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Le documentaire THE KING : L’AMÉRIQUE DE STEPHEN KING de Cédric Davelut ouvre une réflexion sur l’impact des œuvres du célèbre auteur adaptées au cinéma. Aussi, sur leur récent retour en grâce…
Pour tout amateur du genre, c’est un passage obligé. Lire un Stephen King, voir un Stephen King… Filmer un Stephen King. Dans le documentaire de Cédric Davelut, Tom Mc Loughlin, réalisateur du téléfilm adapté de la nouvelle Cours, Jimmy, cours, admet qu’à partir du milieu des années 70, il fallait « aller voir le célèbre auteur pour pouvoir faire son prochain film ». À tel point que l’épouvante estampillée King se verra surexploitée ad nauseam, quitte à en créer des poncifs… dans de petites villes de campagne américaine ordinaires, où le cauchemar vient, encore et toujours, s’immiscer subrepticement.
King-sploitation
Jusqu’au début des années 90, de nombreuses productions horrifiques misaient effectivement outre-mesure sur la tagline : « D’après un roman de Stephen King« , épuisant le filon jusqu’à l’absurde. En témoigne Le Cobaye, un film de 1992, dont l’ambition initiale était d’exploiter le concept de réalité virtuelle. Or, pour pouvoir réaliser son film, Brett Leonard, sur demande de ses producteurs, n’eût d’autre choix que d’y faire entrer au chausse-pied une courte nouvelle de King, titrée The Lawnmower man. Ceci, dans l’unique optique de pouvoir marketer le long-métrage sur cette appellation : Stephen King’s The Lawnmower man.
Ainsi, des belles œuvres signées De Palma pour Carrie au bal du diable en 1976 ou Carpenter pour Christine en 1983, on en vint dans le même temps aux films d’exploitation sans âme, à l’image de la saga Les Démons du maïs débutée en 1983, voire aux téléfilms déployant moultes effets spéciaux risibles, comme Les Langoliers en 1995. Quant au Ça de 1990, cessons de nous mentir : seul le charisme de Tim Curry empêche le navire de sombrer dans le tréfond des abysses des pires adaptations de l’auteur. Comme le concède Tom McLoughlin dans THE KING : L’AMÉRIQUE DE STEPHEN KING : « Il y a eu beaucoup trop d’adaptions. La qualité des productions se détériorait. Et donc, le phénomène est retombé. »
Tant et si bien que la seule réalisation du maître lui-même, Maximum Overdrive, adaptée de sa nouvelle Trucks et sortie en 1986, ressemble à une parodie d’œuvre d’anticipation à la sauce yankee. Le tout, soupoudré massivement de cocaïne. À la décharge de King, – et comme le souligne Mick Garris, réalisateur de La Nuit déchirée – l’auteur s’était trouvé enrôlé dans un système de production italien auquel il ne comprenait rien. Et ce, alors qu’il continuait de se débattre avec l’alcoolisme. Ainsi, Stephen King fut lui-même victime de la machine industrielle que son œuvre avait engendrée. D’où peut-être ce dégoût prononcé pour la réalisation. En effet, s’il resta proche de l’univers de la télévision et du cinéma en tant que scénariste et/ou consultant par la suite, on ne le vit plus jamais passer derrière une caméra…
« Il » est de retour
Toutefois, on ne peut nier que, ces dernières années, les adaptations de King à l’écran suscitent à nouveau l’intérêt du grand public. Du Ça de 2017 à Doctor Sleep en 2019, en passant par l’honorable mais sous-estimé remake de Simetierre, l’engouement populaire semble à nouveau au rendez-vous. Les adaptations de King n’ont cependant jamais totalement disparu des écrans, notamment grâce au « Dollar Baby Program« . Initiée par le prolifique auteur, cette opération permet aux jeunes réalisateurs d’acquérir les droits d’exploitation d’une de ses œuvres pour un dollar symbolique. Nonobstant, le retour en grâce ne s’est opéré que récemment. Preuve en est : les exclusivités acquises par Netflix au cours de ces quatre dernières années – The Mist, 1922, Jessie et Dans les hautes herbes.
THE KING : L’AMÉRIQUE DE STEPHEN KING ne manque pas de souligner que ce come-back se révèle fortement lié à l’actuelle vague de nostalgie pour les années 80. Des années « marquées par l’œuvre de Stephen King« , affirme Mick Garris. Des années où « Hollywood était obsédée par cet auteur… Il en résulte forcément un impact », ajoute David Carson, auteur du téléfilm Carrie diffusé en 2002. Et en effet, les œuvres nées de ce retour nostalgique aux eighties, de Stranger Things au moins connu Summer of 84, portent toutes en elles cet héritage. Qu’ils soient conscients ou non, les codes du film étiqueté Stephen King y transparaissent invariablement. L’imaginaire collectif en demeure profondément marqué. Ne serait-ce que par la phobie des clowns…
L’essence du King
Des codes fondamentalement lisibles et accessibles. Si bien qu’il est aisé de les parodier, comme dans l’ultra-référencé You can’t kill Stephen Kill, sorti en 2012. En ces codes même réside tout le génie de Stephen King. L’auteur a toujours su se servir de l’épouvante comme métaphore du réel, à l’image de tous les grands maîtres du genre. Or, il a aussi su transposer cette métaphore à une part de la population américaine qu’il connaît sur le bout des doigts, à un ordinaire auquel peuvent aisément se rattacher les Américains. L’adolescent envoûté par Christine, par exemple, reflète en tout point l’avidité de la classe moyenne du début des années 80. Les enfants de Stand by me sont, eux, le reflet d’une enfance passée dans la campagne des fifties.
Dans le film documentaire de Cédric Davelut, David Carson dit voir en Stephen King une capacité à « personnifier les ressentis ». Ainsi, Carrie symbolise le passage à l’âge adulte. Le père dans Simetierre, le chagrin insurmontable du deuil. La mère, son acceptation. Autant de thématiques universelles qui rendent l’œuvre de King intemporelle. Au point qu’elle en devient « prophétique » pour Mick Garris. Et l’on peut effectivement déceler dans Carrie une critique sociétale de l’Amérique, sur « sa bigoterie et ses répercussions ». Ceci, quinze ans avant qu’un David Koresh ne mène à la mort près de 100 personnes par dévotion à Waco en 1993. On peut aussi y lire une réflexion sur le harcèlement scolaire et la violence contenue des victimes… vingt-et-un ans avant Columbine. Tant de clairvoyance dans un emballage facile à ouvrir et agréable à dépiauter : sûr que l’œuvre de King n’a pas fini de nous hanter.
Lily Nelson