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Photo (1) du film TYRANNOSAUR

[critique] Tyrannosaur

Affiche du film TYRANNOSAUR

Dans un quartier populaire de Glasgow, Joseph est en proie à de violents tourments à la suite de la disparition de sa femme. Un jour, il rencontre Hannah. Très croyante, elle tente de réconforter cet être sauvage.
Mais derrière son apparente sérénité se cache un lourd fardeau : elle a sans doute autant besoin de lui, que lui d’elle.

Note de l’Auteur

[rating:9/10]

Date de sortie : 25 avril 2012
Réalisé par Paddy Considine
Film britannique
Avec Peter Mullan, Olivia Colman, Eddy Marsan
Durée : 1h31min
Titre original : Tyrannosaur
Bande-Annonce :

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=XIzvJ9neu7Y[/youtube]

Ce premier long-métrage de Paddy Considine (jeune réalisateur, acteur et scénariste) est à voir absolument. Rares sont les films à oser plonger avec une telle justesse et une telle sensibilité dans les remous de l’âme humaine. Paddy Considine déchire notre confort de spectateur dès la première scène et ce qu’il nous donne à voir va bien au-delà de ce que à quoi l’on pourrait s’attendre.
L’histoire se passe dans un quartier morne et pauvre de Glasgow. En proie à d’indomptables crises, un homme traîne dans les rues et agresse ceux qu’il rencontre en chemin.
Tyrannosaur parle de la souffrance, celle que l’on répand et celle que l’on subit. Pour autant, le film ne laisse aucune violence jaillir à l’écran. Ce ne sont pas les coups, le sang ou les morsures que Considine s’attache à montrer. Tyrannosaur élude la sauvagerie des actes pour mieux en extirper les racines. Le personnage de Joseph, sublimement incarné par Peter Mullan, porte en lui l’humus de cette violence.

Paddy Considine se concentre sur ce qui précède le choc physique entre deux personnes lors d’un conflit, à savoir la tension. Cette tension, il la filme avec adresse et honnêteté. Il en capte les premiers frissonnements, la naissance, la croissance flamboyante et se retire juste avant son aboutissement (dans la bagarre, le meurtre, le viol etc.).
A ce stade, le spectateur n’a de toute façon plus besoin de lui pour se faire son film. L’image surgit plus nettement et durement dans son crâne qu’à l’écran. Considine laisse le spectateur libre d’imaginer la manière dont les personnages vont en découdre. En ce sens, il recrée chez lui les conditions d’émergence du fantasme. Nous nous mettons à fantasmer sur ces scènes d’accomplissement de la violence dont notre œil a été privé. Nous y repensons comme à des rêves. Elles sont la boîte noire du film, l’indicible et l’innommable que chacun porte au fond de soi.
Ainsi, nous ne percevons pas les personnages du film comme des êtres étranges avec lesquels nous n’aurions jamais à traiter. Au contraire, nous sommes avec eux, la distance est abolie, nous ne les jugeons pas. Et cet engagement provient non pas d’une quelconque compassion mais d’un mouvement de reconnaissance. Nous aussi pourrions taper, crier, tuer. Qu’est-ce qui nous retient de le faire ? Le passage à l’acte est la partie flottante de l’iceberg et c’est d’ailleurs pour cela qu’il peut, heureusement, être évité dans la plupart des cas. Ce qui le précède par contre, la lutte (la lutte entre deux personnes et plus encore, la lutte intérieure que chacun ne de nous peut traverser et qui donne ces fameuses « envies de meurtre »), nul n’y échappe.

Photo (1) du film TYRANNOSAUR

Tyrannosaur nous entraîne par-delà le bien et le mal pour nous offrir une vision plus large et libre de notre humanité.

Le conflit est propre à la nature humaine, il est son terreau. C’est ce que montre le film, notamment lors de la séquence où un personnage lance un projectile sur l’icône du Christ accroché au mur. Avec ce geste, c’est l’idéal d’unité incarné par Dieu qu’il pulvérise. C’est aussi un appel terrible, celui qui surgit lorsque nous sommes véritablement « hors de nous » parce que l’on a perdu le contrôle et que l’on aimerait s’en remettre à une force supérieure pour se dégager de la responsabilité de nos actes.
Impossible de ne pas penser ici à la mise en scène de Romeo Castellucci dans son spectacle « Sur le concept du visage du fils de Dieu », présenté au festival d’Avignon l’été dernier et qui montre des enfants bombardant avec des grenades une peinture du visage du Christ, extraite du tableau Salvator Mundi (Traduction: Le Sauveur du Monde) d’Antonello di Messina.
Si la violence provient de la souffrance, la souffrance quant à elle pourrait donc se loger dans l’ignorance, c’est-à-dire dans ce que l’on ne comprend pas, parce qu’on ne peut pas le nommer. Nous revenons ici à ces fameuses images cachées du film. La souffrance originelle, si forte qu’on ne peut l’exprimer, serait le vrai tyrannosaure, celui que chacun porte à plus ou moins grande en échelle en lui, ou en elle.
Avant de brutaliser leur entourage, les agresseurs du film se livrent donc à une guerre intérieure, laquelle est beaucoup plus complexe à comprendre et à montrer. Considine et ses acteurs y parviennent avec subtilité tout en parsemant le film de lueurs d’espoir. En effet, l’amour se présente comme une forme de résolution. Les confidences et aveux qu’échangent Joseph et Hannah (saluons la brillante interprétation d’Olivia Colman) leur permettent de se dégager un peu des souffrances qu’ils ont commises et vécues.

Le mérite du film est de ne pas opposer amour et violence mais de les entremêler pour nous faire entendre que tout est toujours possible, que nul n’est maudit et ne doit être jugé comme tel parce qu’il n’y a pas de Bien en soi. Paddy Considine nous rappelle que l’on peut aimer et détruire à la fois. Tyrannosaur nous entraîne donc par-delà le bien et le mal pour nous offrir une vision plus large et libre de notre humanité.

Photo (2) du film TYRANNOSAUR

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