Du 4 au 9 septembre 2018, le PIFFF (Paris International Fantastic Film Festival) donnait rendez-vous aux amateurs de cinéma de genre, en tous genres. Retour sur une programmation éclectique à travers cinq films atypiques, poétiques, caustiques et fantastiques.
ACHOURA
Il aura fallu trois ans à Talal Selhami pour achever la post-production d’ACHOURA, qu’il a tenu à tourner au Maroc, tout comme Mirages son premier film présenté lors de la première édition du PIFFF en 2011. Achoura est une fête marocaine célébrant les enfants, et il flotte effectivement sur ce film d’horreur un parfum d’enfance dans la lignée de Stand By Me et de Ça. Selhami assume totalement l’influence de Stephen King et tenait à offrir au public un film rythmé, émouvant et palpitant à la hauteur des divertissements américains qui ont marqué sa jeunesse. Aidé par la partition musicale de Romain Paillot qui nous replonge dans nos années vidéo club, et d’une intrigue à base d’ogre légendaire et de vieille maison abandonnée, Selhami réussit à déployer une mise en scène crédible pour cet exercice des plus périlleux.
Sur le papier, il n’était pas évident de croire qu’une histoire horrifique et fantastique de ce type puisse trouver sa place dans le décor marocain, quand d’ordinaire ces récits se déroulent dans le Maine ou le Mississipi. Et pourtant ACHOURA réussit à nous convaincre en élaborant un scénario où s’entremêlent les époques, nous gardant ainsi captifs de l’intrigue où l’on souhaite comprendre ce qu’il en retourne en fin de compte de cette mystérieuse légende. Mais notre adhésion s’explique également par le fait que Selhami garantit un film sincèrement émouvant, nous donnant à croire que nous faisons partie de la bande d’amis protagonistes du récit.
AWAIT FURTHER INSTRUCTIONS
Ah Noël ! Ces repas de famille où a tout bonnement envie d’étrangler son oncle avec une guirlande ou d’éventrer sa belle-sœur avec le couteau à découper la dinde ! Le réalisateur Johnny Kervokian a choisi pour contexte à AWAIT FURTHER INSTRUCTIONS, cette fête qui nous rappelle qu’hélas on ne choisit pas sa famille. L’ambiance semblait déjà tendue dans la famille Milgram avant même que le réveillon ne bascule dans la science-fiction horrifique, alors quand les événements tournent à la paranoïa générale, on a l’impression d’assister à un épisode de La Quatrième Dimension, ironique et nihiliste.
Dans un premier temps, on est perplexe devant cette galerie de personnages un rien trop caricaturaux, développant ainsi des interactions un rien trop prévisibles, sans gagner réellement en épaisseur au fil du récit. On peut ainsi concevoir le projet de Kervokian comme un jeu de massacre où il n’y a pas grand-chose à sauver de la cellule familiale, pulvérisant ainsi la bien-pensance du partage et du vivre-ensemble associée aux fêtes de fin d’années. Outre la nativité qu’il revisite façon apocalypse alien, le cinéaste britannique imprègne son huis clos de l’atmosphère xénophobe et grégaire qui plane sur le Royaume-Uni en ces temps de brexit. La famille Milgram apparaît alors comme un microcosme, chambre d’écho du pays tout entier, s’en remettant paradoxalement aux instructions affichées sur un téléviseur, en prétendant agir ainsi pour sa sécurité et la garantie de son libre-arbitre.
TOUS LES DIEUX DU CIEL
Après avoir fait sensation il y a deux ans et raflé les récompenses à travers les festivals, Quarxx adapte son court-métrage Un Ciel bleu presque parfait en long-métrage. Il ne s’agissait pas seulement pour le cinéaste français de prolonger l’aventure artistique qui lui a été si bénéfique ces dernières années. Il tenait également à prolonger le lien affectif qui le rattache à ses personnages, à ne pas leur lâcher la main avant d’avoir donné à cette relation frère/sœur l’intensité qu’elle méritait. TOUS LES DIEUX DU CIEL est la preuve irréfutable que le genre n’est pas seulement exercice d’illustration, mais qu’il doit à présent se fondre totalement dans les enjeux et les logiques d’un cinéma dit « d’auteur ». L’horreur qui gangrène ce drame rural est justifiée et rendue intelligible grâce à l’horreur portée par les codes de genre qui lui font écho. Progressivement, les deux dimensions terrifiantes se confondent l’une dans l’autre jusqu’à donner une œuvre esthétique et thématique cohérente.
