi de nombreux aspects (dialogues, interactions, situations, développement du scénario) en faire-valoir d’Omalu, tandis que Will Smith et son interprétation tout en cabotinage (l’accent nigérian forcé, la moue du mec perpétuellement concentré…) sont par défaut placés au sommet d’incarnations plates de personnages secondaires archétypes servant également de faire-valoir. Bennet Omalu, un homme pourtant nuancé et porteur d’un véritable message sur l’état de la nation américaine, est rendu lisse et monotone par des choix scénaristiques cherchant à tout prix à le débarrasser de toute psychologie, contraste ou complexité.
SEUL CONTRE TOUS apparaît ainsi surtout, comme une illustration sans imagination de la grande morale populaire qui définit l’American Dream : à force d’efforts personnels et de sacrifices intimes, l’ambition et l’implication finissent toujours par être récompensés. MOUAIS.
SEUL CONTRE TOUS donne la dérangeante impression de vouloir absolument rendre cinématographique et accessible une histoire qui ne s’y prêtait pas.
D’autre part, le film souffre d’un autre problème : son sujet de fond, un matériau peu empathique ou fédérateur d’un point de vue cinématographique, s’oppose à la portée héroïque que tente désespérément de nous vendre le scénario.
Car, il ne s’agit pas de traiter dans SEUL CONTRE TOUS, d’une cause à défendre, d’enjeux politiques, sociaux, ou même internationaux… Mais de conflits d’intérêt au sein d’un groupe très fermé. Difficile d’accrocher à la cause d’hommes aussi éloignés de la réalité du quotidien que les joueurs de football américain. Puis sans remettre en question l’importance du travail du Dr Omalu, on avait compris assez immédiatement que les chocs violents subis par les joueurs de football pouvaient être la cause de neuropathologies.
Ainsi quelques questions d’intérêt se posent immanquablement : pourquoi passer les 3/4 du film à vulgariser les objectifs médicaux et impacts sur les protagonistes, alors que tout cela était évident dès le générique ?
Pourquoi ne pas plutôt développer les questions éthiques et socio-économiques générées par cette découverte ?
Pourquoi tant d’emphase envers les victimes, lorsqu’elles sont finalement assez conscientes du danger de leur profession ?
Les réponses toutefois, reposent encore une fois de plus dans cette volonté affichée de mettre Will Smith et son personnage au centre de tous les enjeux, aux dépends de toute complexité ou aspérités morales.
Mon problème avec SEUL CONTRE TOUS est que ce genre d’œuvres académiques préférant une bonne histoire (selon les critères hollywoodiens d’entertainment) à un bon sujet (critère subjectif, du coup)… Cela ne m’intéresse pas.
Incapable de mettre le côté « le film que j’aurais aimé voir » au profit du « film que l’on me propose » , je ne peux m’empêcher de le rapprocher de ces Birdman ou autres Imitation Game, qui me semblent conçus uniquement pour rafler des Oscars de performance, pour flatter les orgueils des artistes incriminés, non pour servir leur passionnant sujet. Je le compare également à d’autres films tels Spotlight qui, partant d’une ambition similaire (mêler cinéma, drame humain, sujet de société et dénonciation) s’avéraient bien plus convaincants grâce à cette confiance totale en leur sujet, et par ces quelques parti-pris anti-consensuels, notamment en termes d’accessibilité.
Dans SEUL CONTRE TOUS, sujet-controverse tiré d’une histoire vraie, le scandale en lui-même est accessoire par rapport à la success story de son donneur d’alerte. Le film est construit dans un insupportable manichéisme iconisant sans nuances ni subtilité ce genre de personnages héroïques incarnant l’American Dream, défendant les victimes du quotidien face à leurs bourreaux intouchables, et prêts à souffrir personnellement pour mener à terme leur cause altruiste… Le genre de film qui donne la dérangeante impression de vouloir absolument rendre cinématographique et accessible une histoire qui ne s’y prêtait pas, mais dont la complexité apparaît malgré l’épuration qu’en fait l’écriture. Dommage.
Georgeslechameau