On reconnaîtra ça et là quelques maladresses de premier film, aussi vite excusées par l’intensité des émotions que Quarxx nous adressent tantôt comme des accolades de grand gamin hypersensible, tantôt comme des uppercuts d’artiste subversif et rageur. Mention spéciale à Mélanie Gaydos dont le physique fascinante vampirise totalement l’objectif de la caméra, car oui, les films d’auteur « alternatifs » de la trempe de TOUS LES DIEUX DU CIEL sont l’occasion parfaite de découvrir des êtres de cinéma extraordinaires.
IN FABRIC
Avant de devenir amant du cinéma, on sent que Peter Strickland en a longtemps été l’amoureux. Difficile de dire si c’est une chance ou un fardeau d’avoir une mémoire comme celle du cinéaste britannique. Toujours est-il qu’il soigne son hypermnésie en retranscrivant dans ses images à lui, les sensations qu’il a éprouvé grâce aux images de son enfance et de sa jeunesse cinéphilique. Après l’éprouvant Berberian Sound Studio et l’envoûtant The Duke of Burgundy, Strickland creuse davantage son sillon dans nos esprits avec IN FABRIC, dans lequel il associe l’expérimentation sensorielle de Berberian à l’agencement fétichiste de The Duke.
Autour de ce concept de robe maudite qui aurait pu servir d’intrigue à un épisode de Creepshow ou quelconque autre anthologie d’horreur à l’ancienne, Strickland élabore tout un univers largement inspiré d’une esthétique seventies progressivement parasitée par des délires expérimentaux, à la fois fascinants et inquiétants. On a régulier l’impression que le réalisateur se débat avec les deux versants de sa personnalité artistique, et parfois l’écrin soyeux du Strickland fétichiste sincère se retrouve vandalisé par l’absurde facétieux du Strickland tendance Quentin Dupieux. Certains amateurs du premier versant auraient préféré dix minutes de plus de la première partie aux cinquante minutes cocasses de la seconde, d’autres spectateurs dans un état d’hypnose profond reconnaîtront qu’il y a du génie dans IN FABRIC, même lorsque le rêve de cinéphile tourne à la divagation de fumeur de moquette.
FREAKS
The last but not the least, terminons avec FREAKS qui a remporté cette année les trois prix dédiés aux longs-métrages. S’il fallait trouver une tagline à placer sur l’affiche pour permettre au public de situer le genre du film, on pourrait écrire que Zach Lipovsky et Adam B.Stein ont réalisé le chaînon manquant entre X-Men et Midnight Special. En effet, comme X-Men, FREAKS prend place dans un monde où certains individus ont développés divers pouvoirs paranormaux, et comme Midnight Special, le récit choisit de traiter ce concept par un angle intimiste en se focalisant sur un enfant et son père.
La comparaison s’arrête ici, car Lipovsky et Stein ont pris soin qu’élaborer un scénario sinueux où le concept science-fictionnel n’est pas établi de manière explicite et convenue dans la première partie. Par son point de vue à la hauteur de sa protagoniste, âgée d’à peine sept ans, FREAKS nous laisse progressivement sortir du cadre étouffant d’une maison barricadée pour découvrir le monde alentour. Grâce au choix de ce regard candide, le duo de réalisateurs réussit à faire s’entremêler la violence et la poésie, l’espoir et la paranoïa, jusqu’au final grandiose, parmi les plus tendus et les plus émouvants que nous aura proposé le cinéma américain dans ce domaine. Dimanche soir, il y avait une personne sur la scène du Max Linder qui était particulièrement touchée des trois prix obtenus par le film. Il s’agissait de Lexy Kolker qui du haut de ses neuf ans avait fait le voyage jusqu’à Paris, et recueillait avec un grand sourire les applaudissements d’un public enchanté d’avoir découvert sur grand écran, les premiers pas d’une merveilleuse actrice.
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